•  

     

    Enluminure noir et or

     

    .

     

    Avec le soleil du soir      une étoile est tombée dans le vase en cristal      où s’ennuient      sur la table de la terrasse       des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis

     

    .

     

    La table elle-même      est recouverte d’un plexiglas qui reflète       à la manière d’une flaque d’eau      le feston inversé des frondaisons       serties dans l’ambre doré du ciel       au ras des monts bleus

     

    .

     

    Des étages de longs cirrus claisemés       s’étirent de l’est à l’ouest      minces et clairs      eux reçoivent encore       la rougeur du soleil disparu       Un alphabet noir de tourterelles      ou de corbeaux

     

    .

     

    s’envole vers le sud      vers la mer indigo      en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée      Il est à peine cinq heures      et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m'active

     

    .

     

    L’étoile s’est éteinte      dissoute dans l’eau du vase      C’est à peine si je devine mes mains      qui travaillent au noir      Peut-être la nuit qui se densifie dehors entrera-t-elle flairer mon encre

     

    .

     

    Reconnaîtra-t-elle      dans ce bâton chinois orné d’un dragon d’or      la matière qui      frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin      parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ?

     

    .

     

     

     

    (1999-2019)

     

     

     

     

     

     

    .

     

    Tours d’ivoire

     

    .

     

    Aligner des phrases pleines de mirages, en un désert indéfiniment blanc, dénué de dunes et de subterfuges : étrange projet pour l’avatar d’un Syméon stylite en haut de sa colonne ironico-ionique – que j’ai souvent l’impression d’être. Comme lui,

     

    .

     

    je creuse, je creuse, sous la dictée d’une voix dont j’ignore la provenance. L’humus du langage me découvre l’une après l’autre ses strates : celle-ci d’argile rouge, celle-ci veine de charbon, plus bas l’avertissement d’une lave encore tiède.

     

    .

     

    Depuis peu, à force d’obstination, d’ailleurs risible, et de paroles quasi-calcinées, je sens que j’approche ride après ride, du Laboratoire Central. Alors, comme dans l’huile de lin bouillant à point d’un peintre qui mijote ses vernis, ma plume frise.

     

    .

     

    En naîtront des tableaux dont les couleurs, nappées de suc enrichi au baume de Venise, conserveront une inoxydable fraîcheur, à la manière de ces papillons retrouvés au coeur de blocs d’ambre mêlés au sable des plages de la mer Baltique.

     

    .

     

    Protégés par leur parfum, leur infrangible transparence, leur silence d’or et leur absolue inutilité, mes poèmes dormiront, parfois réunis à titre décoratif sur l’étagère d’un amateur distingué, dans la solitude propre à leur inaccessible vérité.

     

     

     

    .

     

     

     

    Invulnérable

     

    .

     

    Avec les années, rocher livré aux assauts de la houle, mon imaginaire s’érode. Un jour l’onde du temps, cette Salomé, réclamera carrément ma tête. Fini de jouer alors, même médiocrement (ainsi qu’on me le reproche), avec les mots.

     

    .

     

    D’ici là, face à la porte-fenêtre, dans les carreaux je déchiffre des verdures inertes - laurier, olivier, chênes et pins -, assorties d’une grisaille laiteuse en guise de toile de fond, comme si je n’avais plus assez de l’énergie divine qui me permettait d’azurer le dais céleste.

     

    .

     

    Bien compliqué, ce monde ! Plus encore, après trois-quarts de siècle. Déjà Méduse a commencé de pétrifier la chère guenille que nous habitons. Raidis, nos membres méritent le nom de « vieille branche » par lequel nous saluent ceux de notre génération !

     

    .

     

    Indifférents à l’espoir comme au désespoir, l’âme trempée comme acier de Tolède dans le torrent glacé des jours, voici que nous contemplons l’univers qui nous contemple : malgré l’avancée du Désastre et les efforts de l’humanité, sa beauté ne se dégrade point.

     

     

     

    Ça ne s’améliore pas

     

    .

     

    Jadis, l’on avait un ciel d’où descendaient anges

     

    divinités Pères Noël météores et sylphes divers

     

    aux haleines de seringas et d’orangers À présent

     

    tout ce qu’on peut attendre du ciel ce seront

     

    des missiles des ouragans des grêlons géants

     

    Rien de bon, en somme, il faut bien l’avouer

     

    depuis que l’humanité est devenue « moderne » !...

     

     

    .

     

     

     

     

     

     

    Qui ?

     

     

    .

     

     

    Qui frappe ce soir, qui frappe aux portes

     

    De la nuit ? Qui, aux vantaux constellés

     

    d’astres frissonnants comme agonies

     

    de chouettes blanches par superstition

     

    crucifiées aux battants d'une grange ?

     

    Sorti un moment, j'ai pu expérimenter

     

    l'emprise pétrifiante de décembre, l'air

     

    acide agité d'ombres indéfinissables,

     

    et colporteur de rumeurs suffisamment

     

    indistinctes pour décourager quiconque

     

    aurait voulu savoir si elles sont fondées !

     

    La lune feignait de dissimuler sa bouille

     

    asiatique derrière un réseau de ramures

     

    dénudées afin d'espionner mes gestes,

     

    tout comme si je projetais quelque crime

     

    à la faveur de l’obscurité bleuissante. Or

     

    je n'avais d'autre intention que de rêver

     

    quelques minutes en humant l'air froid

     

    environné des silhouettes fantastiques

     

    des futaies du parc, avant de retourner

     

    dans la maison au chaud écrire, encore

     

    et encore puisque rien d'autre désormais

     

    n'est resté au vieux désabusé que je suis.

     

     

     

     

     

     

     

    À la mémoire d’Ulysse

     

    .

     

     

    Aleph ou délice, tu brilles dans mon souvenir

     

    Ulysse, avec le grand ange doré la main posée

     

    sur la poignée de la porte et le premier rayon

     

    de l’aube qui miroite aux carreaux de la cuisine

     

    .

     

    Ding les cloches Dang les cloches Ding-dong

     

    au clocher brillant sur lequel est posé le petit

     

    héron doré comme une bergamote Capricieux

     

    les souffles à l’odeur de menthe lui rebroussent

     

    .

     

    de temps en temps la plume alors qu’à l’horizon

     

    Notre Mer thalassante édifie ses briques d’écume

     

    jusqu’aux nuages bas qui chaloupent sur l’azur

     

    Et je rêve comme toi, Ulysse, de cette chapelle

     

    .

     

    de Sainte Parascève où murmure jour et nuit

     

    comme un ruisseau doucement plaintif et pur

     

    dans le silence mystérieux des oliviers sauvages

     

    l’influx inhumain d’un présent qui n’a pas de fin

     

     

     

     

     

     

     

    Galets polis

     

    .

     

    Quoique dans la promiscuité

     

    de milliers de ses pareils

     

    chacun des galets de la plage

     

    emprisonne en son coeur noir

     

    des éons de solitude

     

    .

