-
Signe en plein ciel
.
Dans une zone d'air froid deux avions se sont croisés en traçant un X blanc sur le bleu ouranien
.
Un signe analogue à la visite du bourdon qui tourne un moment autour de mon oreille avant de s'apercevoir que ce n'est pas une fleur
.
Ou encore à ces effluves dont la verveine vient à travers moi reconnaître l'apaisant parfum
.
À chacun de décider quelle signification son esprit est libre d'offrir à ce qui l'entoure
.
Que trois oiseaux viennent par-dessus mon épaule droite et s'inscrivent dans le triangle qu'un pin penché vers un chêne bâtit sur la base scintillante de la mer est annonce heureuse
.
Les superstitions traduisent cette liberte que les fans angoissés d'une « pensée unique contre la mort » voudraient nous ravir au nom d'un dieu dont nul ne sait rien
.
On n'en peut constater que la multiple absence d'une entité qui n'a pas la moindre raison de se conformer au cadre des idées humaines
.
Dès lors pourquoi l'Incommensurable-inconcevable devrait se soucier des faits et gestes de la fourmilière Humanité afin de lui réclamer des agenouillements bredouillants
.
Pas besoin de hurlements au sommet d'une tour pour être informés que les forces de l'univers nous dépassent dans des proportions qui excèdent l'imagination
.
C'est bien de l'être humain, que de vouloir réduire à son être exigu la multiplicité de tout ce qui existe
.
Alors que le moindre roseau peut nous offrir imprévisiblement un chalumeau à voix d'oiseau
.
Et qu'il met à disposition de nos doigts et de notre souffle un répertoire illimité de mélodies possibles
.
Fouminuscules
.
De fines fourmis de deux millimètres de long circulent sur les dalles ocres de la terrasse.
.
Quoique je puisse leur nuire mortellement, je ne suis certes pas le démiurge à l'origine de leur existence…
.
Je leur ai ordonné de s'agenouiller devant moi parce que je suis la divinité qui peut les écraser.
.
Bien entendu, pas une seule n'a manifesté qu'elle comprenait le message en interrompant ses occupations.
.
En refusant de croire qu'elles vivent sur le même plan que les dieux, ces fourmis prouvent qu'elles sont plus intelligentes que les hommes !
.
Un soir d’août 2018
.
Que faire en vacances
lorsqu'on a derrière-soi
trois-quarts de siècle ?
On a connu les vagues et les montagnes ;
arpenté le sentier sinueux
et plein d'embûches de la vie…
On prend désormais le temps
de s'asseoir sur une chaise,
contemplatif, à perte de vue,
du crépuscule…
.
On observe la limace de lueur qui pose
sur les collines bleues
un dernier clin d'oeil doré ;
le long du rivage lointain
ce collier de réverbères qui s'allument
alors que l'horizon rose s'éteint.
.
Puis nos regards errent
vers les proches troncs obscurs,
cherchant machinalement
des cigales invisibles
dispersées dans la pénombre des pins
comme réponse musicale
au silence cligneur des astres.
.
Une pâleur à l'est
atteste que la lune
va bientôt sortir de la mer.
De son croissant dépassent
des volutes de vapeur verte.
Sur la prairie du firmament,
on dirait une urne oblique
d'où déborde une touffe
d'euphorbe ou de santoline.
.
Il fait désormais là-haut
un assez sombre indigo
pour que les vespertilions
commencent à gober
étoiles et moustiques.
Lorsqu'ils auront fini,
ils retourneront au grenier
dormir le nez renfrogné, pendus
dans le sac de leurs ailes closes
tels des varappeurs en pleine paroi.
.
La nuit comme un paon dont la traîne
a perdu ses yeux coruscants
se retirera. Le jour
poindra. Ce sera demain,
que je verrai peut-être.
C’était un Pleyel ancien
.
À demi-enterré dans la pelouse
à l’ombre d’un noisetier
le vieux pot de céramique échancré
au col verni en jaune de Naples
d’où dégorge une misère
me fait songer à la lune d’hier soir
.
Mais il n’existe plus. Ce n’est qu’un souvenir
d’une plantation de ma mère,
en une époque à ce point ancienne
qu’elle me paraît irréelle
.
On apercevait le même pot ou presque
par la fenêtre du salon de l’autre maison
déserte au fond du parc
Je le regardais parfois en m’acharnant
vainement sur le Pleyel demi-queue
en bois fauve – dont j’étais comme amoureux
.
Impromptu ruisselant de Schubert –
raté ! Waldscenen de Schumann – raté !
La campanella de Liszt – un désastre !
Rhaa... cette main gauche qui refuse le tempo !
Dehors la misère délaissée s’obstinait
à repousser dès le printemps
dans la lumière tamisée d’un haut sapin sauvage
.
La villa solitaire et vide où
jusqu’à ce que la lune dépasse des arbres
je répétais des heures
.
tout seul sur le clavier du merveilleux Pleyel
aujourd’hui disparu ainsi que la villa, par les bulldozers
rasée depuis - dont il ne reste absolument rien
excepté dans mon souvenir…
-
Commentaires