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PRÉLUDES
01.
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Lentes branches d'un hêtre
dont l'eau déformante
tente d'emporter les reflets
avec la complicité d'un nuage cyanosé
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La barque à l'abandon dans les roseaux
berce un miroir La voix du vent
a des inflexions de petite fille
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Mes pas au long de la berge
contournent l'étang
jusqu'à la lisière du bois là-bas
où dans son nid de thym je vais
respirer la blondeur de l'aurore
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02
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Des inflexions de petite fille
qui conte ses peines à l'eau discrète
du ruisseau courant au fond du parc
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Seul sur sa branche assis museau pointu
œil vif comme un grain de poivrette
roux panache au-dessus de sa tête
l'écureuil écoute ses petites mains jointes
sur sa poitrine blanche
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Un corbeau de loin annonce
que ruisselant de lumière
le soleil est déjà sorti de la mer
qu'entre les vaporeux lentisques de l'azur
il arrive lent et roulant comme une cistude
sa carapace d'or
.
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03
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De multiples voix d'elfes qui n'existent
qu'en visions songeuses d'un soir triste
chantent leurs vêpres païennes
frais et serein dialogue de douleur
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Ce contralto flotte dans l'air comme
la barque qui s'en va vers l'île aux cyprès noirs
Un choeur de vagues en secoue l'étrave
avec une mélopée d'écumes surréelles…
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Rien de ce qui se passera demain n'est concevable
Ce coeur tel un métronome arrêté
Lui ne chanterait plus pétrifié
par un minéral silence
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04
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Prisonnier du labyrinthe de la ville
le couchant ne parvient pas à s'éteindre
Il saigne sur les toits
Diffuse à travers un lait de brumes
sa liturgie empourprée
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Odeurs d'hydrocarbures, foule
sur les trottoirs l'air hagard face ennuagée
Qui consent à s'avouer
qu'une guerre a commencé ?
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Indifférent un chien passe
et pisse à l'angle puis s'éloigne
en trottinant avec une moue de petit vieux…
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05
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De toutes parts le dépaysement
affleure On l'observe d'un regard
aussi vide que celui des clématites du balcon
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Avec un froissement irréel
certaines pages de ma mémoire se consument
et recroquevillent L'air impatient
disperse leurs cendres
.
À quelque heures de vol d'ici
sur une île dont un coeur troue le haut rocher
une brindille bouge en face de la mer
champ de bleuets frémissant dans la lumière
rasante du couchant
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Longues ombres indigo maquis roux
Demain brume de lenteur
et réveil engourdi de se sentir aimé...
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06
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Parais apparais saisissant éblouissant
azur agrafé d'un feu ailé
Les mouettes agitent leurs plumes luisantes
en criant soleil soleil – soleil soleil
Cueillant de temps à autre un éclair dans l'écume
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J'avance en hésitant sur la grève de galets ronds
Une suggestion d'infini miroite jusqu'à l'horizon
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Les coques des catamarans sont tirées sur la plage
devant les baraquements du Club-Nautique
dont le gardien au son d'une radio grésillante
extrait divers accessoires d'accastillage
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À dix kilomètres - d'une pâleur de myosotis
le littoral d'Italie qu'étoile immensément une fenêtre
(Droit sur l'extrême pointe de la jetée
attend un grand cormoran noir)
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07
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Tout semble facile au pays des oliviers
des pins, des cyprès, des citronniers…
La lumière intérieure et la lumière extérieure
coïncident et s'accordent sur telle ou telle phrase
Jambes nues les femmes marchent en dansant
Ombreuses les rues montent ou descendent sans tristesse
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Parallèles sur les toits les tuiles ocres
et les vignes sur les coteaux des Maures
Il y a toujours à côté des portes voilées d'un rideau
de perles de buis ce sphinx de gouttière assis
qui se lèche la patte gauche
avec la minutie d'un mystère à midi
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Tout ici est facile et tout inexplicable comme l'ail
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En pleine lumière les spectres de mes parents
se promènent encore près de la fontaine
Le kiosque à musique de la place est là pour l'éternité
vide, silencieux avec une touffe de graminées
qui balance sur son toit
et me fait signe de me souvenir
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08
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Poète, ta Beauté a pour limites le réel
auquel ce que tu écris si obscur que ce soit
est pour rendre le coeur des autres transparent
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Telle l'immaculée opacité des neiges
anticipe en fondant le ruissellement
de mille torrents au printemps
et leur limpidité s'agrémente d'un peu de ciel
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Sur le bord poussera l'ortie blanche
Les rainettes sauteront parmi les joncs
ou joueront les magots sur des feuilles de nénuphars
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Toi poète regarderas la Beauté t'approcher
pieds-nus avec précaution comme à travers un champ
de lavandes nocturnes
et ses regards fomenteront en toi l'oubli
de ce qui n'est pas éternel
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09
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Une fois encore
la lune qui t'accompagne
pour le plaisir de te voir avancer de côté
tendra sa solitude argentée
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Une sorte de lagune sablonneuse qui conserve
hésitations et traces de ton appendice doré
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Sensible comme une dionée malgré ta carapace
avoue que tu en pinces pour l'ornement
principal de tes nuits
ce rond miroir d'un jour disparu
.