     

    Le plus étrange est que toutes

     

    ces solitudes qui macèrent en des coeurs

     

    de pierre n’en font qu’une

     

    mystique immense inaccessible

     

    Non moins inexplicable

     

    .

     

    que la mélodie d’un chant venu

     

    du fond de l’âme immémoriale

     

    d’un peuple humilié quand elle suscite

     

    en toute personne qui l’écoute

     

    alors qu’on sombre dans le crépuscule

     

    .

     

    un élan d’ineffable nostalgie…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Transe et mutation

     

    .

     

    Les champignons distillent dans leur sein

     

    la subtile senteur du terreau détrempé

     

    On la reconnaît comme une promesse

     

    On songe à la clémente nuit minérale

     

    À son attirante douceur qui recueille…

     

    .

     

    Pour ma part cependant je lui préfère

     

    l’emportement du vent survolant la mer

     

    grand trousseur de jupons d’écume

     

    C'est à lui le voyageur le doux le violent

     

    l'impénitent bavard enjôleur de forêts

     

     

    que le plus volontiers je confierais ma future

     

    fumée selon les mots d'un poète ascète

     

    Ainsi m'envolerai-je avec les mouettes

     

    de la lumière et me disperserai-je urbi

     

    et orbi - changé en pollen de soleil levant

     

    .

     

     

     

     

    .

     

    Asakusa Tatori

     

    .

     

    Le petit chat blanc accroupi

     

    sur le rebord de la fenêtre

     

    contemple pensif le bourg

     

    surmonté du volcan sacré

     

    Un long vol d’oies sauvages

     

    zigzague vers les rougeurs

     

    de l’horizon Est-ce crépuscule

     

    du soir ou du matin Mystère !

     

    Le Fuji-san et le chat songeur

     

    veillent tous deux au bord

     

    de l’éternel présent et n’ont

     

    manifestement pas la moindre

     

    intention d’émigrer autre part.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Doppelgänger

     

    .

     

    Doucement j'entends que bat mon coeur

     

    à travers la brutalité du néant

     

    Minutes d’insupportable silence

     

    où l'on a l'impression que l'avenir

     

    et même le présent vont se dérober sous nos pieds

     

    Une carpette qu'on tire au passage

     

    comme dans les dessins animés

     

    pour que trébuche une personne

     

    qu'on ne connaît pas mais qui déplaît

     

    peut-être simplement du fait d’assumer le rôle de miroir

     

    où se profile tout ce que nous détestons

     

    de notre propre personne

     

    quand on la découvre confrontée 

     

     

     

     

     

     

     

    Enluminure noir et or  

     

    .

     

    Avec le soleil du soir      une étoile est tombée dans le vase en cristal où s’ennuient sur la table de la terrasse      des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis

     

    .

     

    La table elle-même est recouverte d’un plexiglas qui reflète      à la manière d’une flaque d’eau       le feston inversé des frondaisons serties dans l’ambre doré du ciel       au ras des monts bleus

     

    .

     

    Des étages de longs cirrus claisemés s’étirent de l’est à l’ouest         minces et clairs eux reçoivent encore       la rougeur du soleil disparu      Un alphabet noir de tourterelles ou de corbeaux

     

    .

     

    s’envole vers le sud       vers la mer indigo        en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée        Il est à peine cinq heures et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m’active

     

    .

     

    L’étoile s’est éteinte       dissoute dans l’eau du vase       C’est à peine si je devine mes mains qui travaillent au noir        Peut-être la nuit qui se densifie dehors       entrera-t-elle flairer mon encre 

     

    .

     

    Reconnaîtra-t-elle dans le bâton chinois orné d’un dragon d’or        la matière qui       frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin       parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ?                                

     

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    (1999-2019)

     

     

     

    version en blog :

     

     

     

    Enluminure noir et or 

     

    .

     

    Avec le soleil du soir      une étoile est tombée dans le vase en cristal      où s’ennuient      sur la table de la terrasse       des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis

     

    .

     

    La table elle-même      est recouverte d’un plexiglas qui reflète       à la manière d’une flaque d’eau      le feston inversé des frondaisons       serties dans l’ambre doré du ciel       au ras des monts bleus

     

    .

     

    Des étages de longs cirrus claisemés       s’étirent de l’est à l’ouest      minces et clairs      eux reçoivent encore       la rougeur du soleil disparu       Un alphabet noir de tourterelles      ou de corbeaux

     

    .

     

    s’envole vers le sud      vers la mer indigo      en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée      Il est à peine cinq heures      et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m'active

     

    .

     

    L’étoile s’est éteinte      dissoute dans l’eau du vase      C’est à peine si je devine mes mains      qui travaillent au noir      Peut-être la nuit qui se densifie dehors entrera-t-elle flairer mon encre 

     

    .

     

    Reconnaîtra-t-elle      dans ce bâton chinois orné d’un dragon d’or      la matière qui      frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin      parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ? 

     

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    (1999-2019)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Tours d’ivoire

     

    .

     

    Aligner des phrases pleines de mirages, en un désert indéfiniment blanc, dénué de dunes et de subterfuges : étrange projet pour l’avatar d’un Syméon stylite en haut de sa colonne ironico-ionique – que j’ai souvent l’impression d’être. Comme lui,

     

    .

     

    je creuse, je creuse, sous la dictée d’une voix dont j’ignore la provenance. L’humus du langage me découvre l’une après l’autre ses strates : celle-ci d’argile rouge, celle-ci veine de charbon, plus bas l’avertissement d’une lave encore tiède.

     

    .

     

    Depuis peu, à force d’obstination, d’ailleurs risible, et de paroles quasi-calcinées, je sens que j’approche ride après ride, du Laboratoire Central. Alors, comme dans l’huile de lin bouillant à point d’un peintre qui mijote ses vernis, ma plume frise.

     

    .

     

    En naîtront des tableaux dont les couleurs, nappées de suc enrichi au baume de Venise, conserveront une inoxydable fraîcheur, à la manière de ces papillons retrouvés au coeur de blocs d’ambre mêlés au sable des plages de la mer Baltique. 

     

    .

     

    Protégés par leur parfum, leur infrangible transparence, leur silence d’or et leur absolue inutilité, mes poèmes dormiront, parfois réunis à titre décoratif sur l’étagère d’un amateur distingué, dans la solitude propre à leur inaccessible vérité.

     

     

     

     

     

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    Invulnérable

     

     .

     

    Avec les années, rocher livré aux assauts de la houle, mon imaginaire s’érode. Un jour l’onde du temps, cette Salomé, réclamera carrément ma tête. Fini de jouer alors, même médiocrement (ainsi qu’on me le reproche), avec les mots.

     

    .

     

    D’ici là, face à la porte-fenêtre, dans les carreaux je déchiffre des verdures inertes - laurier, olivier, chênes et pins -, assorties d’une grisaille laiteuse en guise de toile de fond, comme si je n’avais plus assez de l’énergie divine qui me permettait d’azurer le dais céleste.

     

    .

