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Par Xavier.Bordes le 16 Décembre 2023 à 12:22
Purgatoire
Par la fenêtre de la salle d’attente
un grand arbre noir se ramifie
Des passages d'automobiles dans le soir tombant
jettent des éclairs parmi les branches nues
Au-delà, les façades ressemblentà de petits cimetières verticaux
avec alignements de tombes aveugles
Certaines s’allumeront capricieusement
lorsque des vivants revenus de leur travail
rentreront chez eux J’entends vaguement
dans le cabinet voisin que le médecin
parle avec un patient Une personne entre
et s’assied cheveux très noirs visage neutre
A présent nous sommes deux à attendre…
Cinq si l’on compte les trois plantes vertes
ébouriffées qui décorent les angles de la pièce
et d’évidence patientent
depuis bien plus longtemps que nous...
Singulier personnage
Tous les jours on le voyait dans le quartier. Un peu dérangé sans doute, en marchant il parlait assez fort, non point comme tout un chacun à son téléphone, mais à « l’âme du vent ». Allez comprendre ! Vaguement souriant, à qui l’interrogeait il ne refusait pas de répondre. Mais ses réponses étaient assez obscures : - « C’est ma fiancée ! » disait-il. « Ma belle fiancée… Seul je peux la voir, vous non ! Et c’est bien fait !» ajoutait-il sur un ton soudain catégorique. Puis il s’en allait en marmonnant et imitant le cri des poules quand elles s’incitent mutuellement à picorer.
En deux temps
Jusqu’à dix ans légère avec ciel bleu
aurores douces derrière la Vierge
au nid de son buisson de roses claires :
légèrec oui, celle qu’on ignore encore
être la vie – et que l’on vit gaiement
Après l’on commence à s’interroger
On découvre que chaque avancée
use un peu de ce que nous sommes
et que rien n’ira plus en s’améliorant
On prend conscience du site – disons !
Un brin de joie de temps en temps
luit encore au long du fil des années
tel un fugace clin de soleil sur une toile
d’araignée – mais d’une joie toujours
en secret menacée par l’arrière-monde
cruel et sans pitié que l’on a découvert
(après dix ans d’inconscience heureuse)
être le propre de la « condition humaine » !
Énigme lustrale
Ce soleil froid
qui passe sur les flaques
de mes rêves !
Frisson du souvenir
emporté par le vent mouillé
comme un papier gras
à travers la rue déserte
Une illusion de profondeur
m’ouvrait ses merveilles
Atlantis de corail
où sinuait la souplesse
de la Sirène au masque d’or
Un Jadis dont on ne revient pas
Comment eus-je su que je l’aimais
si je n’avais souffert à cause d’Elle
Défilé des Nocturnes
Ton cerveau dans la nuit noire
encombré par l’apparition de toutes sortes
d’objets incongrus et de visions inouïes
qu’il est difficile de le calmer, de le
débarrasser de ce bric-à-brac surréaliste !
Rien de matériel là-dedans pourtant
Seulement une impérieuse fantasmagorie
que ton sommeil peine à dissoudre
et balayer pour dérouler ses songes apaisants
qui ne veulent rien savoir des conflits du monde
En quoi du reste y changerais-tu quelque chose
vieux parasite que tu es sur cette planète
parmi tantôt sept ou huit milliards de tes pareils
fanatisés par leur besoin d’exister et de survivre
sans davantage de véritables raisons que toi
si ce n’est leurs bric-à-brac mentaux différents
et d’autres fantasmes aussi rétifs et cruels
que les tiens - mais qui te sont inconcevables...
Simple matin réel
Étrangement les mots me manquent
pour dire l’éveil et la simplicité du jour.
Dire le lit blanc de la Belle au bois dormant
visage rose et pur fouillis de cheveux dorés
Elle fait semblant de dormir mais reste
toujours en éveil Devine votre approche
même à pas de loup lorsque la pénombre
éclaire la beauté de son sourire mystérieux
Quelle peine à dire ce qui est alors qu’on
éprouve en soi ce dire comme indispensable !