Lorsqu'il reviendra sans toi
le cercle de tes écrits
continuera-t-il à refléter l'Autre Lumière ?
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10
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La parole d'argent se transcrit à la plume d'or
Transmutation de la voix - en silence
Mais ce qui importe en la chose lue
n'est pas tant le sens que l'ébranlement
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Non une présence reconnue mais le sillon
qui embaume l'air après une passante
émouvante et sans visage
Le métronome de ses talons déjà s'efface
dans la foule des rencontres manquées
.
Or les pavés n'en sont pas plus tristes
Leur coeur de pierre ne ressent les pas
que du désir et de l'espoir
Le déchiffrage qui leur plaît – le seul -
est de la grâce claire du matin.
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11
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Le jardin en hiver pour cette fin de nuit
sent la fraîcheur Au bord du ciel Vénus radieuse
s'obstine Un chat phosphorescent soudain surgit
de nulle part et file entre les rosiers
Il a le diable à ses trousses de toute évidence
mais bien sûr il est seul à le voir
.
Sous les buis, un rouge-gorge ourdit du bec
l'aube prochaine et l'épeire débobine ses toiles
pour y stopper en plein vol de minuscules étoiles
sombres qui gigoteront longtemps
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Petits drames inévitables de l'insensible Nature
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Ce matin pourtant dans ses spires logarithmiques
c'est l'arc-en-ciel qui s'agite en irisant les fils
On dirait ma Muse piégée en un poème !
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12
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Du puits sans fond de cette encre triste je veux
remonter de quoi assouvir ma joie
Que ce soit à l'image de la mer obscure
d'où surgit soudain l'éblouissant soleil
qui parmi ses rougeurs dénonce l'Île-au-loin
.
En un rang bruyant et rieur les enfant d'une école
défilent Où vont-ils ? Vers la piscine couverte
sous les pins entre lesquels une plaque de zinc
étincelle et des volées d'oiseaux s'excitent d'y
reconnaître
.
(Airs du large odeur d'iode et fins baisers d'écume salée
sur mon visage revenu au naïf bonheur de l'enfance)
la mer
Douce chaleur le jour oxygène mes pensées
essaim de l'espace intérieur jailli vers un réel réconcilié
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13
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La Symphonie des Mille sous la chanson, Brocéliande
sous le bonsaï, l'Odyssée sous l'élégie… Voiler
le Grand Art sous le petit et, sous le reflet, l'abysse…
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Limiter pour illimiter. Tendre l'indispensable rien
pour qu'au trébuchet se pose le tout
comme on le voit dans une bulle de savon
légère au vent, légère – qu'au plus tard
possible éclate l'illusion
.
Lulle ainsi répartissait en un bois de quatorze arbres
le loquace mirage du savoir qu'il s'était construit
.
Lasse la fée fatale au fond du lac tisse de rayons
les parois de son château - profusion de tourelles
assiégées des poissons volants - et prise à sa propre magie
s'assoupit un bras sous sa tête jolie.
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14
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Cueillir le pollen sur l'anthème du vent
pour enneiger mes rêves d'un duvet de soleil
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Brouillard d'imminence qui se condense
comme rosée et fasse briller
tout ce que je suis capable d'imaginer
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Instincts et humeurs animales
ma langue maternelle m'offre à connaître ce qui m'habite
Crypte où la cruauté a forme de statue d'or
Et la générosité - d'un bouquet de diamants
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Les bourgeons du dernier arbre sont des leds scintillantes
Le crépuscule nous prépare un fameux printemps
Homme de cendre déjà l'odeur du santal me disperse
Proche est sans doute le temps où plus rien de ce que
je suis ne m'exclura de l'univers.
.FIN
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