     

    Bien compliqué, ce monde ! Plus encore, après trois-quarts de siècle. Déjà Méduse a commencé de pétrifier la chère guenille que nous habitons. Raidis, nos membres méritent le nom de « vieille branche » par lequel nous saluent ceux de notre génération !

     

    .

     

    Indifférents à l’espoir comme au désespoir, l’âme trempée comme acier de Tolède dans le torrent glacé des jours, voici que nous contemplons l’univers qui nous contemple : malgré l’avancée du Désastre et les efforts de l’humanité, sa beauté ne se dégrade point.

     

     

     

     

     

    Ça ne s’améliore pas

     

    .

     

    Jadis, l’on avait un ciel d’où descendaient anges

     

    divinités Pères Noël météores et sylphes divers

     

    aux haleines de seringas et d’orangers À présent

     

    tout ce qu’on peut attendre du ciel ce seront 

     

    des missiles des ouragans des grêlons géants

     

    Rien de bon, en somme, il faut bien l’avouer

     

    depuis que l’humanité est devenue « moderne » !...

     

     

     

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    Qui ?

     

     

     

    .

     

     

     

    Qui frappe ce soir, qui frappe aux portes

     

    De la nuit ? Qui, aux vantaux constellés

     

    d’astres frissonnants comme agonies

     

    de chouettes blanches par superstition

     

    crucifiées aux battants d'une grange ?

     

    Sorti un moment, j'ai pu expérimenter

     

    l'emprise pétrifiante de décembre, l'air

     

    acide agité d'ombres indéfinissables,

     

    et colporteur de rumeurs suffisamment

     

    indistinctes pour décourager quiconque

     

    aurait voulu savoir si elles sont fondées !

     

    La lune feignait de dissimuler sa bouille

     

    asiatique derrière un réseau de ramures

     

    dénudées afin d'espionner mes gestes,

     

    tout comme si je projetais quelque crime

     

    à la faveur de l’obscurité bleuissante. Or

     

    je n'avais d'autre intention que de rêver

     

    quelques minutes en humant l'air froid

     

    environné des silhouettes fantastiques

     

    des futaies du parc, avant de retourner

     

    dans la maison au chaud écrire, encore

     

    et encore puisque rien d'autre désormais

     

    n'est resté au vieux désabusé que je suis.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    À la mémoire d’Ulysse

     

    .

     

     

     

    Aleph ou délice, tu brilles dans mon souvenir

     

    Ulysse, avec le grand ange doré la main posée

     

    sur la poignée de la porte et le premier rayon

     

    de l’aube qui miroite aux carreaux de la cuisine

     

    .

     

    Ding les cloches Dang les cloches Ding-dong

     

    au clocher brillant sur lequel est posé le petit 

     

    héron doré comme une bergamote Capricieux

     

    les souffles à l’odeur de menthe lui rebroussent

     

    .

     

    de temps en temps la plume alors qu’à l’horizon 

     

    Notre Mer thalassante édifie ses briques d’écume

     

    jusqu’aux nuages bas qui chaloupent sur l’azur

     

    Et je rêve comme toi, Ulysse, de cette chapelle 

     

    .

     

    de Sainte Parascève où murmure jour et nuit 

     

    comme un ruisseau doucement plaintif et pur 

     

    dans le silence mystérieux des oliviers sauvages

     

    l’influx inhumain d’un présent qui n’a pas de fin

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Galets polis

     

    .

     

    Quoique dans la promiscuité

     

    de milliers de ses pareils

     

    chacun des galets de la plage

     

    emprisonne en son coeur noir

     

    des éons de solitude

     

    .

     

    Le plus étrange est que toutes

     

    ces solitudes qui macèrent en des coeurs

     

    de pierre n’en font qu’une

     

    mystique immense inaccessible

     

    Non moins inexplicable

     

    .

     

    que la mélodie d’un chant venu

     

    du fond de l’âme immémoriale

     

    d’un peuple humilié quand elle suscite

     

    en toute personne qui l’écoute

     

    alors qu’on sombre dans le crépuscule

     

    .

     

    un élan d’ineffable nostalgie…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Transe et mutation

     

    .

     

    Les champignons distillent dans leur sein

     

    la subtile senteur du terreau détrempé 

     

    On la reconnaît comme une promesse

     

    On songe à la clémente nuit minérale 

     

    À son attirante douceur qui recueille…

     

    .

     

    Pour ma part cependant je lui préfère 

     

    l’emportement du vent survolant la mer

     

    grand trousseur de jupons d’écume

     

    C'est à lui le voyageur le doux le violent

     

    l'impénitent bavard enjôleur de forêts  

     

     

     

    que le plus volontiers je confierais ma future

     

    fumée selon les mots d'un poète ascète 

     

    Ainsi m'envolerai-je avec les mouettes 

     

    de la lumière et me disperserai-je urbi

     

    et orbi - changé en pollen de soleil levant 

     

    .

     

     

     

     

     

     

     

    .

     

    Asakusa Tatori

     

    .

     

    Le petit chat blanc accroupi

     

    sur le rebord de la fenêtre

     

    contemple pensif le bourg 

     

    surmonté du volcan sacré

     

    Un long vol d’oies sauvages 

     

    zigzague vers les rougeurs

     

    de l’horizon Est-ce crépuscule 

     

    du soir ou du matin Mystère !

     

    Le Fuji-san et le chat songeur

     

    veillent tous deux au bord

     

    de l’éternel présent et n’ont

     

    manifestement pas la moindre

     

    intention d’émigrer autre part.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Doppelgänger

     

    .

     

    Doucement j'entends que bat mon coeur

     

    à travers la brutalité du néant

     

    Minutes d’insupportable silence

     

    où l'on a l'impression que l'avenir

     

    et même le présent vont se dérober sous nos pieds 

     

    Une carpette qu'on tire au passage

     

    comme dans les dessins animés 

     

    pour que trébuche une personne

     

    qu'on ne connaît pas mais qui déplaît 

     

    peut-être simplement du fait d’assumer le rôle de miroir

     

    où se profile tout ce que nous détestons 

     

    de notre propre personne 

     

    quand on la découvre confrontée 

     

     

     

     

     

     

     

    Enluminure noir et or  

     

    .

     

    Avec le soleil du soir      une étoile est tombée dans le vase en cristal où s’ennuient sur la table de la terrasse      des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis

     

    .

     

    La table elle-même est recouverte d’un plexiglas qui reflète      à la manière d’une flaque d’eau       le feston inversé des frondaisons serties dans l’ambre doré du ciel       au ras des monts bleus

     

    .

     

    Des étages de longs cirrus claisemés s’étirent de l’est à l’ouest         minces et clairs eux reçoivent encore       la rougeur du soleil disparu      Un alphabet noir de tourterelles ou de corbeaux

     

    .

     

    s’envole vers le sud       vers la mer indigo        en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée        Il est à peine cinq heures et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m’active

     

    .

