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Poèmes de Juillet 2020
Présence d’Aïlenn
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C’était toi, c’est toujours toi, proche présence...
Colonne d’un temple à côté de l’autre colonne ;
toi, d’un marbre rose auquel le grand jour seul
rend justice, alors que je ne suis qu’obsidienne
et nuit. Toi fleur d’or issue des mers du Nord
avec ce long regard silencieux où l’on se perd…
.
J’aime tes façons de bourrasque et tes bises
délivrant jusqu’à moi des bouffées d’échos
et de soudaines reliques de rumeurs : mots
inattendus qui font rêver, phrases savamment
inachevées qui attendent tout de mon écoute.
Tes gestes dans l’air décrivent des chansons.
.
Au-dessus de nous, la poésie, ciel changeant
au gré de l’ombre d’un nuage ou des clartés
de l’espace, comme une montagne attentive
toujours prête à récompenser les ascensions
par une vue dégagée sur la mer, sur le monde,
comme sur, chaque fois, une victoire sur soi !
Qu’importent les sceptiques !
.
Cette sorte de volatile presque informe
dont la blancheur confirme qu’il s’agit d’un nuage
comme il est seul dans tout ce bleu céruléen !
.
À voix basse je m’adresse à lui d’une voix
tremblante pour qu’on ne m’entende pas
lui dire que nous sommes frères On me croirait fou
.
Aïlenn me comprendrait sans doute, elle qui me disait
récemment avoir conversé avec un arbre
et je sais bien qu’elle en est parfaitement capable
.
Pour ceux que ce genre de choses incite à penser
(selon l’expression de ma mère) que nous serions
« un peu siphonnés », je n’ai aucun remède.
.
Après tout ceci n’est qu’un poème de treize vers.
.
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Biochimie
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Mettant à contribution toute notre personne
avec son physique et son entier passé
se condense certain sentiment synthétique
impérieux qui exige de précipiter sur la page
en grêlons d’encre à la fois obscurs et limpides
pareils à ces pleurs qu’on ne réussit pas à contenir...
.
Antibaudelaire
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Certains êtres doués d’une folle énergie
se plaisent à l’imprévisible, à l’aventureux
convaincus qu’ils sont - par science sûre
ou inconsccience - de faire aisément face
quoi qu’il arrive Ah c’est beau cette énergie
baudelairienne qui veut « plonger dans
l‘inconnu pour trouver du nouveau » et
quelle gloire médiatique pour les héros
qui l’ont fait (ou alors on n’en dira rien,
comme c’est souvent le cas parce qu’ils
sont morts !). Marcher sur un fil certes
au-dessus du précipice est époustouflant
et les gens applaudissent. Moi, je préfère
pourtant trouver du nouveau en plongeant
au fond du tenace mystère de l’Un connu !
Confort de survie
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Il rédigeait pour lui-même quelques aphorismes
ainsi qu’on jalonne une parcelle dont on a étudié
la composition chimique et travaillé le terreau
Il n’ignorait pas qu’il n’en avait pas pour autant
balisé tout le périmètre et qu’il restait encore
bon nombre de pieux à planter Sans certitude
mais sans souci qu’il lui reste un laps de temps
suffisant pour achever sa tâche qu’il pressentait
sans fin, il écrivait par l’effet d’une aveugle inertie...
Sagesse, langage et poésie.
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Le sage sait qu’il est directement ou indirectement à quatre-vingt dix-neuf pour cent impliqué dans les déboires de son existence.
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Nombreux sont ceux qui ne tiennent pas du tout à être des sages car ils considèrent que cela les empêche gravement de se sentir vivre.
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Dans le langage poétique, depuis le Surréalisme et le Psychédélisme, les gens considèrent qu’est poème tout reflet délirant du chaos.
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Rares sont ceux (dont je suis) qui ne consentent au poème qu’une logique charnelle, naturelle, terre à terre, une cohérence de l’irréel.
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Si l’irréel entre dans l’énoncé poétique, ce n’est pas logorrhée de drogué, c’est le second oculaire d’une jumelle : qui permet la stéréoscopie.
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Toute figure de style, en particulier métaphore et synecdoque, est une mise en perspective que la seule structuration par le langage autorise.
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Sans images, qui ne sont ni clichés ni photos ni vidéos, le poème est une prose qu’il ne suffit pas de baptiser « poésie » pour ce soit du poème.
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Dans un poème, ce n’est pas l’inconscient en roue libre qui apparaît, mais le monde élaboré par toute une vie, dont un écrit rend compte à l’instant t.
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Ce fragment d’énoncé à la fois logique mais jamais encore conçu, se fonde sur le fait qu’une parcelle de notre « âme » individuelle ouvre un monde.
