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Par Xavier.Bordes le 3 Septembre 2020 à 16:08
Aucune stèle ne sait lire
.
Souvent j’ai pitié
quand je passe au milieu de splendides
parterres de fleurs
à l’idée qu’aucune d’entre elles
ne connaît ni sa senteur ni sa beauté
pas davantage que les cigales ou les oiseaux
n‘ont conscience de leur qualité musicale
ni le ruisseau plein de reflets
n'accède au charme de ses images
.
En forêt j’admire les hautes futaies
ignorantes de leur intimidante grandeur
Je me demande comment on peut
faire le métier de bûcheron surtout
à la façon des trafiquants de bois d’Amazonie
qui abattent à la scie électrique des géants
millénaires dont ils n’utiliseront que la moitié
.
Et me vient la pensée
en lisant une anthologie de poètes
que sans-doute la plupart d’entre-eux
(pas obligatoirement les plus mauvais)
ne comprend pas pourquoi l’on a élu tel
d’entre leurs poèmes
plutôt que tel autre qui ne leur semble
en vérité ni plus ni moins abouti...
Inoxydable présence
.
Tout ce qui nous parvient de l’univers
n’est que fragments que ravaude la mémoire
ainsi que l’onde d’une source les reflets
disloqués de la lumière entre les branches
Quelques pierres ressuscitent un château
Trois mesures de violon une symphonie
Une écale de nacre la rumeur des flots
Et ce parfum de pin sylvestre et de jasmin
autour de moi suscite cet instant d‘effroi
exquis où soudain glace et feu Aïlenn fut...
Antinomie
.
Soleil de juillet
et comme un bloc d’anthracite
mon vieux coeur obscur
Absence à jamais
.
Le long du rivage, la lune crépusculaire monte et descend ses gammes sur les touches d'ivoire de son piano aqueux...
.
Grand couvercle laqué de nuit, la mer est grêlée d'étoiles en extinction, flammèches retombant du feu d'artifice cosmique.
.
Vivace, irraisonnée, bourdonne autour de ton crâne une guêpe d'ombre, haine qui emprisonne tes songes comme un étau.
.
Elle ne se pose jamais, les ténèbres étant trop vastes pour y déceler un but, mais empoisonne les airs de sa rage impuissante.
.
Le monde n'était pas pour moi, qui n'étais pas fait pour ce monde où, coque de noix en pleine tempête, l'on est jeté sans sextant.
.
Pourquoi ne suis-je pas du bois de ceux qui croient aux fictions reposantes des dieux et autres idées fantaisistes et consolantes ?
.
Que cela doit être doux, cette sorte d'illucidité qui ferait de ta mort parmi cierges et psaumes un berceau d'éternelle félicité !
.
Mais combien plus doux encore sera, dans l’opaque passé dont on ne revient pas, de s'éclater en une dispersion de particules !
Plein vent
.
à Henri de Régnier
.
Les chauves-souris
Grand arbre du crépuscule
Sont tes feuilles mortes
Cadence rompue
.
Terribles sont les douleurs des hommes !
Et les poèmes qui parlent d’eux ressemblent
à ces chansons aux paroles résolument
optimistes et consolantes
que dément sans le savoir une mélodie
désespérée
. Une mélodie dont les notes
toujours de la dominante redescendent
vers la tonique et renoncent
tandis que la voix se fait rauque et sur deux
accords de guitare se brise - nous apprenant
que la vie est une théorie de fins sans fin...
.
Un grillon dans la nuit d’Opio
.
Moins seul de répondre au clignement
incessant des étoiles
noir dans le noir il s’obstinait à son
monotone et sibilant SOS en morse
le grillon pareil
à un géant paquebot noir
comme si l’on était encore au temps
du radiotélégraphe lorsque l’oncle Guy
me traduisait jusqu’à minuit
les messages venus de tous les océans
qu’on écoutait sur la TSF à lampes de mon père
et dans ma tête je voyais tous ces navires
balancés sur des ondes monstrueuses
dans un brouillard opaque
que seulement une succession de tuuut-tut
tut-tut-tuuut-tut-tuuut-tuuut-tut-tut-tut
reliait au reste de la planète où des gens
comme nous les écoutaient bien en sécurité
donner de leurs nouvelles à des familles
qui ne savaient jamais si le marinier absent
reviendrait combler le vide qu’il avait
laissé dans la maison et dans les coeurs
Oh petit grillon – mon grand paquebot noir !
Présence d’Aïlenn
.
C’était toi, c’est toujours toi, proche présence...
Colonne d’un temple à côté de l’autre colonne ;
toi, d’un marbre rose auquel le grand jour seul
rend justice, alors que je ne suis qu’obsidienne
et nuit. Toi fleur d’or issue des mers du Nord
avec ce long regard silencieux où l’on se perd…
.
J’aime tes façons de bourrasque et tes bises
délivrant jusqu’à moi des bouffées d’échos
et de soudaines reliques de rumeurs : mots
inattendus qui font rêver, phrases savamment
inachevées qui attendent tout de mon écoute.
Tes gestes dans l’air décrivent des chansons.
.
Au-dessus de nous, la poésie, ciel changeant
au gré de l’ombre d’un nuage ou des clartés
de l’espace, comme une montagne attentive
toujours prête à récompenser les ascensions
par une vue dégagée sur la mer, sur le monde,
comme sur, chaque fois, une victoire sur soi !
Qu’importent les sceptiques !
.
Cette sorte de volatile presque informe
dont la blancheur confirme qu’il s’agit d’un nuage
comme il est seul dans tout ce bleu céruléen !
.
À voix basse je m’adresse à lui d’une voix
tremblante pour qu’on ne m’entende pas
lui dire que nous sommes frères On me croirait fou
.
Aïlenn me comprendrait sans doute, elle qui me disait
récemment avoir conversé avec un arbre
et je sais bien qu’elle en est parfaitement capable
.
