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Endurance du poète
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Même épuisé nul ne pourra dire qu’il a fui
Il aura scruté les choses depuis le bord du gouffre
Au pied du peuplier droit comme un minaret
les pies avec force courbettes saluent tour à tour
l’orient En piétinant la vasque dont l’eau déforme
les mosaïques deux palombes du bec pincent
les extrémités d’un reflet désaltérant mais
insaisissable La brise discrète comme chatte
se fraye un chemin parmi les fins bambous
Pour qu’existent l’invisible et l’insignifiant
même épuisé il pointait les petits détails
il lui semblait qu’ainsi la réalité retrouvait
du sens comme on retrouve en ratissant un tas
de feuilles mortes une vieille montre perdue
sur le cadran de laquelle l’insatiable défilé
des heures a été remplacé par l’éternité
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Mille mots c’est déjà trop !
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Un étroit vocabulaire, c’est entre ses fourches caudines aujourd’hui qu’il est recommandé de se glisser en s’inclinant face aux grimaces ivres des vainqueurs. Toute phrase qui dépasse le style d’un article de journal de province relatif aux chiens écrasés, ou au chat perdu de la Mère Michel, est devenue illisible. Qui désormais lirait sans ennui les lettres de Diderot, hormis quelques irréductibles dont je suis ? Voilà une langue française d’une inventivité subtile au point de ne point sembler antinaturelle, en dépit de son élégance manifeste… Ce point de performance dans la formulation l’égalerait aisément au grec ancien de Thucydide. La Fontaine ou Diderot étaient nourris des auteurs antiques et leurs lecteurs l’appréciaient. Le modernes ne sont nourris de personne. Ce que leurs contemporains apprécient, leur mémoire culturelle étant un désert où ne se dressent pas même quelques colonnes érodées parmi les orties.
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Admirer
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Vient une période, tardive, de la vie, que je découvre. L’on y préfère admirer les créations et « performances » de plus jeunes que soi, qui dès leur jeunesse sont davantage prometteurs qu’on ne le fut à leur âge. Le ciel qui longtemps nous précédait d’un bleu métaphysqiue, est à présent derrière nous, ainsi qu’une éclaircie que le mistral a emportée et qui désormais jette ses échelles de lumière sur un paysage prochain. Malaisée à concevoir cette image qui voit renaître dans notre passé récent les racines d’un avenir que nous ne verrons pas mais que l’on ressent intensément ; dont l’intuition nous fait deviner que nos successeurs ont reconnu l’étoile vers laquelle marcher, celle que nous-mêmes n’apercevons plus, ce qui est normal puisque la vue baisse avec les années !
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Persistance P h y s i q u e
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Cela, autour de nous, ressemble à un panorama d‘un siècle nouveau qui de toutes ses forces répugne à la beauté, tente de promouvoir une préférence pour le monstrueux baroque, Basquiat et Stephen King, terreur et religion, destruction sans reconstruction, maturité sombre contre enfance lumineuse, éphémère contre durable, migrations mortelles et désespérées.
L’univers dans les télescopes s’obstine néanmoins à être saisissant de splendeurs diverses, Jupiter, Saturne, Uranus, que sais-je, mais aussi les nébuleuses irisées aux scintillements arachnoïdes, les galaxies qui sont les nautiles nacrés de l’espace noir, et la Terre, la Terre indigo qui, dans la nuit, à cause des cités des hommes semble un miroir concave de la coupole étoilée.