Décembre assombri
Recroquevillant ses branches lumineuses
sur elle-même ton étoile se rabougrit
Tu la sens frileuse et grelottante
dans l’indigo abyssal de l’altitude
Une sorte de nœud à l’estomac
que le printemps seul pourra dénouer
peut-être quand l’oxygène des feuilles
s’épanouira au retour de la lumière
Car tu veux croire qu’elle reviendra
Qu’à nouveau elle caressera le flanc
d’une jarre en céramique au jardin
Et rendra le sourire à celle que tu aimes
Instant très ordinaire
Comme je tournais au coin de la rue
mouillée encore des pluies de la nuit
le soleil m’a craché sa lumière au visage
et c’était un étourdissement de joie
si soudain qu’un instant les façades
alentour ont été prises de vertige
Un tremblement de terre silencieux
puis tout a repris sa place initiale
Les fenêtres ont retrouvé leur regard
vitreux et rectangulaire face aux
fenêtres aux regards vitreux et vides
des façades d’immeubles en vis à vis
Une odeur de feuilles humides régnait
sur le petit square et sa fontaine Wallace
mêlée à celle des pizzas du restaurant
italien voisin et des grillades du kebab turc
Un puissant camion de la municipalité
avec un fracassant vacarme déversait
dans sa benne un torrent de verre brisé
en congestionnant toute la circulation
Il serait bientôt midi C’est l'heure où sortent
et se croisent des visages pressés avec des corps
à nourrir en dessous Certains beaux d’autres
chiffonnés ainsi que brouillons d’écrits ingrats
qu’on a renoncé à jeter pensant qu’un jour
on en pourrait peut-être tirer quelque chose
Dites et redites
Il est probable que si l’on pouvait passer en revue tout ce qui fut dit et écrit depuis les époques archaïques, la conclusion serait que rarement en ce siècle du neuf pourrait surgir : ou bien serait-ce que les combinaisons que permet le langage et ses langues diverses, sont infinies dans leurs possibilités d’expression ?
Variations illimitées qui auraient alors été des réponses exigées par les variations illimités des natures humaines et de leurs sensibilités, dans leur façon d’appréhender les choses du monde et leurs relations avec les circonstances de la vie, à la fois de chacun et de tous…
Existera-t-il une différence à l’avenir entre les écrits commis par des Intelligences Artificielles, et ce qu’on devra sans doute nommer des « Auteurs Humains Naturels » ? Ou ces masses de pages écrites ne seront-elles que la continuation d’un perpétuel ressassement ?
Aux environs de Paulhan
Même sans notre flânerie
le soleil du sud fait briller là-bas
entre les rangs des vignes
les silex glauques éparpillés au sol
Agréable d’y songer Une odeur
de poudre à fusil s’en dégage quand
dans l’espoir d’une étincelle
on les entrechoque
Le même espoir souvent déçu
il est vrai qui pousse le poète
à entrechoquer les mots
les visions et les phrases
Sans défense
Ces radiations obscures
qui s’élargissent comme autour de la Pierre
les ondes en anneaux pliant les lumières
comment les nommer ?
Est-ce fiction ou réel ces moments
où subitement tu t’en sens le corps
transi de tout un hiver de faiblesse
Encapuchonnés des bipèdes
étranges et pourtant de ton espèce
se croisent sur les trottoirs luisants de pluie
Tu te demandes s’il arrive
qu’ils ressentent ce que tu as ressenti
Autour de la Pierre là-bas très loin
presque aussi loin que si c’était du passé
les ondes circulaires plient la lumière
en repoussant le Noir jusqu’à
tel Infini insoluble à la pensée
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Par Xavier.Bordes le 10 Juin 2023 à 19:48
Dans la patience du jour
Dans la patience du jour 1.
Ne redoute donc pas le point du jour
Il réveille ensemble – regarde ! -
l’aurore du soleil et les pivoines du vase
Dehors un chat noir se coule au long du mur
observe un instant les roses
. puis saute
chez le voisin à travers la palissade
Mon rêve rend transparents les immeubles
à travers lesquels j’aperçois
. jusqu’à la mer
Une mouette crie en survolant
la maison d’une aile mince et nonchalante
Trop de lumière trop de soleil là-bas
Sur la plage pourtant qu’importe
aux amoureux qui s’embrassent !
Dans la patience du jour 2.
Depuis quelques années
le réchauffement climatique
a surtout fait fondre
sur nous l’avalanche des mauvaises nouvelles
La science déploie autour de la planète
sa marée technique
. circonvenant
les îlots de résistance
à la vitesse d’un cheval au galop comme la Manche
autour du Mont-Saint-Michel
Minuscule et blanche
une barque de pêcheur freinée par le bleu intense
teufteufe en traversant l’immense
sérénité salée
Et l’archange là-haut, l’archange d’or
l’épée haute entre ses vastes ailes
avec sous ses cnémides le dragon écailleux
qui relève sa mâchoire ouverte
sur une évidence de crocs numériques
Dans la patience du jour 3.
Sous le rebord du toit midi
force à se réfugier les martinets
de l’ombre
. La lumière cligne
à l’épaule emplumée du merle
qui s’égosille debout sur une épaisse
branche de figuier
. petit chanteur
virtuose à m’observer d’un œil fixe
J’ai connu un maître qui disait que ce sont
les oiseaux les premiers
et les meilleurs des musiciens
Plus personne n’apprécie ce gentil
miracle de leurs cris et vocalises de cristal
J’ai l’âme pleine de chants d’oiseaux disparus
Dans la patience du jour 4.