Pour ceux que ce genre de choses incite à penser
(selon l’expression de ma mère) que nous serions
« un peu siphonnés », je n’ai aucun remède.
.
Après tout ceci n’est qu’un poème de treize vers.
.
.
Biochimie
.
Mettant à contribution toute notre personne
avec son physique et son entier passé
se condense certain sentiment synthétique
impérieux qui exige de précipiter sur la page
en grêlons d’encre à la fois obscurs et limpides
pareils à ces pleurs qu’on ne réussit pas à contenir...
.
Antibaudelaire
.
Certains êtres doués d’une folle énergie
se plaisent à l’imprévisible, à l’aventureux
convaincus qu’ils sont - par science sûre
ou inconsccience - de faire aisément face
quoi qu’il arrive Ah c’est beau cette énergie
baudelairienne qui veut « plonger dans
l‘inconnu pour trouver du nouveau » et
quelle gloire médiatique pour les héros
qui l’ont fait (ou alors on n’en dira rien,
comme c’est souvent le cas parce qu’ils
sont morts !). Marcher sur un fil certes
au-dessus du précipice est époustouflant
et les gens applaudissent. Moi, je préfère
pourtant trouver du nouveau en plongeant
au fond du tenace mystère de l’Un connu !
Confort de survie
.
Il rédigeait pour lui-même quelques aphorismes
ainsi qu’on jalonne une parcelle dont on a étudié
la composition chimique et travaillé le terreau
Il n’ignorait pas qu’il n’en avait pas pour autant
balisé tout le périmètre et qu’il restait encore
bon nombre de pieux à planter Sans certitude
mais sans souci qu’il lui reste un laps de temps
suffisant pour achever sa tâche qu’il pressentait
sans fin, il écrivait par l’effet d’une aveugle inertie...
Sagesse, langage et poésie.
.
Le sage sait qu’il est directement ou indirectement à quatre-vingt dix-neuf pour cent impliqué dans les déboires de son existence.
.
Nombreux sont ceux qui ne tiennent pas du tout à être des sages car ils considèrent que cela les empêche gravement de se sentir vivre.
.
Dans le langage poétique, depuis le Surréalisme et le Psychédélisme, les gens considèrent qu’est poème tout reflet délirant du chaos.
.
Rares sont ceux (dont je suis) qui ne consentent au poème qu’une logique charnelle, naturelle, terre à terre, une cohérence de l’irréel.
.
Si l’irréel entre dans l’énoncé poétique, ce n’est pas logorrhée de drogué, c’est le second oculaire d’une jumelle : qui permet la stéréoscopie.
.
Toute figure de style, en particulier métaphore et synecdoque, est une mise en perspective que la seule structuration par le langage autorise.
.
Sans images, qui ne sont ni clichés ni photos ni vidéos, le poème est une prose qu’il ne suffit pas de baptiser « poésie » pour ce soit du poème.
.
Dans un poème, ce n’est pas l’inconscient en roue libre qui apparaît, mais le monde élaboré par toute une vie, dont un écrit rend compte à l’instant t.
.
Ce fragment d’énoncé à la fois logique mais jamais encore conçu, se fonde sur le fait qu’une parcelle de notre « âme » individuelle ouvre un monde.
.
L’essence du poème : quand la partie, si miette qu’elle soit, réussit à refléter le Tout comme une goutte de rosée recèle la totalité d’un paysage.
.
La beauté n’est pas dans l’oeil du poète ou de l’artiste, mais dans les choses mises en lumière, discernées, sur lesquelles toute l’humanité s’accorde.
.
Ce n’est pas la faute de la beauté si quelques uns ne la voient pas, ou si le snobisme les persuade de la reconnaître même là où elle n’est pas.
votre commentaire -
Par Xavier.Bordes le 1 Septembre 2020 à 19:17
Jeu de questions en suspens
.
L'oiseau joli du matin ne vient plus chanter. Demain sera le 15 août. Je ne parviens guère désormais à être léger. J'aperçois sur toutes choses une ombre tragique. Les ailes noires d'un corvidé de funeste présage, probablement ?
.
Il y a un trait pathétique et futile du caractère des hommes : ce besoin de reconnaissance par la collectivité, auquel jusqu’aux alentours du XX ème siècle avaient échappé les femmes. L’enfantement n'aurait-il plus la cote ?
.
J'ai toujours été frappé par la gaieté et le sens de la fête chez les populations pauvres, et par la mélancolie et l'humeur généralement sombre des peuples à standing supérieur. Est-on plus heureux lorsqu’on n'a rien à perdre ?
.
Comment oser tenter d'inviter les gens à l'optimisme et à la joie, sans avoir le sentiment que nos oeuvres, d'art ou de lettres, sont une forme d'escroquerie, parce qu'on tente de d’enchanter le réel grâce à la chatoyance de l'illusion ?
.
En regardant un documentaire sur les batraciens (mais cela vaut pour tout ce qui vit), détaillant en particulier la complexe ingéniosité qu'ils emploient à protéger leur progéniture, comment croire que l'intelligence soit née du hasard ?
.
Y a-t-il une intelligence transmissible avec sa programmation - on dit l'instinct - et une autre sans programmation précise hormis celle, assez succincte, du “bios”, et qui attend de son environnement les impératifs de son enrichissement ?
.
Soit dit brièvement, en passant...
.
La poésie est palimpseste, alluvions et allusions chiffrées dans la réalité plus ou moins artificielle des nombres, qui arment son langage aussi bien que notre échafaudage des lois de l’Univers.
.
La différence entre se dire “poète”, se croire poète, et l’être, c’est la différence entre qui n’a pas renoncé aux vanités de la Cité, et qui s’est exilé, ostracisé ou non par les siens, dans les purs espaces de sa langue maternelle.
.
