• Stéréoscopies

     

    Samarkhand

     

    Samarkhand - Grande porte.

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    Stéréoscopies
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    Les images de ce que le Moloch du temps a dévoré,
    comme elle deviennent précieuses à mesure
    de leur ancienneté : je revois Samarkhande
    en photo sur ces lames de verre d’une vieille
    petite visionneuse stéréoscopique en bois verni
    et vis de cuivre grâce à quoi mon arrière-grand-père
    avait gardé les souvenirs en noir et blanc
    de l’un de ses voyages fascinants en Orient…
    Parmi tous les clichés dont l’illusion de relief
    était parfaitement au point (certains en partie,

    hélas, brisés par des générations d’enfants peu
    conscients de ce que pouvaient avoir d'unique
    ces fenêtres sur un monde pour eux périmé)
    celui qui m’a rétrospectivement le plus frappé,
    c’est le panorama de l’Acropole d’Athènes, vers
    1850, dont on aperçoit les ruines enfouies sous
    les ronces et les herbes folles, en haut d’un
    vague sentier qui serpente entre des oliviers
    rabougris, jusqu’aux propylées mangées par
    une végétation jamais vue sur d’autres photos.
    C’était vers la même époque, me semble-t-il,
    que Flaubert avait voyagé à l’est. Mais point,
    comme mon arrière-grand-père, pérégriné au
    Turkhestan russe et au-delà, en ces déserts
    ravagés et ces caravansérails nappés de poudre

    rouge où, debout au milieu d’un foutoir inouï

    de ballots, d’outils, cuirs, fourrures, ustensiles

    exotiques aux formes biscornues, parsemé

    d’humains enturbannés en robes blanches

    ou sombres, blatéraient de grands chameaux.

     

     

     

     

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    Un effort de réalité

     

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    Fleur des haleines de la mer, cruauté bleue, sommeil sanglant, en vrac les mots déchargés s’accumulent sur la rive neigeuse, comme une foule tombe à genoux.

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    Le sable mouillé s’effrite et bientôt te file entre les doigts, ce que tu observes hébété, l’esprit accablé par une conscience des choses impartageable.

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    À l’angle du môle, une femme jette aux mouettes des fragments de nourriture qu’elle puise dans un sac en papier, secoué par les turbulences de l’air.

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    Tu scrutes le regard que tu poses sur les pierres qui dallent sous tes pas la jetée, y cherchant désespérément une autre sensation que celle d’un veritge irréel.

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    Tu n’arrives pas à prendre au sérieux la fermeté des choses, la crasse huileuse sur l’échappement de cette moto droite sur sa béquille, par exemple.

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    La chanson qui t’arrive de la boutique du glacier au péristyle de parasols multicolores semble une musique de film qui se dissipe dans l’azur brûlant….

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    L’enfant, qui sort en léchant un gelato pointu marbré de chocolat, passe près de toi en te lançant un coup d’oeil où brille la satisfaction d’être en vie.

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    (Carnolès 1991-Paris 2018)

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    Autre effort de réalité

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    Cette voix pour ainsi dire aphone emporte tout comme débâcle au dégel. Ruisselante de figures bleues, de vibrations brillantes, d’images en clair-obscur comme lorsque dans sa psyché se mire nue la vérité…

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    L’angle des mouettes en vol copiait les aiguilles de l’horloge au fronton de la chapelle, lorsque les pins altiers regardaient de très haut à l’est, rasant les flots dans le sang des parturitions, ce petit lumignon jadis nommé Hélios.

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    Dans l’ombre noire des arcades, des monstres nocturnes, pas encore dissipés par les pénétrantes clartés du matin, surveillent d’un œil frustré une fillette qui promène en laisse un petite chien blanc, ébouriffé, digne de Carpaccio.

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    Par la fenêtre de l’hôpital, une infirmière aperçoit un cycliste qui appuie sur les pédales, remontant la rue pentue qui longe le parc, puis le supermarché aux volets de tôle ondulée encore baissés. Son patient intubé dort sereinement.

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    Entre des immeubles, invisible une serre de maraîcher s’étire, donne un moment prise à la lumière oblique, lance un reflet aveuglant pendant quelques secondes. À l’intérieur, une femme avec un foussoir arrache des choux d’un beau vert.

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    Bientôt les premiers étals du marché s’ouvriront sur la petite place triangulaire, qu’en passant éventent les autobus. Il y aura là, métalliques, les brillants poissons frais pêchés. Les marchands de fruits, légumes, quincaillerie, miels et confitures « bio ».

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    Une vieille à la voix rauque et un peu cassée, en discutant avec une amie de son âge aux cheveux frisottés, farfouille dans les foulards et les ceintures, sous l’oeil attentif d’un vendeur entre deux âges, au sourire mi-figue mi-raisin.

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    Là-haut, la montagne déploie ses draperies décorées de sapins jusqu’à la mer clignotante. La rade aux voiliers entrecroise ses mâts en duels qui rivalisent pour désigner le ciel. L’odeur pure des mimosas parcourt l’espace de sa mélodie mentholée.

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    (Carnolès 1991 – Paris 2018)

     

     

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    Qui est-ce ?

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    Progresse, progresse sans redouter les moqueries,

    petite voix pure, sur un rythme paisible et sûr.

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    Aucun chagrin, aucun désespoir ni mélancolie

    ne peut empêcher ta marche paisible et sûre.

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    Il n’existe pas d’obstacle à la voix qui chemine

    silencieuse, frôlant les choses au sein du silence.

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    C’est elle qui organise en secret le train cosmique,

    seule féconde face à la noirceur du chaos mortel,

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    Avançant à travers l’angle aigu des perspectives

    ainsi qu’une fillette intrépide qui refuse le mal.

     

     

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