Masqué d’un échauffement solaire
voici déjà juin à l’approche
Un peu de vent ignore qu’il agite
une fraîche absence de branches
Les baleines les orques les espadons
les narvals en troupes filent vers
le pôle nord dont se dilue, vaste ice-cream
la banquise
. geysers de vapeurs et d’écume
et sternes en essaims tourbillonnants
Oh que leurs ailes sont aiguës !
Le coeur plonge et replonge
dans ses amours avec la souplesse d’un phoque
À l’improviste il remonte en surface
bêle deux ou trois fois avant de s’assoupir
parmi les lis de mer qui sont analogues
à des sixains de poésie pure
Pendant ce temps le vent s’impatiente
Son groin intangible
fouit la mer, soulève les écumes
renifle des étoiles sous les vagues
tel un sanglier qui cherche des glands
Dans la patience du jour 5.
Rien ne m’aura davantage étourdi
(comme lorsque, la tête ailleurs,
celle-ci pourtant percute une porte vitrée)
que la gloire de l’août irradiant les rivages
quand sa lumière s’éparpille en milliers
de miroirs sur les vagues de la Méditerranée
et le temps s’efface au profit
d’une somnolence digne d’un de ces oiseaux
dont le vent, d’être sans bords, rassure
la sieste planante
aux yeux clos et larges rémiges frissantes
Ah l’infini de ces miroirs qui sentent
l’iode et l’oxygène !
Ah la joie de l’inlassable roulis auditif
quand on s’allonge à deux pas du clapot
les omoplates épousées par le sable
paupières translucides
rosies par l’indolence persistante de l’azur
notre vieux corps ravivé
par toutes les sensations de l’enfance
et la face échauffée d’un masque de soleil
Dans la patience du jour 6.
En t-shirt blanc passe mon Aphrodite
le parfum exquis du silence venu s’embrouiller
au nid de ses longs cheveux
Un ramier empêtré dans des fougères
Araignée d’or l’astre amoureux
innocent des crimes humains du carbone
là-haut tisse de rayons sa chaleur inépuisable
Insolentes les mouettes du front de mer
se répandent en cris et survols moqueurs
voyant que je marche toujours
derrière ma Beauté sans parvenir à sa hauteur
Puisque je l’aime
Elle – vive à pas de vent
De souffrances et de joies toujours devant
Et moi toujours en retard sur elle d’un souvenir
Dans la patience du jour 7.
Quand bleuissent les lointains de juillet
sur la côte incessamment redécoupée
par les ciseaux blancs de la mer
l’ombre stylise les calanques
Senteurs de nacre et de conques
l’air tiède à l’horizon s’efface
dans un léger tremblement de brumes
Au parc des pins un hérisson furète
sous l’hirsute anarchie des haies
pour dénicher la moindre
reptation obscure, le moindre
fragment de nuit
qui s’y seraient à l’aube réfugiés
La fraîcheur des fleurs contamine la brise
et rosit aux joues des bien-aimées
tandis qu’attendries sur les bancs
toute la matinée
elles surveillent des bambins
si neufs encore
si près de l’humain originel
que les traits de leurs petits visages
ne dissimulent rien de ce qu’ils pensent
Dans la patience du jour 8.
Ne crois pas ceux qui disent
que parmi les humains la justice passe
La justice comme les dieux
est hors du monde
où le hasard dicte ses lois imprévisibles
dont la première est que le paradis
quoique distant de l’épaisseur d’un cheveu
nous est définitivement inaccessible
Voici qu’entre deux ténèbres
se faufile avec sa balance à la main
l’éternel Chien Noir
La jeune fille d’or jette les osselets
43616 - face claire, masque de lune
Sa tunique glissée lui dénude une épaule
tandis qu’elle songe à de futures amours
Pour elle ce n’est qu’un jeu pensif
Vient l’heure pleine de froissements
Au mystère argenté des feuillus
la petite chevêche plaint sa solitude
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Dans la patience du jour 9.