La Beauté n’est ni sociale, ni sociable. Elle ne dépend ni des modes ni des subjectivités. Elle oriente, comme l’étoile du pôle coïncide avec ce qui aimante la boussole, tout ce qui dans les sentiments humains est plus ou moins réceptif au Sens.
Une brise douce
.
Une brise douce descend des pentes bleues du matin. Elle éveille les plantes et brasse leurs odeurs femelles pour un résultat qui ne sent pas la rose. On entend sur fond de rumeur lointaine d'autoroute le tektektek rapide d'un pic épeiche qui sonde méthodiquement l’écorce de chaque tronc.
.
Insolite chose que d'être en vie, d'entendre couiner dans le touffu des haies diverses vies indéfinissables. De lever les yeux sur toute cette beauté solaire extérieure à nous, et dont on sent bien qu'elle se perpétuerait quand bien même aucun humain ne serait là pour la voir.
.
Au demeurant, elle est si présente, si environnante, si familière, que la plupart pour s'y être habitués depuis leur naissance ont cessé de la reconnaître, comme le type qui lit son journal au petit déjeuner sans plus considérer, face à lui, quelle aimante merveille accompagne sa vie.
.
Il semble qu'une averse ait arrosé les herbes au cours de la nuit. Il reste des flaques alourdissant les poches du dais qui surplombe la balancelle. Un chien tourne dans l’enclos voisin, hurlant sans fin son désarroi de constater l’absence de ses dieux.
.
Me plaît surtout le tilleul svelte aux petites écailles vertes. On dirait que pour fêter ses dix ans, il a pris son air neuf, vert lustré, telle une jeune sirène qui vient de laisser derrière elle la transparence des vagues, rejetée comme une chlamyde nuisant à sa vénusté.
Jours de relâche et de vérité
.
À l'écart des rumeurs et de l'agitation, observer les végétaux aux larges langues vertes laper les flaques de soleil, ah quelle reposante occupation !
.
Ce sont de ces moments où la Nature plaide pour elle-même. Une vitale splendeur oubliée des habitants des mégapoles, qui croient les oeufs pondus par les heures du jour en boîtes de six et douze.
.
Bien sûr, il y a les roses volées aux rosiers, les giroflées aux girofliers, et le sortilège de leur parfum millénaire. Il y a la beauté lumineuse de la lune d’Isfahan et la cendre d’argent qu’elle a répandue sur la ville.
.
Il y a l’étrange passion d’aimer, souvent trop tard, les êtres agissants et les réalités passives. La reconnaissance d’infimes détails. Ouïr le pépiement d’oisillons nichés dans un olivier. Tenir dans sa main la petite main d’Ezra qui veut vous montrer quelque chose. Sentir sur sa joue en s’endormant le baiser léger d'un papillon de nuit...
J’imagine Ezra à la plage
.
Taches de soleil aux accoudoirs
des fauteuils en osier
Ne dirait-on pas que l’ombre de la véranda
transpire de lumière
.
Dans l’air une ambiance azurée
concorde avec le ton de mes pensées
J’imagine Ezra qui d’un saut d’angelot
plonge dans l’eau salée de Méditerranée
.
Ciel bleu mer bleue mosaïque de galets
Une brise douce rebrousse les écumes
à la crête des vaguelettes qui ramènent
nos regards embués d’horizons infinis
Péripétie
.
Qui en cette tiède nuit d'août
s'étonnerait d'entendre chuchoter
les fleurs du laurier entre elles
.
Un clocher survivant lâche dans le lointain
comme gouttes d'argent fondu sur le pavé
les douze étoiles sonores de la minuit
.
Par l’oreille l'âme du dormeur s'en illumine
Un songe de sylphe et de fées déroule
sa guirlande illustrée comme la Siagne
.
Le sourire de sa défunte mère survole
l'espace de son esprit tel un clair de lune
Puis se dissipe au sein d'une noire inconscience
.
(Pour que finalement tout soit noyé
sous le ressac respiratoire du sommeil)Mosquitissima hora
.
Par la trouée entre les cèdres et les pins
on aperçoit la nappe d'un bleu de rêve
que chacun ici appelle la mer
.
Côté aube et soleil les cigales ont commencé
leurs tzi tzi tzi tzi d'abord deux puis trois puis sept puis dix puis cent
ostinato jusqu'à ce que l'endroit soit assiégé et capitule
.
Les oiseaux qui se croyaient les seuls ménestrel de l'aurore
se taisent en volant vers l'épaisseur des frondaisons
pour aller docilement lisser le plumage de l'ombreQuant aux autochtones ils rentrent se mettre à l'abri
car c'est l'heure où s'élève des herbes la nuée ponctuelle des moustiques
comme un temporaire mais cuisant avant-goût de l'enfer !Truismes sans poésie
.
Finalement qu'il est difficile
En tant qu’humain de ne pas
Recommencer sans cesse
Les mêmes erreurs ainsi
Que des êtres immémoriaux
Dont la mémoire à chaque
Génération est analogue
À une pâte vierge face à quoi
L'apprenti boulanger ne sait
Pas trop comment s'y prendre
Adulte on se rêve en parents
Aussi performants que possible
Malgré les aléas et les fardeaux
Rarement positifs de l'existence
Et voici qu'à la fin quoi qu'on ait fait
Une somme fantastique de hasards
Oriente le destin de ceux qu'on aime
Et qu'on s’était efforcé d’engager
Sur une voie où s’offrirait à eux
Un large éventail de chances
D'être plus heureux que nous !
votre commentaire -
Par Xavier.Bordes le 3 Août 2020 à 09:35
Ezra est allé se coucher
Pas un souffle ce soir
Les choses sont laissées à elles-mêmes
dans ce crépuscule de pleine lune floue
.
Comme est laissé à lui-même celui qui rentre dormir
après un bel après-midi en compagnie d’Ezra
Un garçonnet dont on ne croirait pas
qu’il est originaire de la Terre des bipèdes
lieu de toutes les férocités
.