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L’essence du poème : quand la partie, si miette qu’elle soit, réussit à refléter le Tout comme une goutte de rosée recèle la totalité d’un paysage.
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La beauté n’est pas dans l’oeil du poète ou de l’artiste, mais dans les choses mises en lumière, discernées, sur lesquelles toute l’humanité s’accorde.
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Ce n’est pas la faute de la beauté si quelques uns ne la voient pas, ou si le snobisme les persuade de la reconnaître même là où elle n’est pas.
Ara macao
.
Zibus était un ara aux airs de pape
triste De son perchoir en Té
il regardait de travers les intrus
(Autant dire à peu près tout le monde)
puis faisait des acrobaties la tête
en bas pour être sûr qu’on le remarque
et ponctuait ses exercices de rauques
grincements de gond mal huilé
un peu saugrenus qui cadraient mal
avec la solennité de son camail écarlate
Mais il suffisait pour lui faire cesser
toute excentricité de lui présenter
une banane ou quelques noisettes
après quoi en piétinant sa barre
pour trouver la juste place il se tenait
immobile avec dignité sa seule tête
pivotant sur son axe pour garder un oeil
sur le donateur à la générosité suspecte...Cri de corneille
.
Au meilleur de la brume grège
une corneille crie l’avenir
On dirait la voix d’un poème
de provenance indéfinie
qui résonnerait dans le vide
Où celle de la gitane en noir
que ta main de jeune homme
inspira devant l’église un jour
de la fin mai aux Saintes-Maries
Elle t’avait appris qu’il est vain
de chercher comme un forcené
ta route dans la vie puisque :
« Este es el camino que te encontrará...
¡Y no lo evitarás ! » avait-elle affirmé
d’un ton de gravité voilé de menace
(Et ce qu’elle avait prédit autant
hélas que par bonheur s’est réalisé)
.
Marinier à la retraite
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Il dit qu’il écoute le bleu du ciel
vers lequel de désir se lèvent les vagues mais
impuissantes retombent en esquissant
un ersatz de nuage vite dissipé
.
On pourrait croire à un enfant rêveur
mais les promeneurs n’aperçoivent
qu’un vieil homme au bout de la jetée
contemplant l’infini qui lui est refusé
.
Il se souvient de ses voyages à travers
des pays étrangers Les extérieurs et les
intérieurs dont les Sahels et les Sah’ras
quoique innommés ne sont pas moins
.
d’une terrible et angoissante beauté
Rivages immenses du fleuve de sécheresse
Dunes charnelles pierraille hiéroglyphique
Tout là-bas est questions sans réponses
.
Si bien qu’il aperçoit ses pensées déçues
qui de l’horizon arrivent à quai flottille
aux voiles sombres ainsi qu’au retour
de Knossos et du labyrinthe la nef de Thésée
.
Les mouettes criardes au dessus de sa têteCri de corneille
planent en tournoyant joyeusement comme si
c’était de leur plumage que rayonnait la lumière
sur le désert usé d’une âme d’un mauve d’ozone
.
À l’heure du take-off
.
En éventail les avions roses rayent l’azur
direction Nice Alger Madrid Tanger Lisbonne (usw)
À vol d’A320, Roissy est à moins de 5 minutes
Il est tôt, le vacarme du camion poubelle
rappelle les jeudis de jadis quand à la buanderie
quelqu’un choquait la lessiveuse en tôle galvanisée
avant de la remplir de linge à faire bouillir
.
Le poële à vitres de mica chauffe Sifflements
Couvercle bruyant zozotant sur l’eau bleuâtre
Facettes de zinc et bouffées de vapeur Persil
La porte grand’ouverte laisse voir les rosiers
Cachant les rangées de fraisiers leurs buissons
cramoisis éclatent dans la lumière du potager
Ah la densité du velours des roses au soleil
.
On pense à des milliers de baisers sur les tiges
d’immatériels élans du coeur On pense au linge
d’une blancheur de neige qui sera tout à l’heure
étendu sur le gazon prasin de la pelouse À l’air
tout imprégné d’une délicieuse odeur de propre
On pense aux draps repassés, serrés avec un brin
de lavande dans la grande armoire Et qui plus tard
.
verront sur un lit se glisser entre eux le corps
frissonnant, ensorcelant et nu de notre amour !Extinction de voix
.