     

    L’étoile s’est éteinte       dissoute dans l’eau du vase       C’est à peine si je devine mes mains qui travaillent au noir        Peut-être la nuit qui se densifie dehors       entrera-t-elle flairer mon encre 

     

    .

     

    Reconnaîtra-t-elle dans le bâton chinois orné d’un dragon d’or        la matière qui       frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin       parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ?                                

     

    .

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (1999-2019)

     

     

     

    version en blog :

     

     

     

    Enluminure noir et or 

     

    .

     

    Avec le soleil du soir      une étoile est tombée dans le vase en cristal      où s’ennuient      sur la table de la terrasse       des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis

     

    .

     

    La table elle-même      est recouverte d’un plexiglas qui reflète       à la manière d’une flaque d’eau      le feston inversé des frondaisons       serties dans l’ambre doré du ciel       au ras des monts bleus

     

    .

     

    Des étages de longs cirrus claisemés       s’étirent de l’est à l’ouest      minces et clairs      eux reçoivent encore       la rougeur du soleil disparu       Un alphabet noir de tourterelles      ou de corbeaux

     

    .

     

    s’envole vers le sud      vers la mer indigo      en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée      Il est à peine cinq heures      et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m'active

     

    .

     

    L’étoile s’est éteinte      dissoute dans l’eau du vase      C’est à peine si je devine mes mains      qui travaillent au noir      Peut-être la nuit qui se densifie dehors entrera-t-elle flairer mon encre 

     

    .

     

    Reconnaîtra-t-elle      dans ce bâton chinois orné d’un dragon d’or      la matière qui      frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin      parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ? 

     

    .

     

     

     

     

     

    (1999-2019)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    .

     

    Tours d’ivoire

     

    .

     

    Aligner des phrases pleines de mirages, en un désert indéfiniment blanc, dénué de dunes et de subterfuges : étrange projet pour l’avatar d’un Syméon stylite en haut de sa colonne ironico-ionique – que j’ai souvent l’impression d’être. Comme lui,

     

    .

     

    je creuse, je creuse, sous la dictée d’une voix dont j’ignore la provenance. L’humus du langage me découvre l’une après l’autre ses strates : celle-ci d’argile rouge, celle-ci veine de charbon, plus bas l’avertissement d’une lave encore tiède.

     

    .

     

    Depuis peu, à force d’obstination, d’ailleurs risible, et de paroles quasi-calcinées, je sens que j’approche ride après ride, du Laboratoire Central. Alors, comme dans l’huile de lin bouillant à point d’un peintre qui mijote ses vernis, ma plume frise.

     

    .

     

    En naîtront des tableaux dont les couleurs, nappées de suc enrichi au baume de Venise, conserveront une inoxydable fraîcheur, à la manière de ces papillons retrouvés au coeur de blocs d’ambre mêlés au sable des plages de la mer Baltique. 

     

    .

     

    Protégés par leur parfum, leur infrangible transparence, leur silence d’or et leur absolue inutilité, mes poèmes dormiront, parfois réunis à titre décoratif sur l’étagère d’un amateur distingué, dans la solitude propre à leur inaccessible vérité.

     

     

     

     

     

    .

     

     

     

     

     

     

     

    Invulnérable

     

     .

     

    Avec les années, rocher livré aux assauts de la houle, mon imaginaire s’érode. Un jour l’onde du temps, cette Salomé, réclamera carrément ma tête. Fini de jouer alors, même médiocrement (ainsi qu’on me le reproche), avec les mots.

     

    .

     

    D’ici là, face à la porte-fenêtre, dans les carreaux je déchiffre des verdures inertes - laurier, olivier, chênes et pins -, assorties d’une grisaille laiteuse en guise de toile de fond, comme si je n’avais plus assez de l’énergie divine qui me permettait d’azurer le dais céleste.

     

    .

     

    Bien compliqué, ce monde ! Plus encore, après trois-quarts de siècle. Déjà Méduse a commencé de pétrifier la chère guenille que nous habitons. Raidis, nos membres méritent le nom de « vieille branche » par lequel nous saluent ceux de notre génération !

     

    .

     

    Indifférents à l’espoir comme au désespoir, l’âme trempée comme acier de Tolède dans le torrent glacé des jours, voici que nous contemplons l’univers qui nous contemple : malgré l’avancée du Désastre et les efforts de l’humanité, sa beauté ne se dégrade point.

     

     

     

     

     

    Ça ne s’améliore pas

     

    .

     

    Jadis, l’on avait un ciel d’où descendaient anges

     

    divinités Pères Noël météores et sylphes divers

     

    aux haleines de seringas et d’orangers À présent

     

    tout ce qu’on peut attendre du ciel ce seront 

     

    des missiles des ouragans des grêlons géants

     

    Rien de bon, en somme, il faut bien l’avouer

     

    depuis que l’humanité est devenue « moderne » !...

     

     

     

    .

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Qui ?

     

     

     

    .

     

     

     

    Qui frappe ce soir, qui frappe aux portes

     

    De la nuit ? Qui, aux vantaux constellés

     

    d’astres frissonnants comme agonies

     

    de chouettes blanches par superstition

     

    crucifiées aux battants d'une grange ?

     

    Sorti un moment, j'ai pu expérimenter

     

    l'emprise pétrifiante de décembre, l'air

     

    acide agité d'ombres indéfinissables,

     

    et colporteur de rumeurs suffisamment

     

    indistinctes pour décourager quiconque

     

    aurait voulu savoir si elles sont fondées !

     

    La lune feignait de dissimuler sa bouille

     

    asiatique derrière un réseau de ramures

     

    dénudées afin d'espionner mes gestes,

     

    tout comme si je projetais quelque crime

     

    à la faveur de l’obscurité bleuissante. Or

     

    je n'avais d'autre intention que de rêver

     

    quelques minutes en humant l'air froid

     

    environné des silhouettes fantastiques

     

    des futaies du parc, avant de retourner

     

    dans la maison au chaud écrire, encore

     

    et encore puisque rien d'autre désormais

     

    n'est resté au vieux désabusé que je suis.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    À la mémoire d’Ulysse

     

    .

     

     

     

    Aleph ou délice, tu brilles dans mon souvenir

     

    Ulysse, avec le grand ange doré la main posée

     

    sur la poignée de la porte et le premier rayon

     

    de l’aube qui miroite aux carreaux de la cuisine

     

    .

     

    Ding les cloches Dang les cloches Ding-dong

     

    au clocher brillant sur lequel est posé le petit 

     

    héron doré comme une bergamote Capricieux

     

    les souffles à l’odeur de menthe lui rebroussent

     

    .

     

    de temps en temps la plume alors qu’à l’horizon 

     

    Notre Mer thalassante édifie ses briques d’écume

     

    jusqu’aux nuages bas qui chaloupent sur l’azur

     

    Et je rêve comme toi, Ulysse, de cette chapelle 

     

    .

     

    de Sainte Parascève où murmure jour et nuit 

     

    comme un ruisseau doucement plaintif et pur 

     

    dans le silence mystérieux des oliviers sauvages

     

    l’influx inhumain d’un présent qui n’a pas de fin

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Galets polis

     

    .