Ce sont de si purs et paisibles moments
par le destin offerts une seconde fois
Je les accueille avec la gratitude que mérite la vie
.
quoique j’aie pleine et entière conscience
qu’en dehors de pareils instants
vivre soit chose insensée
Aïlenn là-bas au loin
En ville est mon amour
dans la. Nuit qui s'étonne
La rumeur de la mer ouvre par le fenêtre
l'ombre des pins profonds où dorment les colombes
.
Tièdes seront les rêves d'août
Chaudes les amitiés et fraîche
la mousse de songes que savonne l'écume
en lavant le rivage des reliefs
laissés par le dernier pique-nique du soleil
.
Petite profession de foi
.
Ainsi que fait le laurier pourpre et vert
nous célèbrerons la gloire des aurores aussi longtemps
que l’hiver ne nous en glacera pas la joie
.
Et même alors chaque poème sera comme un cristal
où nous aurons emprisonné le soleil des rosées
prêt à réveiller des printemps d’oiseaux amoureux
.
et des étés de cigales heureuses sous l’ombreuse
protection des pins près des sources gloussantes
où se baignent nues des nymphes éclaboussantes !
.
Horde d'étoiles
Le U de la lune tiède
écrête l'élan nocturne des pins
Les cigales se sont tues depuis longtemps
Le jasmin effluve aux alentours tant qu'il peut
pour qu’on n’oublie pas les salives d’Éros
Zinzinule en une ellipse proche ou lointaine
un moustique femelle invulnérable comme un acouphène
On dirait l'une de ces questions angoissantes
dont on n'arrive pas à se débarrasser
De celles qui profitent des ténèbres
pour venir obséder l'esprit et démanger
sévèrement une âme qui - sereine jusqu'alors -
pensait entre les moires hypnotiques du sommeil se glisser
avec la nonchalance d'une carpe mouvant
l’or de son fuseau paresseux dans le satin noir de l'étang originel
Or ce ne sera qu'après la disparition du croissant de lune
insensiblement chassé au-delà de la ligne des coteaux par une horde
d’étoiles aux prunelles de loup
qu’enfin s'abattra sur t o u t
la bienheureuse inconscience que les êtres humains
espèrent de ce côté-ci de la planète...
Chanteurs d’aurores
.
Avec l’aurore est revenu l’oiseau
qui brode l’air de ses trilles ce cristal intarissables
Je suis resté longtemps à l’écouter
en m’efforçant de traduire les tirades variées
qu’il échangeait avec un comparse lointain à peine audible
Il philosophait sur l’étonnante complexité que le monde
depuis la première cellule vivante au cours des milliards
d’années avait atteinte Il parlait de la diversité des arbres
des joliesses parfumées des fleurs Des nuages qui savent
se changer en pluie en éclairs en tonnerre en ramages dorés
le soir au dessus de la mer lorsque les bateaux blancs
rentrent au port à tire-voile en balançant sur les écumes pures
Il parlait de la lumière créée pour initier
l’ombre incréée qui s’ignorait être ombre
Il dissertait de la vanité que serait
s’interroger sur l’origine mystérieuse des soleils
avec au passage un brin d’ironie envers les humains
dont la maladie est de vouloir à toute force expliquer
l’inconcevable complexité du Chaos
. Ces misérables
humains que la conscience de leur sort empêche d’éprouver
la simple joie sans mélange des oiseaux
et qui par impuissance ou par dépit
ont baptisé D i e u l’Inexplicable
Radieux accidents
.
Quelques oiseaux volubiles qui commentent
le crépuscule me rappellent à l’improviste
les rossignols de Platrès qui empêchaient Séféris de dormir
La nuit d'ici-bas rejoint celle où clignent les étoiles
Et c'est la même en vérité
au sein de laquelle les jours,
nos jours si brefs, ne sont que de radieux accidents
On voudrait pourtant croire que ce serait
la lumière qui domine
On est comme ces gens qui s'obstinent
envers et contre tout à proclamer que la Terre est plate
quand il suffit de tourner entre ses doigt
une pomme ou un citron au soleil couchant
pour savoir que l'ombre est toujours à l’affût
et qu’elle n'abandonne jamais…
.
Une Pie upiane
.
De marche en marche en marche jusqu’au
bas de l’escalier extérieur la pie a sautillé
Elle se fige un moment et par la baie vitrée
me consulte d’un air interrogateur « L’ai-je
bien descendu ? » Je me garde d’esquisser
le moindre geste... Y voyant un pacte
de non-agression sinon de l’approbation
tête haute et convaincue de son impunité
à petits pas la voici arpenter la terrasse
avisant la coupelle où tiédit le lait du chat
Elle aperçoit qu’il en reste au fond, y goûte
deux ou trois fois, scrute les alentours
puis culottée certes mais pas téméraire
d’un coup s’envole vers les chênes voisins
Laissant un instant sur place dans mes yeux
le lustre élégant de son plumage noir et blanc...
Fin d’après-midi d’été
.
Le soleil déclinant tombe en oblique sur nos songes
augmentant à la fois les reliefs et les ombres des choses
.
L’écarlate des fleurs du laurier ensanglante le vert
luisant foisonnement d’innocents fers de lance
.
Dessous le hérisson poilu comme sur une image
hume un rai de soleil tamisé puis croque un insectes
.
Dessus balance un ramier qui brusquement à tire-d’aile
s’enfuit vers les lointains brumeux en bas dans la vallée
.
Paisiblement dans son rocking-chair digne d’un western
l’aïeul se berce en somnolant et rêve qu’il est un oiseau
Dans l’émotion intacte du Retour
.
J’ai revu la bouille de la pleine lune dépassant
du grand Bösendorfer luisant de la Méditerranée
Comme font les anges elle vocalisait en silence
en accompagnant ses gammes sur le clavier d’écume
du ressac vaguement phosphorescent dans la nuit
.