Quelles voix opiniâtres
sans se lasser m'appellent dans la nuit du rêve
ainsi qu'une pluie timide
que le ciel refuse de reconnaître
Voix d'êtres dont mon passé
a gardé la marque au fer rouge
ou d'autres personnes
que je n'ai rencontrées qu'en leurs livres
Toutes sont là je ne sais où
On dirait que j'en suis le site
de la même façon que la ruche
celui des abeilles qui font frissonner toute la prairie
de la grave vibration d’une sorte de tone-cluster
avec septième diminuée en si bémol
Toutes sont là et c'est au point que c'est
ma voix dont je découvre soudain
qu'elle est la seule qui manque
Ce qui m’ancre après trois quarts de siècle
dans l’idée que j'ai passé ma vie
à m'absenter insensiblement
et de plus en plus
à mon insu peut-être
vu que j'étais inapte à vivre
en dépit de ma survie strictement biologique...
.
Tissu de contradictions
.
Il faut se détourner de soi pour ne se soucier que des autres quand on n’est pas assez inconscient ou pourri de drogues abrutissantes pour éviter une propension néfaste à l’introspection dont notre état d’esprit ne s’extraira que rarement indemne
.
Si perspicace que l’on soit même ceux qu’on croit bien connaître ont leur coeur et leur vie pleins de mille noirs secrets que nous ne soupçonnerons jamais ce qui rend plus aisé l’optimisme béat indispensable à qui ne veut pas mépriser ses semblables
.
Depuis toujours le désastre est en marche flagrant ou insidieux rongeant les susbstructions immergées des Venises merveilleuses canonnant les immenses Bouddhas millénaires ravageant les Angkors et les Golcondes effaçant leurs jardins aux diamants
.
Le sage en prend son parti ne se retourne pas trop sur les papillons de nuit de ses tristes souvenirs passés ne regardant et goûtant les choses qu’avec les yeux brillants du paon du jour la spirale infiniment fine de sa trompe à nectar ne visitant que les lys immarcessibles
Six tourterelles
.
Enchantement issu du silence est l’instant propice où nos voix se rejoignent Le matin privilégié par tes yeux verts jauge sur ma face les conséquences de la nuit Encore agrafée à mes épaules elle m’envelppe d’une pelisse invisible et pesante
.
Je circule dans la chambre au plancher fauve Dehors une branche du bouleau pleureur au sommet de sa retombante courbe a reçu six tourterelles bien alignées Visiblement deux parents et leurs jeunes Leur nid n’est pas loin mais introuvable
.
C’est comme un petit miracle chaque année quand les volatiles ardoise aux blancs colliers un matin tôt nous présentent leur nouvelle progéniture ainsi qu’aux familiers du jardin puis aprés une bonne heure s’essorent vers d’autres visites de bienséance
.
Tout à tour elles se détachent en ordre de leur perchoir si légères que pas une feuille ne bouge rasent la crête du mur mitoyen avec la propriété voisine Sans doute réservent-elles quelques roucoulantes civilités à l’ami peintre qui habite là
.
Dans la cuisine roucoule aussi la machine à café Je prépare un plateau les yeux à demi-occupés encore par la séquence à laquelle nous venons d’ assister songeur comme on peut l’être après l’un de ces moments où le monde nous fait du charme pour nous réconcilier avec la vie...Considérations digressives
.
Il est une phase de la vie où l’on aime la passion, où l’amour compte davantage que son « objet », lequel est justement réduit à être « l’obscur objet du désir », selon une expression fameuse. Le vrai moment de la vie survient lorsque l’être aimé passe au rang de sujet, avec une manière de vivre et d’agir autonome. Cela devient d’autant plus désagréable que la manière d’affirmer son indépendance pour le sujet que nous aimons est plus éloignée du cadre de notre propre existence. C’est là que l’aiguillage demande une décision. Ou diverger. Le plus courant, le plus facile, mais aussi le plus appauvrissant ; ou poursuivre ensemble sur une voie qu’on ressent inquiétante, difficile, chaotique. Et c’est l’aigle à deux têtes, souvent divisé contre lui-même, réclamant une énergie harassante, dont à l’usure, à la longue, on reçoit un enrichissement quelquefois – pas toujours ! Il arrive que la première phase, l’adolescence, pour certaines personnalités ne soit suivie d’aucune autre. Ça n’évolue pas. Ce qui, du moins à mon sens, n’est pas le gage d’une vie de qualité. Mais je ne vois pas là un motif pour s’appauvrir en oblitérant en nous l’enfant et l’adolescent. Ce qu’on nomme adulte est seulement la phase supplémentaire au cours de laquelle on se découvre capable de maîtriser, de « chapeauter » la façon d’être et d’agir de qui l’on fut dans les phases précédentes.
Harmonie
.
Ta main dans la mienne
fraîche comme rameau de laurier
quand la rosée fait chanter
l’alouette le verdier
et la grive musicienne
In extremis
.