     

    Quoique dans la promiscuité

     

    de milliers de ses pareils

     

    chacun des galets de la plage

     

    emprisonne en son coeur noir

     

    des éons de solitude

     

    .

     

    Le plus étrange est que toutes

     

    ces solitudes qui macèrent en des coeurs

     

    de pierre n’en font qu’une

     

    mystique immense inaccessible

     

    Non moins inexplicable

     

    .

     

    que la mélodie d’un chant venu

     

    du fond de l’âme immémoriale

     

    d’un peuple humilié quand elle suscite

     

    en toute personne qui l’écoute

     

    alors qu’on sombre dans le crépuscule

     

    .

     

    un élan d’ineffable nostalgie…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Transe et mutation

     

    .

     

    Les champignons distillent dans leur sein

     

    la subtile senteur du terreau détrempé 

     

    On la reconnaît comme une promesse

     

    On songe à la clémente nuit minérale 

     

    À son attirante douceur qui recueille…

     

    .

     

    Pour ma part cependant je lui préfère 

     

    l’emportement du vent survolant la mer

     

    grand trousseur de jupons d’écume

     

    C'est à lui le voyageur le doux le violent

     

    l'impénitent bavard enjôleur de forêts  

     

     

     

    que le plus volontiers je confierais ma future

     

    fumée selon les mots d'un poète ascète 

     

    Ainsi m'envolerai-je avec les mouettes 

     

    de la lumière et me disperserai-je urbi

     

    et orbi - changé en pollen de soleil levant 

     

    .

     

     

     

     

     

     

     

    .

     

    Asakusa Tatori

     

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    Le petit chat blanc accroupi

     

    sur le rebord de la fenêtre

     

    contemple pensif le bourg 

     

    surmonté du volcan sacré

     

    Un long vol d’oies sauvages 

     

    zigzague vers les rougeurs

     

    de l’horizon Est-ce crépuscule 

     

    du soir ou du matin Mystère !

     

    Le Fuji-san et le chat songeur

     

    veillent tous deux au bord

     

    de l’éternel présent et n’ont

     

    manifestement pas la moindre

     

    intention d’émigrer autre part.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Enluminure noir et or

    .

    Avec le soleil du soir      une étoile est tombée dans le vase en cristal      où s’ennuient      sur la table de la terrasse       des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis

    .

    La table elle-même      est recouverte d’un plexiglas qui reflète       à la manière d’une flaque d’eau      le feston inversé des frondaisons       serties dans l’ambre doré du ciel       au ras des monts bleus

    .

    Des étages de longs cirrus claisemés       s’étirent de l’est à l’ouest      minces et clairs      eux reçoivent encore       la rougeur du soleil disparu       Un alphabet noir de tourterelles      ou de corbeaux

    .

    s’envole vers le sud      vers la mer indigo      en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée      Il est à peine cinq heures      et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m'active

    .

    L’étoile s’est éteinte      dissoute dans l’eau du vase      C’est à peine si je devine mes mains      qui travaillent au noir      Peut-être la nuit qui se densifie dehors entrera-t-elle flairer mon encre 

    .

    Reconnaîtra-t-elle      dans ce bâton chinois orné d’un dragon d’or      la matière qui      frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin      parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ?

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    (1999-2019)

     

     

     

     

     

     

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    Tours d’ivoire

    .

    Aligner des phrases pleines de mirages, en un désert indéfiniment blanc, dénué de dunes et de subterfuges : étrange projet pour l’avatar d’un Syméon stylite en haut de sa colonne ironico-ionique – que j’ai souvent l’impression d’être. Comme lui,

    .

    je creuse, je creuse, sous la dictée d’une voix dont j’ignore la provenance. L’humus du langage me découvre l’une après l’autre ses strates : celle-ci d’argile rouge, celle-ci veine de charbon, plus bas l’avertissement d’une lave encore tiède.

    .

    Depuis peu, à force d’obstination, d’ailleurs risible, et de paroles quasi-calcinées, je sens que j’approche ride après ride, du Laboratoire Central. Alors, comme dans l’huile de lin bouillant à point d’un peintre qui mijote ses vernis, ma plume frise.

    .

    En naîtront des tableaux dont les couleurs, nappées de suc enrichi au baume de Venise, conserveront une inoxydable fraîcheur, à la manière de ces papillons retrouvés au coeur de blocs d’ambre mêlés au sable des plages de la mer Baltique.

    .

    Protégés par leur parfum, leur infrangible transparence, leur silence d’or et leur absolue inutilité, mes poèmes dormiront, parfois réunis à titre décoratif sur l’étagère d’un amateur distingué, dans la solitude propre à leur inaccessible vérité.

     

     

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    Invulnérable

    .

    Avec les années, rocher livré aux assauts de la houle, mon imaginaire s’érode. Un jour l’onde du temps, cette Salomé, réclamera carrément ma tête. Fini de jouer alors, même médiocrement (ainsi qu’on me le reproche), avec les mots.

    .

    D’ici là, face à la porte-fenêtre, dans les carreaux je déchiffre des verdures inertes - laurier, olivier, chênes et pins -, assorties d’une grisaille laiteuse en guise de toile de fond, comme si je n’avais plus assez de l’énergie divine qui me permettait d’azurer le dais céleste.

    .

    Bien compliqué, ce monde ! Plus encore, après trois-quarts de siècle. Déjà Méduse a commencé de pétrifier la chère guenille que nous habitons. Raidis, nos membres méritent le nom de « vieille branche » par lequel nous saluent ceux de notre génération !

    .

    Indifférents à l’espoir comme au désespoir, l’âme trempée comme acier de Tolède dans le torrent glacé des jours, voici que nous contemplons l’univers qui nous contemple : malgré l’avancée du Désastre et les efforts de l’humanité, sa beauté ne se dégrade point.

     

     

    Ça ne s’améliore pas

    .

    Jadis, l’on avait un ciel d’où descendaient anges

    divinités Pères Noël météores et sylphes divers

    aux haleines de seringas et d’orangers À présent

    tout ce qu’on peut attendre du ciel ce seront

    des missiles des ouragans des grêlons géants

    Rien de bon, en somme, il faut bien l’avouer

    depuis que l’humanité est devenue « moderne » !...

     

    .

     

     

     

     

     

    Qui ?

     

    .

     

    Qui frappe ce soir, qui frappe aux portes

    De la nuit ? Qui, aux vantaux constellés

    d’astres frissonnants comme agonies

    de chouettes blanches par superstition

    crucifiées aux battants d'une grange ?

    Sorti un moment, j'ai pu expérimenter

    l'emprise pétrifiante de décembre, l'air

    acide agité d'ombres indéfinissables,

    et colporteur de rumeurs suffisamment

    indistinctes pour décourager quiconque

    aurait voulu savoir si elles sont fondées !