Si svelte la Belle au balcon penchée
(pendant rideau sa longue chevelure d’or)
inondant de fraîcheur ses papyrus flexibles
pour soigner leurs boutures
Si sage au jardin sur son derrière
le petit chat noir trônant parmi les fleurs
Si clairs les soins du soleil qu’ils ont tout
reverdi : les haies sont touffues, les bouleaux
selon des courbes de saules pleureurs fléchissent
la grâce de leurs ramées alourdies
Aux distantes fenêtres des tours de banlieue
cligne brillamment une innombrable joie
On l’aperçoit d’ici sans oublier qu’au-delà
disons à quelques heures d’avion vers l’est
les vitres crevées des immeubles sont noires
les façades démantibulées par les explosions
On pousse un soupir qu’imite la brise tiède
En ce paisible et silencieux matin – pourquoi,
comme une guêpe dont l’idée fixe
est d’obstinément revenir à sa pomme
pourrie, notre esprit malgré ce ciel radieux
est-il hanté d’atrocités et d’images de guerres ?
Dans la patience du jour 10.
Tous comptes poétiques faits et refaits
la seule chose qui impose son sens à nos
façons de voir la vie et l’univers
c’est le fugace, l’insaisissable Temps
Cette sortes de trame mélancolique sur quoi
s’inscrivent tous nos gestes ainsi
que l’aiguille d’un sismographe inscrit
les vibrations d’un volcan sur un ruban
de papier blanc et le noircit d’informations
Le temps qui nous incite à scruter le profil
précieux de la Bien-Aimée si souvent
qu’on l’indispose et qu’elle se rebelle
«Si tu savais combien ça m’agace
que tu me surveilles tout le temps ! »
Pourtant elle se trompe On ne la « surveille »
pas On se dit qu’il ne faut pas laisser filer
les merveilleuses minutes de sa présence
car aucun instant ne doit se dissoudre
dans le passé sans avoir pu déposer
un film du talc doré de ses ailes
d’iconique Machaon sur notre âme blessée
Dans la patience du jour 11.
En dépit de son ton
si fréquemment désespéré
le langage en poème suppose
une presque imperceptible
vibration d’implicite espérance
Une attente traversée d’onde douces
qui fait songer au « plouf » imminent
d’un petit bouddha de jade replié
dans ses membres callipyges au-milieu
du plateau vert d’un nénuphar
sur l’étang de Bashô
Quelque chose comme la rencontre
probabilisée par le hasard
de deux êtres dont (sait-on jamais?)
la foudre unira les regards
sans que rien ne puisse éclaircir
les raisons de ce subit amour
Car l’étrange de ce monde pour ses
hôtes bipèdes est de leur inspirer
par poésie ou autrement
le pressentiment d’une élucidation
qui de fait se trouve indéfiniment différée
Dans la patience du jour 12.
Durement en ton esprit tu échafaudes
l’existence de ce qui veut être
Le rôle du miroir où se démaquille
la beauté des choses pour emplir
de leur pure nudité les regards désabusés
Tu voudrais modeler l’incandescent
chaos qui se berce aux tréfonds de toi
Sertir de fermes paroles son reflet d’argent
pour qu’il se réalise
Que la terre s’élève en pots de céramique
Que l’arbre gère l’azur dans ses ramures
Que le coquillage enseigne sa rumeur à la mer
Que la restanque aligne ses pierres sèches
Et que le soleil sur les pampres attise
le sucre translucide et froid des grains embués
que croqueront peut-être les dents
de Celle dont l’amour te fait vivre
Dans la patience du jour 13.
Transparents sont passés
les spectres inépuisables
Leur lumière minérale
ressemble à la nuit des pierres
Cela qui naît malgré tout
telle une herbe entre des pavés
veut sa durée et consent même
après fleurir – au décret de sa fin
pourvu qu’il en demeure féconde
une poudre de silence incoercible
Une manière de vérité écrite
avec le sang du sacrifice
Mais aussi avec l’illumination
joyeuse des aubes d’oiseaux
Voire quelquefois avec l’inévitable
foudre séraphique des orages
Elle - la première ou dernière !
Dans la patience du jour 14.
L’archange de l’été unanimement
célébré par les étoiles odorantes des prés
partout répandu veille sur le paysage
Il sera bientôt temps de cueillir les pommes
qu’on détache de l’émotion feuillue
des vergers
. Alignées là-haut sur les planches,
tour à tour désignées par les doigts du soleil
glissés entre les tuiles du grenier
jusqu’à la nuit elles parfumeront
le temps qui passe et la pénombre tiède
sous la pente des tuileaux en transe de lumière
Oui bientôt temps - pour ces fruits
arrondis par la joie du soleil - d’être cueillis
et conservés à la lumière immanente du poème
avec le magnétisme rémanent de l’amour
avec la grâce qu’à la vie donne l’être aimé
avec le souvenir des cris lointains de la mer
mêlés à la rumeur des mouettes pareilles
à de vivants flocons
. et le pressentiment
de certain hiver définitif
. qui approche à pas grelottants
cependant qu’impassible Uriel continue à gérer
la splendeur de ses étoiles
Dans la patience du jour 15.