Dans son atelier touffu au coeur des frondaisons
tôt ce matin j’ai reconnu le fils aîné du pivert
toujours un peu marteau à cause de son obsession
de planter minutieusement dans le bois d’invisibles clous
à la façon du tapissier-restaurateur de mon village
.
À nouveau m’ont ébloui les soleils occupés
comme toujours à compter négligemment
les aiguilles des pins et les feuilles des chênes-verts
Les soleils déployant sur les vagues leur mauve
vélarium de brume pour éveiller au sentiment de l’infini
.
Quitté des êtres bien-aimés pour retrouver d’autres
êtres bien-aimés et nous avons parlé assis tout près
de la fraîcheur splendide du laurier, du tilleul, de l’olivier
que la brise du soir grisait d’argent comme la mer
jusqu’à ce que les étoiles silhouettent de noir les collines
Aucune stèle ne sait lire
.
Souvent j’ai pitié
quand je passe au milieu de splendides
parterres de fleurs
à l’idée qu’aucune d’entre elles
ne connaît ni sa senteur ni sa beauté
pas davantage que les cigales ou les oiseaux
n‘ont conscience de leur qualité musicale
ni le ruisseau plein de reflets
n'accède au charme de ses images
.
En forêt j’admire les hautes futaies
ignorantes de leur intimidante grandeur
Je me demande comment on peut
faire le métier de bûcheron surtout
à la façon des trafiquants de bois d’Amazonie
qui abattent à la scie électrique des géants
millénaires dont ils n’utiliseront que la moitié
.
Et me vient la pensée
en lisant une anthologie de poètes
que sans-doute la plupart d’entre-eux
(pas obligatoirement les plus mauvais)
ne comprend pas pourquoi l’on a élu tel
d’entre leurs poèmes
plutôt que tel autre qui ne leur semble
en vérité ni plus ni moins abouti...
Inoxydable présence
.
Tout ce qui nous parvient de l’univers
n’est que fragments que ravaude la mémoire
ainsi que l’onde d’une source les reflets
disloqués de la lumière entre les branches
Quelques pierres ressuscitent un château
Trois mesures de violon une symphonie
Une écale de nacre la rumeur des flots
Et ce parfum de pin sylvestre et de jasmin
autour de moi suscite cet instant d‘effroi
exquis où soudain glace et feu Aïlenn fut...
Antinomie
.
Soleil de juillet
et comme un bloc d’anthracite
mon vieux coeur obscur
Absence à jamais
.
Le long du rivage, la lune crépusculaire monte et descend ses gammes sur les touches d'ivoire de son piano aqueux...
.
Grand couvercle laqué de nuit, la mer est grêlée d'étoiles en extinction, flammèches retombant du feu d'artifice cosmique.
.
Vivace, irraisonnée, bourdonne autour de ton crâne une guêpe d'ombre, haine qui emprisonne tes songes comme un étau.
.
Elle ne se pose jamais, les ténèbres étant trop vastes pour y déceler un but, mais empoisonne les airs de sa rage impuissante.
.
Le monde n'était pas pour moi, qui n'étais pas fait pour ce monde où, coque de noix en pleine tempête, l'on est jeté sans sextant.
.
Pourquoi ne suis-je pas du bois de ceux qui croient aux fictions reposantes des dieux et autres idées fantaisistes et consolantes ?
.
Que cela doit être doux, cette sorte d'illucidité qui ferait de ta mort parmi cierges et psaumes un berceau d'éternelle félicité !
.
Mais combien plus doux encore sera, dans l’opaque passé dont on ne revient pas, de s'éclater en une dispersion de particules !
Plein vent
.
à Henri de Régnier
.
Les chauves-souris
Grand arbre du crépuscule
Sont tes feuilles mortes
votre commentaire -
Par Xavier.Bordes le 25 Juillet 2020 à 11:42
Présence d’Aïlenn
.
C’était toi, c’est toujours toi, proche présence...
Colonne d’un temple à côté de l’autre colonne ;
toi, d’un marbre rose auquel le grand jour seul
rend justice, alors que je ne suis qu’obsidienne
et nuit. Toi fleur d’or issue des mers du Nord
avec ce long regard silencieux où l’on se perd…
.
J’aime tes façons de bourrasque et tes bises
délivrant jusqu’à moi des bouffées d’échos
et de soudaines reliques de rumeurs : mots
inattendus qui font rêver, phrases savamment
inachevées qui attendent tout de mon écoute.
Tes gestes dans l’air décrivent des chansons.
.
Au-dessus de nous, la poésie, ciel changeant
au gré de l’ombre d’un nuage ou des clartés
de l’espace, comme une montagne attentive
toujours prête à récompenser les ascensions
par une vue dégagée sur la mer, sur le monde,
comme sur, chaque fois, une victoire sur soi !
Qu’importent les sceptiques !
.
Cette sorte de volatile presque informe
dont la blancheur confirme qu’il s’agit d’un nuage
comme il est seul dans tout ce bleu céruléen !
.
À voix basse je m’adresse à lui d’une voix
tremblante pour qu’on ne m’entende pas
lui dire que nous sommes frères On me croirait fou
.
Aïlenn me comprendrait sans doute, elle qui me disait
récemment avoir conversé avec un arbre
et je sais bien qu’elle en est parfaitement capable
.
Pour ceux que ce genre de choses incite à penser
(selon l’expression de ma mère) que nous serions
« un peu siphonnés », je n’ai aucun remède.
.
Après tout ceci n’est qu’un poème de treize vers.
.
.
Biochimie
.
Mettant à contribution toute notre personne
avec son physique et son entier passé
se condense certain sentiment synthétique
impérieux qui exige de précipiter sur la page
en grêlons d’encre à la fois obscurs et limpides
pareils à ces pleurs qu’on ne réussit pas à contenir...
.
Antibaudelaire
.