    La lune feignait de dissimuler sa bouille

    asiatique derrière un réseau de ramures

    dénudées afin d'espionner mes gestes,

    tout comme si je projetais quelque crime

    à la faveur de l’obscurité bleuissante. Or

    je n'avais d'autre intention que de rêver

    quelques minutes en humant l'air froid

    environné des silhouettes fantastiques

    des futaies du parc, avant de retourner

    dans la maison au chaud écrire, encore

    et encore puisque rien d'autre désormais

    n'est resté au vieux désabusé que je suis.

     

     

     

     

     

     

    À la mémoire d’Ulysse

    .

     

    Aleph ou délice, tu brilles dans mon souvenir

    Ulysse, avec le grand ange doré la main posée

    sur la poignée de la porte et le premier rayon

    de l’aube qui miroite aux carreaux de la cuisine

    .

    Ding les cloches Dang les cloches Ding-dong

    au clocher brillant sur lequel est posé le petit

    héron doré comme une bergamote Capricieux

    les souffles à l’odeur de menthe lui rebroussent

    .

    de temps en temps la plume alors qu’à l’horizon

    Notre Mer thalassante édifie ses briques d’écume

    jusqu’aux nuages bas qui chaloupent sur l’azur

    Et je rêve comme toi, Ulysse, de cette chapelle

    .

    de Sainte Parascève où murmure jour et nuit

    comme un ruisseau doucement plaintif et pur

    dans le silence mystérieux des oliviers sauvages

    l’influx inhumain d’un présent qui n’a pas de fin

     

     

     

     

     

     

    Galets polis

    .

    Quoique dans la promiscuité

    de milliers de ses pareils

    chacun des galets de la plage

    emprisonne en son coeur noir

    des éons de solitude

    .

    Le plus étrange est que toutes

    ces solitudes qui macèrent en des coeurs

    de pierre n’en font qu’une

    mystique immense inaccessible

    Non moins inexplicable

    .

    que la mélodie d’un chant venu

    du fond de l’âme immémoriale

    d’un peuple humilié quand elle suscite

    en toute personne qui l’écoute

    alors qu’on sombre dans le crépuscule

    .

    un élan d’ineffable nostalgie…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Transe et mutation

    .

    Les champignons distillent dans leur sein

    la subtile senteur du terreau détrempé

    On la reconnaît comme une promesse

    On songe à la clémente nuit minérale

    À son attirante douceur qui recueille…

    .

    Pour ma part cependant je lui préfère

    l’emportement du vent survolant la mer

    grand trousseur de jupons d’écume

    C'est à lui le voyageur le doux le violent

    l'impénitent bavard enjôleur de forêts

     

    que le plus volontiers je confierais ma future

    fumée selon les mots d'un poète ascète

    Ainsi m'envolerai-je avec les mouettes

    de la lumière et me disperserai-je urbi

    et orbi - changé en pollen de soleil levant

    .

     

     

     

    .

    Asakusa Tatori

    .

    Le petit chat blanc accroupi

    sur le rebord de la fenêtre

    contemple pensif le bourg

    surmonté du volcan sacré

    Un long vol d’oies sauvages

    zigzague vers les rougeurs

    de l’horizon Est-ce crépuscule

    du soir ou du matin Mystère !

    Le Fuji-san et le chat songeur

    veillent tous deux au bord

    de l’éternel présent et n’ont

    manifestement pas la moindre

    intention d’émigrer autre part.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Doppelgänger

    .

    Doucement j'entends que bat mon coeur

    à travers la brutalité du néant

    Minutes d’insupportable silence

    où l'on a l'impression que l'avenir

    et même le présent vont se dérober sous nos pieds

    Une carpette qu'on tire au passage

    comme dans les dessins animés

    pour que trébuche une personne

    qu'on ne connaît pas mais qui déplaît

    peut-être simplement du fait d’assumer le rôle de miroir

    où se profile tout ce que nous détestons

    de notre propre personne

    quand on la découvre confrontée 

     

     

     

    Enluminure noir et or  

    .

    Avec le soleil du soir      une étoile est tombée dans le vase en cristal où s’ennuient sur la table de la terrasse      des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis

    .

    La table elle-même est recouverte d’un plexiglas qui reflète      à la manière d’une flaque d’eau       le feston inversé des frondaisons serties dans l’ambre doré du ciel       au ras des monts bleus

    .

    Des étages de longs cirrus claisemés s’étirent de l’est à l’ouest         minces et clairs eux reçoivent encore       la rougeur du soleil disparu      Un alphabet noir de tourterelles ou de corbeaux

    .

    s’envole vers le sud       vers la mer indigo        en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée        Il est à peine cinq heures et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m’active

    .

    L’étoile s’est éteinte       dissoute dans l’eau du vase       C’est à peine si je devine mes mains qui travaillent au noir        Peut-être la nuit qui se densifie dehors       entrera-t-elle flairer mon encre 

    .

    Reconnaîtra-t-elle dans le bâton chinois orné d’un dragon d’or        la matière qui       frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin       parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ?                                

    .

     

     

     

     

     

     

    (1999-2019)

     

    version en blog :

     

    Enluminure noir et or 

    .

    Avec le soleil du soir      une étoile est tombée dans le vase en cristal      où s’ennuient      sur la table de la terrasse       des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis

    .

    La table elle-même      est recouverte d’un plexiglas qui reflète       à la manière d’une flaque d’eau      le feston inversé des frondaisons       serties dans l’ambre doré du ciel       au ras des monts bleus

    .

    Des étages de longs cirrus claisemés       s’étirent de l’est à l’ouest      minces et clairs      eux reçoivent encore       la rougeur du soleil disparu       Un alphabet noir de tourterelles      ou de corbeaux

    .

    s’envole vers le sud      vers la mer indigo      en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée      Il est à peine cinq heures      et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m'active

    .

    L’étoile s’est éteinte      dissoute dans l’eau du vase      C’est à peine si je devine mes mains      qui travaillent au noir      Peut-être la nuit qui se densifie dehors entrera-t-elle flairer mon encre 

    .

    Reconnaîtra-t-elle      dans ce bâton chinois orné d’un dragon d’or      la matière qui      frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin      parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ? 

    .

     

     

    (1999-2019)

     

     

     

     

     

     

    .

    Tours d’ivoire

    .

    Aligner des phrases pleines de mirages, en un désert indéfiniment blanc, dénué de dunes et de subterfuges : étrange projet pour l’avatar d’un Syméon stylite en haut de sa colonne ironico-ionique – que j’ai souvent l’impression d’être. Comme lui,

    .

    je creuse, je creuse, sous la dictée d’une voix dont j’ignore la provenance. L’humus du langage me découvre l’une après l’autre ses strates : celle-ci d’argile rouge, celle-ci veine de charbon, plus bas l’avertissement d’une lave encore tiède.

    .

    Depuis peu, à force d’obstination, d’ailleurs risible, et de paroles quasi-calcinées, je sens que j’approche ride après ride, du Laboratoire Central. Alors, comme dans l’huile de lin bouillant à point d’un peintre qui mijote ses vernis, ma plume frise.