Le temps de nos vie se ramifie
comme si chacune de nos décisions
au fil des jours divisait notre trajectoire
vitale en celle d’un moi réel et celle
d’un moi potentiel dont l’existence
en ce monde-ci se trouve évincée
parce qu’il aurait choisi (s’il avait pu)
de prendre l’autre décision – la refusée
Ainsi plus les années passent et plus
autour du tronc de notre moi réel
se démultiplient à profusion des « moi »
qui chacun suivent une variante
plus ou moins différente de notre vie
dans un cosmos qu’on suppose imaginaire
où l’on fait quelquefois des incursions
quand le sommeil nous libère du carcan
d’une réalité que nous avons élue
offrant un aperçu de tous ceux que nous
eussions pu être, en associant rêves
et souvenirs à celui que nous sommes :
nul besoin d’hypothèses scientifique
échevelée pour envisager
la coexistence des « mondes parallèles » !
Dans la patience du jour 16.
Qu’il serait plaisant de goûter
aujourd’hui au monde comme
enfant l’on croquait les cerises
dans l’arbre en soufflant le plus
loin possible les noyaux :
. à celui
dont la parabole atteindra le chat
qui nous observait énigmatique
et qui du coup, haussant les épaules
à sa façon devant nos facéties,
d’un pas de mépris nonchalant
s’éloignait
. pour bondir sur le toit
de l’appentis faire sa sieste au soleil
Goûter à la saveur acidulée du jour
oui – comme si lavé de tant d’années
d’accoutumance l’azur retrouvait
son bleu céruléen, les pivoines
l’intense parfum de leur carmin,
les pierres leur chaude douceur
de paumes ensoleillées par l’été
et les hautes herbes émaillées
de coquelicots, ce vert originel
qui tachait nos vêtements quand
au long de la prairie en pente
on se laissait rouler avec rires
et cris – traduisant la poésie
d’heures qui nous paraissaient
ce que nous pouvions connaître
de plus proche du Paradis...
Dans la patience du jour 17.
Sporadiques, les fragments d’éternité
auxquels parfois l’on accède
lorsque la Beauté dans la brume du matin
laisse au navigateur pris au dépourvu
entrevoir son archipel doré
Il y a le choeur des neuf sirènes occultes
qui superposent les points d’orgue
de leurs voix étagées
. Les odeurs de salines
d’une mer absente,
les parfums de jasmins
et de giroflées d’un jardin d’Éden qui depuis
belle lurette n’est plus de ce monde
Si le temps est particulièrement clair
au-dessus des acacias des ifs et des figuiers
on verra dépasser les cônes d’ardoises
des tourelles effarouchées de tourterelles
d’un château qui protège l’attente
de la Belle Endormie
Ah ces fragments d’éternité - poèmes
angoissants et merveilleux comme
des promesses qui ne seront jamais tenues
Dans la patience du jour 18.
Aïlenn dit que les poètes devraient
vivre en ermites sur la montagne
à la façon des anachorètes chinois
ou circuler indéfiniment avec leur bâton
sur des chemins couverts de pierres
et de ronces ainsi que les moines gyrovagues
tels que le fameux Ryôkan
Elle rêve constamment de justice
d’éthique, de vérité – l’âme lourde
d’un silence doré comme une iconostase
où miroite au secret de la pénombre
les images hiératique de ceux qu’elle aime
mais aussi de tous ceux qu’elle a aimés
Car pour la Belle qui volens nolens
hante en permanence mes poèmes
le passé ne s’efface jamais
Dans la patience du jour 19.
Il tricotait son langage en prenant exemple
sur la manière qu’a la mer
de tricoter son écume
Convaincu que pour tenir chaud à l’âme
que glace un seul pôle nord – la pensée
de l’Inévitable -
rien ne pouvait être fermement dit
qui ne soit maille à maille compté
Certes il savait bien qu’écrire
revient à confectionner
des ourlets de dentelle à la vie
Que le soleil engloutira tôt ou tard
dans sa fournaise ses planètes
Que d’ici-là toute humanité aura été
gommée de l’univers sans qu’il en reste
même l’ombre d’un souvenir
Mais cela n’importait point Pour lui
le poème se suffisait de saisir
avec les griffes des mots l’Instant Présent
celui qui merveilleusement,
énigmatiquement, voit Aïlenn
mouvant ses ailes d’ozone
sourire sans sourire – fusion de la Joconde,
du Printemps de Botticelli et d’Ouriel à Reims,
alter ego de l’Ange de l’Annonciation !
Dans la patience du jour 20.