Quant au plancher des vaches,
avec au loin des guirlandes neigeuses posées sur les crêtes rosies par l’aurore, avec les régiments de forêts qui bivouaquent sur les pentes et surveillent les prairies où l’on s’allonge au ras des pâquerettes pour écouter les oiseaux, les obstinés qui survivent, et suivre des yeux la patience du rapace dont les anneaux fugaces feignent d’enchaîner l’azur, et surtout, surtout, avec la nymphe nue qui se détache d‘entre les troncs ombreux pour venir s’allonger tout près, en ruminant un brin de menthe ou de verveine,
ce plancher des vaches-là,
qu’un instant traverse un dix-cors altier, un daim au poil tacheté de blanc comme une amanite-panthère, plus souvent une laie insolente suivie de ses petits zèbres trottinants de la tête, malgré les laideurs diverses dues aux négligences, et plus encore à la cupidité humaine,
demeure un espace où les saisons déclinent en chantant les seuls miracles, même appauvris, qui puissent vraiment combler des âmes de vivants. Merveilles qui, de leurs ramages, rebrodent nos vies ainsi que l’écume fleurit chacune des vagues miroitant sur l’abîme salé, plein de squales acérés, de coraux, d’anémones rouges, méduses translucides et poissons-lunes !
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Traces d’âme
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On peut bien ambitionner une écriture
qui ne dévoilerait rien du for intérieur
d’un plumitif qui se veut objectif et honnit
les siècles de subjectivisme romantiques
jugés avachissants comme la terrible
beauté que l’Autre avait assise sur ses
genoux et – selon ses dires – injuriée,
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quoi que l’on s’applique à désincarner
dans tout ce qui s’écrit, un esprit aigu
détectera toujours des indices, aussi
subtils soient-ils, du Je qui s’imaginait
un Autre et prétendait à l’impersonnel
alors que cette seule ambition suffisait
à trahir ce que voulait taire son oeuvre
2016
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Partis de Ste-Maxime
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Que m’emporte en son incendie
un vent irréfléchi
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Que la langue qui couvait
dans la salive de l’encre
s’envole et révèle la braise
sous les cendres de la nuit
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Ainsi s’avançait dans l’aurore sur la baie
le pointu vert et léger comme plume
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Puis dans l’illusion d’avancer
qu’entretenait la houle déplaçante
le vieux ridé jetait l’ancre d’abord
puis l’épervier transparent ensuite
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Lingots d’argent loups rascasses girelles
mourines anges La mer était riche alors
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Homo suffectus
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Daphnis, la gorge serrée, tu as beau tenter d’étrangler tes paroles
elles éclatent contre ton coeur comme écume sur un rocher
Tu ne regardes pas assez vers l’avenir Secoue ta langueur bucolique
Après tout l’homme n’est qu’un amas de protoplasme en quête
d’équilibre qu’il vienne à disparaître un autre amas le remplacera
que n’intéresseront plus les entrailles de la Terre – ressources que
trois Ga ont constituées et trois siècles de société « moderne » auront
suffi à épuiser, pétrole charbon uranium lanthane scandium néodyme
Ô vie future qui nous auras survécu et dont j’ignore la forme
je t’en conjure souviens-toi de nous et garde-toi de nous imiter !
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Chaque jour
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Comment se mentir encore Des femme noires
déambulent hébétées parmi les ville éventrées
Une tornade inouïe de puissance a dévasté
les plaines d‘Alabama Certaines îles seront
bientôt submergées par la fonte des banquises
Passons La liste des catastrophes qui se profilent
ou se produisent déjà est impossible à terminer
De nouveaux drames surviennent chaque jour
auxquels avec détermination des humains
haineux, bornés, indignes de leur verte planète,
se livrent, aveuglément parfois, le plus souvent
affichant une lucide et démoniaque férocité…
Comment se mentir, poètes, que l’aura sacrée
du prêtre-prophète a quittés faisant de vous autant
de Cassandres que nul ne se soucie plus d’écouter
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Désuet clair-de-lune
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Hors-sol entend-on dire de qui se soucie
de poésie C’est l’expression à la mode
Pour nos contemporains la Lune n’est plus
cette lumineuse référence de beauté que jadis
l’on citait dans l’orient d‘Omar Khayyam
pour louer le teint radieux des bien-aimées
Chez nous être « comme la lune » n’a rien
d‘un compliment « être dans la lune » ne vaut
guère mieux Ma foi si le malheureux Pierrot
dans sa chambrette sous les toits n’a plus de feu
tandis que la chandelle de sa poésie est morte
que servirait désormais de lui prêter notre plume
pour écrire des mots dépourvus de destinataires