Certains êtres doués d’une folle énergie
se plaisent à l’imprévisible, à l’aventureux
convaincus qu’ils sont - par science sûre
ou inconsccience - de faire aisément face
quoi qu’il arrive Ah c’est beau cette énergie
baudelairienne qui veut « plonger dans
l‘inconnu pour trouver du nouveau » et
quelle gloire médiatique pour les héros
qui l’ont fait (ou alors on n’en dira rien,
comme c’est souvent le cas parce qu’ils
sont morts !). Marcher sur un fil certes
au-dessus du précipice est époustouflant
et les gens applaudissent. Moi, je préfère
pourtant trouver du nouveau en plongeant
au fond du tenace mystère de l’Un connu !
Confort de survie
.
Il rédigeait pour lui-même quelques aphorismes
ainsi qu’on jalonne une parcelle dont on a étudié
la composition chimique et travaillé le terreau
Il n’ignorait pas qu’il n’en avait pas pour autant
balisé tout le périmètre et qu’il restait encore
bon nombre de pieux à planter Sans certitude
mais sans souci qu’il lui reste un laps de temps
suffisant pour achever sa tâche qu’il pressentait
sans fin, il écrivait par l’effet d’une aveugle inertie...
Sagesse, langage et poésie.
.
Le sage sait qu’il est directement ou indirectement à quatre-vingt dix-neuf pour cent impliqué dans les déboires de son existence.
.
Nombreux sont ceux qui ne tiennent pas du tout à être des sages car ils considèrent que cela les empêche gravement de se sentir vivre.
.
Dans le langage poétique, depuis le Surréalisme et le Psychédélisme, les gens considèrent qu’est poème tout reflet délirant du chaos.
.
Rares sont ceux (dont je suis) qui ne consentent au poème qu’une logique charnelle, naturelle, terre à terre, une cohérence de l’irréel.
.
Si l’irréel entre dans l’énoncé poétique, ce n’est pas logorrhée de drogué, c’est le second oculaire d’une jumelle : qui permet la stéréoscopie.
.
Toute figure de style, en particulier métaphore et synecdoque, est une mise en perspective que la seule structuration par le langage autorise.
.
Sans images, qui ne sont ni clichés ni photos ni vidéos, le poème est une prose qu’il ne suffit pas de baptiser « poésie » pour ce soit du poème.
.
Dans un poème, ce n’est pas l’inconscient en roue libre qui apparaît, mais le monde élaboré par toute une vie, dont un écrit rend compte à l’instant t.
.
Ce fragment d’énoncé à la fois logique mais jamais encore conçu, se fonde sur le fait qu’une parcelle de notre « âme » individuelle ouvre un monde.
.
L’essence du poème : quand la partie, si miette qu’elle soit, réussit à refléter le Tout comme une goutte de rosée recèle la totalité d’un paysage.
.
La beauté n’est pas dans l’oeil du poète ou de l’artiste, mais dans les choses mises en lumière, discernées, sur lesquelles toute l’humanité s’accorde.
.
Ce n’est pas la faute de la beauté si quelques uns ne la voient pas, ou si le snobisme les persuade de la reconnaître même là où elle n’est pas.
Ara macao
.
Zibus était un ara aux airs de pape
triste De son perchoir en Té
il regardait de travers les intrus
(Autant dire à peu près tout le monde)
puis faisait des acrobaties la tête
en bas pour être sûr qu’on le remarque
et ponctuait ses exercices de rauques
grincements de gond mal huilé
un peu saugrenus qui cadraient mal
avec la solennité de son camail écarlate
Mais il suffisait pour lui faire cesser
toute excentricité de lui présenter
une banane ou quelques noisettes
après quoi en piétinant sa barre
pour trouver la juste place il se tenait
immobile avec dignité sa seule tête
pivotant sur son axe pour garder un oeil
sur le donateur à la générosité suspecte...Cri de corneille
.
Au meilleur de la brume grège
une corneille crie l’avenir
On dirait la voix d’un poème
de provenance indéfinie
qui résonnerait dans le vide
Où celle de la gitane en noir
que ta main de jeune homme
inspira devant l’église un jour
de la fin mai aux Saintes-Maries
Elle t’avait appris qu’il est vain
de chercher comme un forcené
ta route dans la vie puisque :
« Este es el camino que te encontrará...
¡Y no lo evitarás ! » avait-elle affirmé
d’un ton de gravité voilé de menace
(Et ce qu’elle avait prédit autant
hélas que par bonheur s’est réalisé)
.
Marinier à la retraite
.
Il dit qu’il écoute le bleu du ciel
vers lequel de désir se lèvent les vagues mais
impuissantes retombent en esquissant
un ersatz de nuage vite dissipé
.
On pourrait croire à un enfant rêveur
mais les promeneurs n’aperçoivent
qu’un vieil homme au bout de la jetée
contemplant l’infini qui lui est refusé
.
Il se souvient de ses voyages à travers
des pays étrangers Les extérieurs et les
intérieurs dont les Sahels et les Sah’ras
quoique innommés ne sont pas moins
.
d’une terrible et angoissante beauté
Rivages immenses du fleuve de sécheresse
Dunes charnelles pierraille hiéroglyphique
Tout là-bas est questions sans réponses
.
Si bien qu’il aperçoit ses pensées déçues
qui de l’horizon arrivent à quai flottille
aux voiles sombres ainsi qu’au retour
de Knossos et du labyrinthe la nef de Thésée
.
Les mouettes criardes au dessus de sa têteCri de corneille
planent en tournoyant joyeusement comme si
c’était de leur plumage que rayonnait la lumière
sur le désert usé d’une âme d’un mauve d’ozone
.
À l’heure du take-off
.