Les pivoines se gonflent dans leurs plumes
Chacune rêve qu’elle est une aurore
L’instant est tout parfumé de leur présence
(Ce dimanche est celui qui honore les Mères)
La soirée commencera bientôt : Ezra
et son père sont repartis J’écoute au piano
Alicia de Larrocha jouant les quatre cahiers
d’Iberia Je me dis que quoi que l’on fasse
il est rare qu’on parvienne à transmettre
l’essentiel de ce qu’une vie nous a permis
d’accumuler
. Ainsi je me dis que quand
Ezra aura atteint l’âge adulte si jamais
il ouvre un de mes livres, leur « poésie »
lui paraîtra d’un autre temps, désuète,
illisible, bref
. d’un temps complètement
étranger à ce que lui vivra sur une Terre
changée au point que fête des Mères,
pivoines (et tout le reste de notre mode
actuel de vie) sembleront aussi ridicules
que ce que nous montrent quelquefois
à la TV les publicités des années 1950 !
Dans la patience du jour 21.
Penché sur l’abîme à la verticale
de tes années tu regardes le temps
cascader en blanchissant les profondeurs
On dirait que plus on est en altitude
plus le réel d’en bas semble
retourner à l’innocence
On voit les étoiles de notre voisinage
naître du miroir de la mer
comme pour compenser les inévitables
larmes de l’amour
Dans le feuillage du laurier une mante
religieusement compte les perles
de son chapelet de rosée - gros yeux
interrogatifs, fine antennes en V
sur le triangle vert de sa tête
Étrangement hiératique elle pose
en costume d’éternel printemps
avec des airs de divinité extraterrestre
Toute petite heureusement au fond
de l’abîme alors qu’à huit ans
quand j’en observais une de près
je la voyais grande comme une girafe
ou comme une sorte de Tyrannosaure
C’était - bien sûr - avant la Chute !
Dans la patience du jour 22.
Il arrive qu’un jour on donne de la tête
dans l’Inexplicable et c’est : la poésie !
En pataugeant pieds-nus parmi des reflets
d’une aurore salée l’on s’aventure
vers de scintillantes lagunes roses où mille
blancs points d’interrogations imitent
les flamants
. Sur l’autre rive des cannes
hautes dans la brise se bercent de l’idée
qu’elles pourraient devenir des flûtes
ou des anches de hautbois
. Aussitôt
un acide goût de rhubarbe vient
à la bouche et frissonne à nos lèvres
qui le modulent en amertume de lune
À cause de quoi la nuit l’on murmure
tout seul en écrivant des lignes fiévreuses
que l’on relit le matin en les jugeant insensées
sans oser pour autant les effacer
car elles semblent du même métal sacré
dont sont faits les vases, calices et autres
instruments des libations dédiées au Verbe
ou à quelque autre lumineux Aïus Loquens...
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Dans la patience du jour 23.
C’est que si peu nombreuses sont les œuvres
qui ont inoubliablement arraché
quelque fragment de vérité
de l’être humain à son origine
. cette aurore de l’enfance
naissance après naissance
constamment renouvelée comme se r’ouvre
avec l’indigo des flux et reflux matinaux
le coeur safran du lys de mer
Et chaque génération doit apprendre
à composer la partition du prochain vivre
sans guère bénéficier
des expériences de ses aïeux
Apprendre le discernement dans ses
admirations et ses rejets ses amours
et ses désamours Apprendre
que les choses les plus quotidiennes
à l’instar des personnes veulent ê t r e
au miroir bienveillant de nos regards
tel ce vase de pivoines roses en boutons
qui s’est épanoui depuis qu’Aïlenn –
maîtresse du Silence – le soigne
à force d’attention et d’eau pure
Dans la patience du jour 24.
La pensée – comment s’y fier !
Tu songes à l’univers déroulé
tout au long du tissu du temps
à la façon de la Tapisserie de Bayeux
ou d’Habitater dans les monts Fu-Chuen
la peinture de Huang-Gong Wang
mais évidemment en bien plus immense
car à la différence de ces œuvres d’art
pours lesquelles la question du Commencement
ne se pose pas, non plus que celle de la Fin
si l’on veut penser le commencement
de l’univers on se demande : qu’y avait-t-il
avant ? Et si c’est la fin : qu’y aura-t-il après ?
Et bien entendu, comment se fait-il
qu’il y ait quelque chose plutôt que r i e n
Et que vont devenir ces milliards de galaxies
composées d’une débauche de milliards d’astres
(chacune analogue à un pommier en fleur
sans abeilles pour le féconder)
Et notre petite terre verte et bleue
avec son mince tégument d’atmosphère
si petite à la périphérie de la Voie-Lactée
face à l’incommensurable noirceur cosmique
que régit l’espace-temps
. Autant de questions
auxquelles l’imagination poétique peut seule
esquisser quelques réponses incertaines
car en pareil domaine la Logique rarement
s’accorde avec la Raison
. Ainsi déconcertant
l’Univers en fin de compte serait-il
une émanation de l’Amour ?
fin
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Par Xavier.Bordes le 26 Avril 2023 à 20:15
Fugace éternité (10)
.