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Chevalier errant
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En l’écrin d’or d’un soleil d’or
beau comme le visage d‘un enfant qui dort
j’ai vu caché le coeur brisé de la journée
Ses éclats de cristal répandus sur les fleurs
les feuilles et les branches de Verlaine
clignaient selon l’angle de mes pas
Peu de bruits Un vague aboi sous les brumes
de la vallée Quelques odeurs de chèvrefeuille
Les talus et les champs verdis par la rose aurore
Il ne manquait ce jour-là que ma dulcinée
Raison de ma triste figure Ce que devaient
penser aussi les matinaux pressés que je croisais
sur mon chemin Cependant à la différence
de ces passants – moi je n’allais nulle part
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L’art de l’apparition
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À chaque jour son étonnement
songe en fouettant le sol un nuage
qui volait mais s’est trouvé soudain précipité
en une averse scintillante arbitrée par le soleil
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Racontons-nous vieux enfants que nous sommes
ce genre de petites fables qui en disent long
sur notre combat contre la grisaille du réel
Elles ne font pas davantage de mal aux vivants
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que les affabulations que nous évoquent
les odyssées innombrables qu’a vécues
notre Mer depuis les Grecs et les Phéniciens
dont les amphores naufragées pavent les abysses
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où dans la transparence en rythme se balancent
les algues douces comme syllabes de poèmes
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Aphrodite endormie
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Jaloux du soleil moi-aussi j’ai embrassé
doux comme mousse l’or de ses cheveux
tandis que la Muse feignait d’être assoupie
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Étourdissant jasmin de l’air à ce baiser
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Le sable de la plage confortait mon vertige
instable et tiède ainsi que le fond d’une barque
à midi lorsqu’on se laisse dodeliner sur la vague
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J’aimais cette insolite libration terrestre
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On pouvait croire qu’elle engendrait l’hypnotique
régularité du ressac déversant à deux pas
ses arpèges de lumière écumeuse et fraîche
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qu’une petite oreille roulée comme argile au pouce
recueillait pour que demain mon amour s’en inspire
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La plaie
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L’homme, un roseau pensant, s’il n’est pas le plus faible de la nature, incline cependant à se croire plus fort qu’elle. Forfanterie.
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L’humanité a été façonnée par la nature. Elle en fait partie, pense malgré tout pouvoir en modifier les règles au nom de « l’équité ». Forfanterie.
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En se retournant contre la nature pour la « combattre » et instaurer une autre éthique, outrecuidante, antinaturelle, l’humanité moderne se suicidera.
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Un typhon en Alabama est de la nature, invincible comme un orage, une éruption volcanique, l’impact d’une météorite. Reste à compter nos abattis...
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Ce que fut l’humanité, dans sa grandeur bravache héritée de ses mythes et des rêves de la science, les archéologues extraterrestres le mesureront à ses ruines.
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Avec ses bombinettes atomiques, un dictateur un jour ou l’autre engendrera le processus de destruction des humains. La planète, elle, a vu bien pire.
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L’humanité inconsciente, face au « silence des espaces infinis », lance quelques microbes-sondes métalliques. Moins qu’un duvet à la surface de l’océan.
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On ne réforme pas la nature, pas davantage que l’on ne « terraformera Mars ». Sa loi naturelle est compétition, élitisme, survie. La nier produit l’autodestruction.
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Seules les machines robotiques peuvent être produites toutes identiques et avec les même capacités. Les humains, non. Même cachée, la loi naturelle demeure.
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Quelle hypocrite fiction, la vision populiste qui consiste à faire croire à l’humanité que n’importe qui peut devenir Mozart, Einstein, Picasso, Michel-Ange, etc.
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Les médias modernes sont les fourriers de tous les mythes stupides et antinaturels de la post-modernité. Compétitions truquées, aventures préfabriquées, fausses nouvelles. La plaie.
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