    .

    En naîtront des tableaux dont les couleurs, nappées de suc enrichi au baume de Venise, conserveront une inoxydable fraîcheur, à la manière de ces papillons retrouvés au coeur de blocs d’ambre mêlés au sable des plages de la mer Baltique. 

    .

    Protégés par leur parfum, leur infrangible transparence, leur silence d’or et leur absolue inutilité, mes poèmes dormiront, parfois réunis à titre décoratif sur l’étagère d’un amateur distingué, dans la solitude propre à leur inaccessible vérité.

     

     

    .

     

     

     

    Invulnérable

     .

    Avec les années, rocher livré aux assauts de la houle, mon imaginaire s’érode. Un jour l’onde du temps, cette Salomé, réclamera carrément ma tête. Fini de jouer alors, même médiocrement (ainsi qu’on me le reproche), avec les mots.

    .

    D’ici là, face à la porte-fenêtre, dans les carreaux je déchiffre des verdures inertes - laurier, olivier, chênes et pins -, assorties d’une grisaille laiteuse en guise de toile de fond, comme si je n’avais plus assez de l’énergie divine qui me permettait d’azurer le dais céleste.

    .

    Bien compliqué, ce monde ! Plus encore, après trois-quarts de siècle. Déjà Méduse a commencé de pétrifier la chère guenille que nous habitons. Raidis, nos membres méritent le nom de « vieille branche » par lequel nous saluent ceux de notre génération !

    .

    Indifférents à l’espoir comme au désespoir, l’âme trempée comme acier de Tolède dans le torrent glacé des jours, voici que nous contemplons l’univers qui nous contemple : malgré l’avancée du Désastre et les efforts de l’humanité, sa beauté ne se dégrade point.

     

     

    Ça ne s’améliore pas

    .

    Jadis, l’on avait un ciel d’où descendaient anges

    divinités Pères Noël météores et sylphes divers

    aux haleines de seringas et d’orangers À présent

    tout ce qu’on peut attendre du ciel ce seront 

    des missiles des ouragans des grêlons géants

    Rien de bon, en somme, il faut bien l’avouer

    depuis que l’humanité est devenue « moderne » !...

     

    .

     

     

     

     

     

    Qui ?

     

    .

     

    Qui frappe ce soir, qui frappe aux portes

    De la nuit ? Qui, aux vantaux constellés

    d’astres frissonnants comme agonies

    de chouettes blanches par superstition

    crucifiées aux battants d'une grange ?

    Sorti un moment, j'ai pu expérimenter

    l'emprise pétrifiante de décembre, l'air

    acide agité d'ombres indéfinissables,

    et colporteur de rumeurs suffisamment

    indistinctes pour décourager quiconque

    aurait voulu savoir si elles sont fondées !

    La lune feignait de dissimuler sa bouille

    asiatique derrière un réseau de ramures

    dénudées afin d'espionner mes gestes,

    tout comme si je projetais quelque crime

    à la faveur de l’obscurité bleuissante. Or

    je n'avais d'autre intention que de rêver

    quelques minutes en humant l'air froid

    environné des silhouettes fantastiques

    des futaies du parc, avant de retourner

    dans la maison au chaud écrire, encore

    et encore puisque rien d'autre désormais

    n'est resté au vieux désabusé que je suis.

     

     

     

     

     

     

    À la mémoire d’Ulysse

    .

     

    Aleph ou délice, tu brilles dans mon souvenir

    Ulysse, avec le grand ange doré la main posée

    sur la poignée de la porte et le premier rayon

    de l’aube qui miroite aux carreaux de la cuisine

    .

    Ding les cloches Dang les cloches Ding-dong

    au clocher brillant sur lequel est posé le petit 

    héron doré comme une bergamote Capricieux

    les souffles à l’odeur de menthe lui rebroussent

    .

    de temps en temps la plume alors qu’à l’horizon 

    Notre Mer thalassante édifie ses briques d’écume

    jusqu’aux nuages bas qui chaloupent sur l’azur

    Et je rêve comme toi, Ulysse, de cette chapelle 

    .

    de Sainte Parascève où murmure jour et nuit 

    comme un ruisseau doucement plaintif et pur 

    dans le silence mystérieux des oliviers sauvages

    l’influx inhumain d’un présent qui n’a pas de fin

     

     

     

     

     

     

    Galets polis

    .

    Quoique dans la promiscuité

    de milliers de ses pareils

    chacun des galets de la plage

    emprisonne en son coeur noir

    des éons de solitude

    .

    Le plus étrange est que toutes

    ces solitudes qui macèrent en des coeurs

    de pierre n’en font qu’une

    mystique immense inaccessible

    Non moins inexplicable

    .

    que la mélodie d’un chant venu

    du fond de l’âme immémoriale

    d’un peuple humilié quand elle suscite

    en toute personne qui l’écoute

    alors qu’on sombre dans le crépuscule

    .

    un élan d’ineffable nostalgie…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Transe et mutation

    .

    Les champignons distillent dans leur sein

    la subtile senteur du terreau détrempé 

    On la reconnaît comme une promesse

    On songe à la clémente nuit minérale 

    À son attirante douceur qui recueille…

    .

    Pour ma part cependant je lui préfère 

    l’emportement du vent survolant la mer

    grand trousseur de jupons d’écume

    C'est à lui le voyageur le doux le violent

    l'impénitent bavard enjôleur de forêts  

     

    que le plus volontiers je confierais ma future

    fumée selon les mots d'un poète ascète 

    Ainsi m'envolerai-je avec les mouettes 

    de la lumière et me disperserai-je urbi

    et orbi - changé en pollen de soleil levant 

    .

     

     

     

    .

    Asakusa Tatori

    .

    Le petit chat blanc accroupi

    sur le rebord de la fenêtre

    contemple pensif le bourg 

    surmonté du volcan sacré

    Un long vol d’oies sauvages 

    zigzague vers les rougeurs

    de l’horizon Est-ce crépuscule 

    du soir ou du matin Mystère !

    Le Fuji-san et le chat songeur

    veillent tous deux au bord

    de l’éternel présent et n’ont

    manifestement pas la moindre

    intention d’émigrer autre part.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Doppelgänger

    .

    Doucement j'entends que bat mon coeur

    à travers la brutalité du néant

    Minutes d’insupportable silence

    où l'on a l'impression que l'avenir

    et même le présent vont se dérober sous nos pieds 

    Une carpette qu'on tire au passage

    comme dans les dessins animés 

    pour que trébuche une personne

    qu'on ne connaît pas mais qui déplaît 

    peut-être simplement du fait d’assumer le rôle de miroir

    où se profile tout ce que nous détestons 

    de notre propre personne 

    quand on la découvre confrontée 

     

     

     

    Enluminure noir et or  

    .

    Avec le soleil du soir      une étoile est tombée dans le vase en cristal où s’ennuient sur la table de la terrasse      des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis

    .

