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Lys maritime
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Je suis de ces âmes faibles qu’enchante
la lumière du lis des sables
et son port gracile de fleur distinguée
quand il se hausse du col pour voir les vagues
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Toi qui l’as rencontré tu sais de quoi je parle
Tu sais combien sa blancheur à gorge verte
infinitise le vent bleu qui l’agite
de parfums souvenus d’autres continents
Immense azur qui pourtant ne suffit pas à contenir
ses rêves inconnaissables
comme des galets clos sur leurs pensées
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Les plantes ont pour fleurir une imagination
que je leur envie
Séduire par une humble splendeur
fût-elle extravagante
est leçon de haute couture et désir
de parfum dans du cristal
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Je suis de ces âmes faibles qu’enchante
la lumière du lis des sables
En mon désert tout poème prend pour modèle
son langage silencieux
Comme lui c’est un enfant de l’altitude
dont la limpidité veut rejoindre la mer
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Les contraires
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À la fois tu envies les explorateurs
qui se risquent à des aventures hauturières
mais tu préfères l’amitié
des objets du quotidien qui sont si proches
cependant que si distants et taciturnes
On dirait qu’une profondeur les miniaturise
dans ton regard
Dans ton regard couleur de pluie
à toi - l’homme de boue -
qui eus voulu être un homme debout !
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Irréductible injustice...
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Tandis qu’un pâle éclat de soleil nous revient
d’entre les nuages pour élire quelques toits
d’où les pigeons épient les véhicules des rues,
une pulsion de disparition m’incite à m’enfouir
dans la quatrième symphonie de Brahms – choix
infaillible – et je mesure quelle force et volonté
il fallut au compositeur pour mener cette oeuvre
à bien, comme tant d’autres œuvres l’ont été
par des hommes ou des femmes qu’on ne peut
comparer véritablement à personne. Pourtant
combien d’imitateurs on pourra leur comparer
dont il est vrai que les noms et les œuvres sont
tombés dans un irrémédiable oubli… Mystère
des grands créateurs ! Où chercher la formule
magique grâce à quoi telle œuvre nous ensorcelle
indéfiniment, alors qu’une autre qui lui ressemble,
qui a sans doute réclamé la même persévérance,
coûté la même dépense d’énergie, nous agace
par son insignifiance et son insupportable fadeur ?
Et l’on ose prétendre que les êtres humains sont
égaux quand c’est d’évidence une contrevérité ?
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Cauchemar récurrent
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Dans une atmosphère fauve trois ombres
en frac et chapeau claque À l’arrière-plan des arches
promettent un dédale secret de peu de lumière
On dirait un tableau d’impressionniste russe
Que fait-on ici Est-ce un complot pour délivrer
une Euridyce Cette odeur un peu soufrée est-elle
un indice ou bien sommes-nous au cinéma
Les murs raisonnent des échos affaiblis du thème
de La grande porte de Kiev avec ses cuivres
solennels Des cavaliers en uniforme de cosaques
de Netchinsk défilent en un ordre impeccable
Un enfant fiévreux dans son lit de malade
songe à Michel Strogoff, au fleuve Amour
et à l’Aîeule qui pique-niquait sur ses rives
avec armes, bagages et vaisselle de Limoges
lors des parties de chasse avec le bey local !
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L’étranger de ma langue
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Ces phrases qui sifflent et se retournent
sur elles-mêmes ainsi que des vipères
se cherchent Elles sont voix qui veulent
connaître par l’écho leur propre mystère
cette illusion retardataire qui fait parler
falaises, murailles ou parois de roc, soit
ce qui debout s’oppose, en somme, pour
changer toute question en réponse sans
rien trahir de ce qu’on ignore On dirait
le vent quand il fouille les frondaisons
et les ébouriffe en tous sens pour trouver
le psaume qu’il y avait caché l’été passé
Ou encore la mer qui dans les écailles
nacrées des huitres, palourdes, ormeaux,
conques, cyprées, vague après vague vient
extirper les chants qu’elle y avait enfouis
L’un et l’autre s’efforcent à la conscience
du sens des mots - semblable à l’orient
qui fait l’éclat de ces perles dont est friande
la poésie à l’instar d’une reine d’Egypte...
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Flaques d’eau
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Aujoud’hui jour de marché Avec ma liste
et mon caddie je m’en vais sous l’averse
visiter mon marchand de légumes attitré
Depuis le temps nous avons fait ami-ami
car nous avons tous deux connu l’Ailleurs
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En chemin j’emplaffe avec plaisir les flaques
élastiques du bitume : avec le même plaisir
qu’éprouve Ezra lorsque nul ne le regarde
Bonheur du reflet qui gicle et se recompose
Après tout je n’ai qu’un peu plus de dix fois
.
sept ans ! Si peu au regard d’un séquoïa géant
N’est-il point normal qu’il reste au fond de moi
quelques reliques d‘une enfance engeôlée
qui souvent occupa mon temps avec l’eau
de la pierre reï où je frottais un bâton doré
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d’encre de Chine parfumé à l’ambre gris
pour d’un pinceau de loup presque sec tracer
sur le papier de riz les veines du Dragon,
pics et vallées avec ermitage en bambous
et sage devant la cascade du Huang-Shan
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Un seul oiseau à tire d’aile vers le ciel
en direction de l’Occident Un seul torrent
au bord duquel en pleurant s’aligne un rang
de saules Peut-être une barque (finalement)
avec un pêcheur qui lance un épervier
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vaporeux à la surface d’un lac imaginaire
que hantent des poissons qui n’existent pas
Voici qu’il m’en parvient l’odeur humide
Ô magie de longer l’étal du poissonnier avant
d’entrer dans la cohue des clients et des criées !
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