Les abeilles malgré les fleurs,
leurs parfums, leurs couleurs fraîches
bercées des brises,
connaissent-elles la tentation
du Renoncement ?
.
Fidèle à ton poème
planté comme un atoll
en plein océan laiteux, tu écris
certes ! Mais pourquoi ?
.
Les eaux là-bas étincellent
de toutes les gloires du mirage,
fantasmes de pierre et de feu,
chansons et pleurs et pluie.
.
Lorsque la solitude mentale
marche à travers la solitude universelle,
parmi les foules versatiles
avancer ou non qu’importe ?
Toute perspective est : d é s e r t...
.
Fugace éternité (9)
.
D’une panosse de vapeurs
son regard astique le plancher du ciel,
ange de l’altitude…
.
Purifié l’infini éclaire
de turquoise le miroir de la mer
où l’on voit sur les flots marcher
le spectre radieux d’Aphrodite.
.
Penchée dans sa chevelure blonde,
elle vient déchiffrer les hiéroglyphes
d’un millénaire de hasards
sur les galets gris et roses...
.
Chaque onde jette un réseau d’écume
pour, dans un instant d’éclaboussure,
piéger le charme de son corps
mais – trop court
toujours trop court!
Fugace éternité (8)
.
Elle aime rire,
pour orner le quotidien
d’un brin d’élégance.
.
Elle vient en aide au vent
si le jour est néfaste
et sans mystère.
.
Elle agrémente l’infini
du profil de divinité
qui lui manquait.
___________________________
Fugace éternité (7)
.
Fables heureuses
résumées en restanques et mazets,
silence troublé de cigales et
soleil septième de dominante.
.
Le visage
et la démarche de la Beauté
persistent sur notre rétine
en étoile pourpre.
.
Les sept années
glissent comme la lumière
des mouettes sur la mer
qui demeure
verdeur et profondeur.
.
Petite et pure,
jolie comme une idole
des Cyclades,
la voici dans ton regard
qui s’avance voix élue,
doux accord,
musique d’oiseaux.
.
Site tiède et charnel de nos rêves, renversant
Soleil solitaire, soleil transparent
résumé du monde - que je t’aime, ô ma
fascinante Beauté blonde !
Fugace éternité (6)
.
Le bleu
efface les étoiles
dans l’ombre du vieux lavoir.
.
Il y a des glycines
nonchalantes qui tombent
de l’avant-toit croulant,
l’air embaume.
.
Parfum de temps révolus
qui aère les venelles du village !
Antiques pierres sèches
et bornes au coin des porches...
.
Mais où les chars à foin
aux roues cerclées de fer
et, pelage luisant de soleil, les croupes
des percherons puissants ?
.
Où les femmes qui,
en chantant battaient, le linge
et se moquaient de leurs amoureux
en rinçant les caleçons ?
.
Où les copains
qui criaient sur la place en jouant
aux barres ou à chat-perché,
cartables de cuir entassés
près de la fontaine
après l’école ?
.
Morts - ou veufs, vieux et ridés,
sans cheveux,
méconnaissables.
.
L’azur
efface les souvenirs
au fond de nos mémoires...
Fugace éternité (5)
.
Matière
de chair, être là
vase de céramique
où tremble
le verbe...
.
Rouge argile figée
par le feu,
roidie dans sa forme.
à côté du seuil :
voyez comme en son col
l’amarante et la marguerite
oscillent au vent.
.
Solitude du bois rainuré
de la porte qui bat.
Le temps s’ouvre et se ferme
sur les pétales effeuillés ;
marguerite solitaire
au coeur d’or...
.
Larme d’aurore
un grain de l’aiguail,
déploiement exemplaire de l’hymne,
recèle un germe de soleil,
enferme l’oiseau et le nuage
et tout l’infime paysage.
Fugace éternité (4)
.
Un rayon de soleil au défaut
du rideau empourpre
telle bouteille oubliée
.
La main posée sur le bois
veiné de la table
palpe sa propre sensation :
.
Une chose belle et douce
comme l’épaule nue de Celle
dont chacun reçoit sa vie
.
grâce à la tendresse
fraîche et lisse d’une rondeur
de marbre tiède
.
qui hors l’inconscient fait
éclore au miroir de nos pensées
le mirage de Galatée
.