Exorbitants pour les petits crabes
certains soirs de pleine lune
envoûtent les âmes
d’autres soirs non
Il n’y a pas d’explication
.
Non plus que dans le cas
de ce retour par une nuit d’août
où vous vous étiez tous deux fourvoyés
dans le champ aux monolithes
Et advint ce qui devait advenir
.
Au firmament truffé d’astres
la Grande Ourse veillait
Et si vous n’avez pas tout à fait
perdu le nord ce soir-là
ce pourrait bien être grâce à elle...
Corpus amoris
.
Entre tes doigts
le brin d’eau pure
de la fontaine
.
flûte de fraîche lueur
où vient directement
boire l’oiseau soleil
à peine éveillé
.
L’air sent le chèvrefeuille
et la pierre mouillée
Attention aux orties
.
Je veux construire
au creux du bassin tout un
petit temple de mousses
où se recueillera le poisson d’or
.
Arches de reflets
mouvances d’arc-en-ciel
Moi horloger de l’Impossible !
Lost paradise
.
De la rive une fleur
blanche de givre
se reflète
en le miroir du lac
que le vent rarement
d’une onde déformante
traverse afin d’ôter au rêveur
qui regarde toute foi en la
symétrique illusion
d’un contre-monde azuré
plus beau plus libre
plus profond plus vrai
(En somme, plus heureux !)
Autorecommandation
.
Malgré la nostalgie
des recuerdos de Ayacucho
continue ton chemin petit garçon
jusqu’aux jours de tes cheveux blancs
Rien de plus n’adviendra jamais
que l’impitoyable chaos du « réel »
avec ses soleils multiples
et sa nuit unique
Ne sois pas chagrin d’être seul
dans l’espace malgré la foule des rencontres
et malgré quelques probables
violentes amours
que feras-tu d’une vie qui ne t’aime pas
si toi tu ne fais pas l’effort
(quasiment héroïque je le concède)
de l’aimer envers et contre tout ?
Qui sont les sauvages ?
.
Si de l’ongle on gratte
le vernis plus ou moins opaque
dont se couvrent nos sociétés soi-disant
civilisées
. point n’est besoin d’insister beaucoup
pour mettre au jour une sauvagerie humaine
souvent plus brute et plus impitoyable
que celle des tribus primitives
qu’on se représente vivant farouchement nues
dans les jungles les plus obscures et reculées
.
Or ce sont elles qui savent avoir le plus
à craindre du bipède inconnu que voici
(ou d’un autre) livre sacré dans une main Qui sont les sauvages ?.
Si de l’ongle on gratte
le vernis plus ou moins opaque
dont se couvrent nos sociétés soi-disant
civilisées
. point n’est besoin d’insister beaucoup
pour mettre au jour une sauvagerie humaine
souvent plus brute et plus impitoyable
que celle des tribus primitives
qu’on se représente vivant farouchement nues
dans les jungles les plus obscures et reculées
.
Or ce sont elles qui savent avoir le plus
à craindre du bipède inconnu que voici
(ou d’un autre) livre sacré dans une main
bouteille d’alcool dans l’autre
et tout le corps enveloppé
d’un halo de germes et virus mortels
.
Au nom d’une fraternité hypocrite
et de promesses de salut jamais réalisées
l’humanité contemporaine ne vise
qu’à faire disparaître l’humanité ancienne
Celle qui vivait en bonne intelligence
avec le monde et non pas contre lui
comme l’humanité du XXI ème siècle
laquelle volontairement ou par impuissance
semble avoir hâte d’en finir avec la planète
et tout ce qui vit – elle-même y compris !
bouteille d’alcool dans l’autre
et tout le corps enveloppé
d’un halo de germes et virus mortels
.
Au nom d’une fraternité hypocrite
et de promesses de salut jamais réalisées
l’humanité contemporaine ne vise
qu’à faire disparaître l’humanité ancienne
Celle qui vivait en bonne intelligence
avec le monde et non pas contre lui
comme l’humanité du XXI ème siècle
laquelle volontairement ou par impuissance
semble avoir hâte d’en finir avec la planète
et tout ce qui vit – elle-même y compris !Jour de deshérence
.
Le profil délicat de la Muse
dans l’écrin du contre-jour
.
Le crabe lunaire sorti
de sous la couverture salée
.
Alentour l’estran abandonné
par le retrait de la marée
.
Fortes odeurs de sentines
Débris de ferraille et plastique
.
L’après-midi décline ses ombres
sous le flanc des carènes obliques
.
On dirait de grands poissons morts
près de flaques d’images froides
.
Seules bougent et crient les mouettes
et se renvolent en un bruyant désordre
.
L’océan au loin n’est qu’une épingle
Brillante rature en travers du désastre
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