En éventail les avions roses rayent l’azur
direction Nice Alger Madrid Tanger Lisbonne (usw)
À vol d’A320, Roissy est à moins de 5 minutes
Il est tôt, le vacarme du camion poubelle
rappelle les jeudis de jadis quand à la buanderie
quelqu’un choquait la lessiveuse en tôle galvanisée
avant de la remplir de linge à faire bouillir
.
Le poële à vitres de mica chauffe Sifflements
Couvercle bruyant zozotant sur l’eau bleuâtre
Facettes de zinc et bouffées de vapeur Persil
La porte grand’ouverte laisse voir les rosiers
Cachant les rangées de fraisiers leurs buissons
cramoisis éclatent dans la lumière du potager
Ah la densité du velours des roses au soleil
.
On pense à des milliers de baisers sur les tiges
d’immatériels élans du coeur On pense au linge
d’une blancheur de neige qui sera tout à l’heure
étendu sur le gazon prasin de la pelouse À l’air
tout imprégné d’une délicieuse odeur de propre
On pense aux draps repassés, serrés avec un brin
de lavande dans la grande armoire Et qui plus tard
.
verront sur un lit se glisser entre eux le corps
frissonnant, ensorcelant et nu de notre amour !Extinction de voix
.
Quelles voix opiniâtres
sans se lasser m'appellent dans la nuit du rêve
ainsi qu'une pluie timide
que le ciel refuse de reconnaître
Voix d'êtres dont mon passé
a gardé la marque au fer rouge
ou d'autres personnes
que je n'ai rencontrées qu'en leurs livres
Toutes sont là je ne sais où
On dirait que j'en suis le site
de la même façon que la ruche
celui des abeilles qui font frissonner toute la prairie
de la grave vibration d’une sorte de tone-cluster
avec septième diminuée en si bémol
Toutes sont là et c'est au point que c'est
ma voix dont je découvre soudain
qu'elle est la seule qui manque
Ce qui m’ancre après trois quarts de siècle
dans l’idée que j'ai passé ma vie
à m'absenter insensiblement
et de plus en plus
à mon insu peut-être
vu que j'étais inapte à vivre
en dépit de ma survie strictement biologique...
.
Tissu de contradictions
.
Il faut se détourner de soi pour ne se soucier que des autres quand on n’est pas assez inconscient ou pourri de drogues abrutissantes pour éviter une propension néfaste à l’introspection dont notre état d’esprit ne s’extraira que rarement indemne
.
Si perspicace que l’on soit même ceux qu’on croit bien connaître ont leur coeur et leur vie pleins de mille noirs secrets que nous ne soupçonnerons jamais ce qui rend plus aisé l’optimisme béat indispensable à qui ne veut pas mépriser ses semblables
.
Depuis toujours le désastre est en marche flagrant ou insidieux rongeant les susbstructions immergées des Venises merveilleuses canonnant les immenses Bouddhas millénaires ravageant les Angkors et les Golcondes effaçant leurs jardins aux diamants
.
Le sage en prend son parti ne se retourne pas trop sur les papillons de nuit de ses tristes souvenirs passés ne regardant et goûtant les choses qu’avec les yeux brillants du paon du jour la spirale infiniment fine de sa trompe à nectar ne visitant que les lys immarcessibles
Six tourterelles
.
Enchantement issu du silence est l’instant propice où nos voix se rejoignent Le matin privilégié par tes yeux verts jauge sur ma face les conséquences de la nuit Encore agrafée à mes épaules elle m’envelppe d’une pelisse invisible et pesante
.
Je circule dans la chambre au plancher fauve Dehors une branche du bouleau pleureur au sommet de sa retombante courbe a reçu six tourterelles bien alignées Visiblement deux parents et leurs jeunes Leur nid n’est pas loin mais introuvable
.
C’est comme un petit miracle chaque année quand les volatiles ardoise aux blancs colliers un matin tôt nous présentent leur nouvelle progéniture ainsi qu’aux familiers du jardin puis aprés une bonne heure s’essorent vers d’autres visites de bienséance
.
Tout à tour elles se détachent en ordre de leur perchoir si légères que pas une feuille ne bouge rasent la crête du mur mitoyen avec la propriété voisine Sans doute réservent-elles quelques roucoulantes civilités à l’ami peintre qui habite là
.
Dans la cuisine roucoule aussi la machine à café Je prépare un plateau les yeux à demi-occupés encore par la séquence à laquelle nous venons d’ assister songeur comme on peut l’être après l’un de ces moments où le monde nous fait du charme pour nous réconcilier avec la vie...Considérations digressives
.
Il est une phase de la vie où l’on aime la passion, où l’amour compte davantage que son « objet », lequel est justement réduit à être « l’obscur objet du désir », selon une expression fameuse. Le vrai moment de la vie survient lorsque l’être aimé passe au rang de sujet, avec une manière de vivre et d’agir autonome. Cela devient d’autant plus désagréable que la manière d’affirmer son indépendance pour le sujet que nous aimons est plus éloignée du cadre de notre propre existence. C’est là que l’aiguillage demande une décision. Ou diverger. Le plus courant, le plus facile, mais aussi le plus appauvrissant ; ou poursuivre ensemble sur une voie qu’on ressent inquiétante, difficile, chaotique. Et c’est l’aigle à deux têtes, souvent divisé contre lui-même, réclamant une énergie harassante, dont à l’usure, à la longue, on reçoit un enrichissement quelquefois – pas toujours ! Il arrive que la première phase, l’adolescence, pour certaines personnalités ne soit suivie d’aucune autre. Ça n’évolue pas. Ce qui, du moins à mon sens, n’est pas le gage d’une vie de qualité. Mais je ne vois pas là un motif pour s’appauvrir en oblitérant en nous l’enfant et l’adolescent. Ce qu’on nomme adulte est seulement la phase supplémentaire au cours de laquelle on se découvre capable de maîtriser, de « chapeauter » la façon d’être et d’agir de qui l’on fut dans les phases précédentes.
Harmonie
.