Et reclus en son attention
tandis qu’il modèle la glaise
tournoyante des mots
.
un faux potier tardivement
s’adonne à sa passion étrange
d’ordonner le Chaos par amour
Fugace éternité (3)
.
Nécessaire à l’instar d’un arbre
ou d’une pierre, l’Obscur
en lequel est gagée la liberté d’être
.
De même que toutes les directions
s’ouvrent au coeur du brouillard
sans tracé privilégié
.
Ou qu’à l’aurore le centre au ciel
surgi de la lumière à travers
la sphère du jour rayonne
.
Et ce sont les obstacles qui donnent
contours et réalité aux rayons dans nos yeux
venus se connaître argile ou fleur
.
Sous l’image au miroir le tain
opaque creuse l’illusion
de profondeur qui nous instruit
.
Symétrique de nos rêves
son dehors déploie une feinte du dehors
en laquelle consulter notre existence
.
Analogue à cette musique en quoi
le temps vibré rend sensible
la splendide architecture du Tout
Fugace éternité (2)
.
Au-delà de ton monde
ce volcan ridé avec écorce bleue
en forme de pyramide
.
et devant : rouge feuillage profus
d’érable en octobre
domine une île en plein Pacifique
.
Mauna Loa - il se peut -
ou Fuji-Yama point chaud passions
fomentées au coeur de la Terre
.
Qui sait ce que l’on reconnaîtra
surgi du noyau en fusion
qui sculptera la nature en surface
.
Ainsi des tréfonds de l’esprit
refroidie en rimes sur la page
la pensée se fait langage
.
Et voici qu’au passage du vent
ce qu’on a de plus précieux s’envole
tantôt mouette tantôt cendre
Fugace éternité (1)
.
Au-delà de ton monde
ces ruines bleues avec arcades hautes
et façade drues de calanques
.
respirent le mistral
avec effluves de menthe et de café,
d’anis et de serpolet
Froisse dans tes mains
ces fleurettes-ci tu reconnaîtras
le fameux ail des ours
.
L’odeur troublait nos amourettes
et ricanaient les pies des champs
et nous courions par les labours
.
souliers de terre grasse lourds
et d’autres fois parmi les vignes
face à face entre deux baisers
.
on croquait les grains froids et noirs,
acides comme bonheurs clandestins
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Par Xavier.Bordes le 16 Février 2023 à 11:00
Dessillement
Est-ce infirmité - à la fin
tu ne sais être autrement
que solitaire et sans illusions
Sans ces illusions qui font le charme
de vivre notamment
ce leurre d'aimer les autres
et de compter sur cet amour
pour que chacun soit heureux…
De vivre en un monde sans questions
autres qu'issues des soucis de l'immédiateté pratique
Un monde où la poudre aux yeux de mille tracas quotidiens
distrait heureusement de l'Insupportable Essentiel
Et fait vivre les gens autour de toi
dans un rassurant semblant d'éternité
pareil à quelque drogue
capable de rendre aux plus pessimistes
la réconfortante intensité d'existences
constamment connectées entre elles
et nourries sans interruption d'une profusion
d'éphémères malheurs et bonheurs
Contrairement à toi
à qui tout fut progressivement repris
excepté la solitude
votre commentaire -
Par Xavier.Bordes le 30 Novembre 2022 à 11:48
Trêve précieuse et brève
.
C’est l’heure gongorienne où cítaras de plumas sonores dans les arbres les oiseaux déchiffrent à vue en guise
.
de partitions les différentes nervures des feuilles ou bien là-bas dans les vergers de Mai comme des notes
.
exécutent les griottes noires Un moment où le promeneur se berce volontiers de l’illusoire et lumineux
.
sentiment que surgie de la mer dont les houles depuis l’horizon ramènent vers nous les clartés de l’aurore
.
une bonté à la fraîcheur d’azur et de thym s’est mise à régner urbi et orbi Que désormais le monde est pacifique
.
Que les hommes sont droits et généreux Que les femmes sont exemplaires de courage et d’honnêteté
.
Que leurs enfants tels ces angelots des fresques assis sur des nuages roses sont d’une attendrissante innocence
.
Bien entendu c’est entièrement la faute de ces passereaux dont les chants ouvrent dans le paysage
.
quelques minutes de paradis dont la parenthèse va se refermer au détour du chemin lorsqu’on verra
.
en train de gravir la pente en direction de la forêt le pas réglé sur la buée rythmée de leur respiration
.
tronçonneuse électrique à l’épaule un groupe de bûcherons silencieux aux silhouettes lentes et massives
.
de mercenaires lourdement armés pour quelque massacre d’un genre qu’on n’oserait raconter à personne…
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