Ta main dans la mienne
fraîche comme rameau de laurier
quand la rosée fait chanter
l’alouette le verdier
et la grive musicienne
In extremis
.
Exorbitants pour les petits crabes
certains soirs de pleine lune
envoûtent les âmes
d’autres soirs non
Il n’y a pas d’explication
.
Non plus que dans le cas
de ce retour par une nuit d’août
où vous vous étiez tous deux fourvoyés
dans le champ aux monolithes
Et advint ce qui devait advenir
.
Au firmament truffé d’astres
la Grande Ourse veillait
Et si vous n’avez pas tout à fait
perdu le nord ce soir-là
ce pourrait bien être grâce à elle...
Corpus amoris
.
Entre tes doigts
le brin d’eau pure
de la fontaine
.
flûte de fraîche lueur
où vient directement
boire l’oiseau soleil
à peine éveillé
.
L’air sent le chèvrefeuille
et la pierre mouillée
Attention aux orties
.
Je veux construire
au creux du bassin tout un
petit temple de mousses
où se recueillera le poisson d’or
.
Arches de reflets
mouvances d’arc-en-ciel
Moi horloger de l’Impossible !
Lost paradise
.
De la rive une fleur
blanche de givre
se reflète
en le miroir du lac
que le vent rarement
d’une onde déformante
traverse afin d’ôter au rêveur
qui regarde toute foi en la
symétrique illusion
d’un contre-monde azuré
plus beau plus libre
plus profond plus vrai
(En somme, plus heureux !)
Autorecommandation
.
Malgré la nostalgie
des recuerdos de Ayacucho
continue ton chemin petit garçon
jusqu’aux jours de tes cheveux blancs
Rien de plus n’adviendra jamais
que l’impitoyable chaos du « réel »
avec ses soleils multiples
et sa nuit unique
Ne sois pas chagrin d’être seul
dans l’espace malgré la foule des rencontres
et malgré quelques probables
violentes amours
que feras-tu d’une vie qui ne t’aime pas
si toi tu ne fais pas l’effort
(quasiment héroïque je le concède)
de l’aimer envers et contre tout ?
Qui sont les sauvages ?
.
Si de l’ongle on gratte
le vernis plus ou moins opaque
dont se couvrent nos sociétés soi-disant
civilisées
. point n’est besoin d’insister beaucoup
pour mettre au jour une sauvagerie humaine
souvent plus brute et plus impitoyable
que celle des tribus primitives
qu’on se représente vivant farouchement nues
dans les jungles les plus obscures et reculées
.
Or ce sont elles qui savent avoir le plus
à craindre du bipède inconnu que voici
(ou d’un autre) livre sacré dans une main Qui sont les sauvages ?.
Si de l’ongle on gratte
le vernis plus ou moins opaque
dont se couvrent nos sociétés soi-disant
civilisées
. point n’est besoin d’insister beaucoup
pour mettre au jour une sauvagerie humaine
souvent plus brute et plus impitoyable
que celle des tribus primitives
qu’on se représente vivant farouchement nues
dans les jungles les plus obscures et reculées
.
Or ce sont elles qui savent avoir le plus
à craindre du bipède inconnu que voici
(ou d’un autre) livre sacré dans une main
bouteille d’alcool dans l’autre
et tout le corps enveloppé
d’un halo de germes et virus mortels
.
Au nom d’une fraternité hypocrite
et de promesses de salut jamais réalisées
l’humanité contemporaine ne vise
qu’à faire disparaître l’humanité ancienne
Celle qui vivait en bonne intelligence
avec le monde et non pas contre lui
comme l’humanité du XXI ème siècle
laquelle volontairement ou par impuissance
semble avoir hâte d’en finir avec la planète
et tout ce qui vit – elle-même y compris !
bouteille d’alcool dans l’autre
et tout le corps enveloppé
d’un halo de germes et virus mortels
.
Au nom d’une fraternité hypocrite
et de promesses de salut jamais réalisées
l’humanité contemporaine ne vise
qu’à faire disparaître l’humanité ancienne
Celle qui vivait en bonne intelligence
avec le monde et non pas contre lui
comme l’humanité du XXI ème siècle
laquelle volontairement ou par impuissance
semble avoir hâte d’en finir avec la planète
et tout ce qui vit – elle-même y compris !Jour de deshérence
.
Le profil délicat de la Muse
dans l’écrin du contre-jour
.
Le crabe lunaire sorti
de sous la couverture salée
.
Alentour l’estran abandonné
par le retrait de la marée
.
Fortes odeurs de sentines
Débris de ferraille et plastique
.
L’après-midi décline ses ombres
sous le flanc des carènes obliques
.
On dirait de grands poissons morts
près de flaques d’images froides
.
Seules bougent et crient les mouettes
et se renvolent en un bruyant désordre
.
L’océan au loin n’est qu’une épingle
Brillante rature en travers du désastre
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Par Xavier.Bordes le 25 Juillet 2020 à 11:40
Un grillon dans la nuit d’Opio
.
Moins seul de répondre au clignement
incessant des étoiles
noir dans le noir il s’obstinait à son
monotone et sibilant SOS en morse
le grillon pareil
à un géant paquebot noir
comme si l’on était encore au temps
du radiotélégraphe lorsque l’oncle Guy
me traduisait jusqu’à minuit
les messages venus de tous les océans
qu’on écoutait sur la TSF à lampes de mon père
et dans ma tête je voyais tous ces navires
balancés sur des vagues monstrueuses
dans un brouillard opaque
que seulement une succession de tuuut-tut
tut-tut-tuuut-tut-tuuut-tuuut-tut-tut-tut
reliait au reste de la planète où des gens
comme nous les écoutaient bien en sécurité
donner de leurs nouvelles à des familles
qui ne savaient jamais si le marinier absent
reviendrait combler le vide qu’il avait
laissé dans la maison et dans les coeurs
Oh petit grillon – mon grand paquebot noir !
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