    La table elle-même est recouverte d’un plexiglas qui reflète      à la manière d’une flaque d’eau       le feston inversé des frondaisons serties dans l’ambre doré du ciel       au ras des monts bleus

    .

    Des étages de longs cirrus claisemés s’étirent de l’est à l’ouest         minces et clairs eux reçoivent encore       la rougeur du soleil disparu      Un alphabet noir de tourterelles ou de corbeaux

    .

    s’envole vers le sud       vers la mer indigo        en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée        Il est à peine cinq heures et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m’active

    .

    L’étoile s’est éteinte       dissoute dans l’eau du vase       C’est à peine si je devine mes mains qui travaillent au noir        Peut-être la nuit qui se densifie dehors       entrera-t-elle flairer mon encre 

    .

    Reconnaîtra-t-elle dans le bâton chinois orné d’un dragon d’or        la matière qui       frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin       parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ?                                

    .

     

     

     

     

     

     

    (1999-2019)

     

    version en blog :

     

    Enluminure noir et or 

    .

    Avec le soleil du soir      une étoile est tombée dans le vase en cristal      où s’ennuient      sur la table de la terrasse       des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis

    .

    La table elle-même      est recouverte d’un plexiglas qui reflète       à la manière d’une flaque d’eau      le feston inversé des frondaisons       serties dans l’ambre doré du ciel       au ras des monts bleus

    .

    Des étages de longs cirrus claisemés       s’étirent de l’est à l’ouest      minces et clairs      eux reçoivent encore       la rougeur du soleil disparu       Un alphabet noir de tourterelles      ou de corbeaux

    .

    s’envole vers le sud      vers la mer indigo      en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée      Il est à peine cinq heures      et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m'active

    .

    L’étoile s’est éteinte      dissoute dans l’eau du vase      C’est à peine si je devine mes mains      qui travaillent au noir      Peut-être la nuit qui se densifie dehors entrera-t-elle flairer mon encre 

    .

    Reconnaîtra-t-elle      dans ce bâton chinois orné d’un dragon d’or      la matière qui      frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin      parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ? 

    .

     

     

    (1999-2019)

     

     

     

     

     

     

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    Tours d’ivoire

    .

    Aligner des phrases pleines de mirages, en un désert indéfiniment blanc, dénué de dunes et de subterfuges : étrange projet pour l’avatar d’un Syméon stylite en haut de sa colonne ironico-ionique – que j’ai souvent l’impression d’être. Comme lui,

    .

    je creuse, je creuse, sous la dictée d’une voix dont j’ignore la provenance. L’humus du langage me découvre l’une après l’autre ses strates : celle-ci d’argile rouge, celle-ci veine de charbon, plus bas l’avertissement d’une lave encore tiède.

    .

    Depuis peu, à force d’obstination, d’ailleurs risible, et de paroles quasi-calcinées, je sens que j’approche ride après ride, du Laboratoire Central. Alors, comme dans l’huile de lin bouillant à point d’un peintre qui mijote ses vernis, ma plume frise.

    .

    En naîtront des tableaux dont les couleurs, nappées de suc enrichi au baume de Venise, conserveront une inoxydable fraîcheur, à la manière de ces papillons retrouvés au coeur de blocs d’ambre mêlés au sable des plages de la mer Baltique. 

    .

    Protégés par leur parfum, leur infrangible transparence, leur silence d’or et leur absolue inutilité, mes poèmes dormiront, parfois réunis à titre décoratif sur l’étagère d’un amateur distingué, dans la solitude propre à leur inaccessible vérité.

     

     

    .

     

     

     

    Invulnérable

     .

    Avec les années, rocher livré aux assauts de la houle, mon imaginaire s’érode. Un jour l’onde du temps, cette Salomé, réclamera carrément ma tête. Fini de jouer alors, même médiocrement (ainsi qu’on me le reproche), avec les mots.

    .

    D’ici là, face à la porte-fenêtre, dans les carreaux je déchiffre des verdures inertes - laurier, olivier, chênes et pins -, assorties d’une grisaille laiteuse en guise de toile de fond, comme si je n’avais plus assez de l’énergie divine qui me permettait d’azurer le dais céleste.

    .

    Bien compliqué, ce monde ! Plus encore, après trois-quarts de siècle. Déjà Méduse a commencé de pétrifier la chère guenille que nous habitons. Raidis, nos membres méritent le nom de « vieille branche » par lequel nous saluent ceux de notre génération !

    .

    Indifférents à l’espoir comme au désespoir, l’âme trempée comme acier de Tolède dans le torrent glacé des jours, voici que nous contemplons l’univers qui nous contemple : malgré l’avancée du Désastre et les efforts de l’humanité, sa beauté ne se dégrade point.

     

     

    Ça ne s’améliore pas

    .

    Jadis, l’on avait un ciel d’où descendaient anges

    divinités Pères Noël météores et sylphes divers

    aux haleines de seringas et d’orangers À présent

    tout ce qu’on peut attendre du ciel ce seront 

    des missiles des ouragans des grêlons géants

    Rien de bon, en somme, il faut bien l’avouer

    depuis que l’humanité est devenue « moderne » !...

     

    .

     

     

     

     

     

    Qui ?

     

    .

     

    Qui frappe ce soir, qui frappe aux portes

    De la nuit ? Qui, aux vantaux constellés

    d’astres frissonnants comme agonies

    de chouettes blanches par superstition

    crucifiées aux battants d'une grange ?

    Sorti un moment, j'ai pu expérimenter

    l'emprise pétrifiante de décembre, l'air

    acide agité d'ombres indéfinissables,

    et colporteur de rumeurs suffisamment

    indistinctes pour décourager quiconque

    aurait voulu savoir si elles sont fondées !

    La lune feignait de dissimuler sa bouille

    asiatique derrière un réseau de ramures

    dénudées afin d'espionner mes gestes,

    tout comme si je projetais quelque crime

    à la faveur de l’obscurité bleuissante. Or

    je n'avais d'autre intention que de rêver

    quelques minutes en humant l'air froid

    environné des silhouettes fantastiques

    des futaies du parc, avant de retourner

    dans la maison au chaud écrire, encore

    et encore puisque rien d'autre désormais

    n'est resté au vieux désabusé que je suis.

     

     

     

     

     

     

    À la mémoire d’Ulysse

    .

     

    Aleph ou délice, tu brilles dans mon souvenir

    Ulysse, avec le grand ange doré la main posée

    sur la poignée de la porte et le premier rayon

    de l’aube qui miroite aux carreaux de la cuisine

    .

    Ding les cloches Dang les cloches Ding-dong

    au clocher brillant sur lequel est posé le petit 

    héron doré comme une bergamote Capricieux

    les souffles à l’odeur de menthe lui rebroussent

    .

    de temps en temps la plume alors qu’à l’horizon 

    Notre Mer thalassante édifie ses briques d’écume

    jusqu’aux nuages bas qui chaloupent sur l’azur

    Et je rêve comme toi, Ulysse, de cette chapelle 

    .

    de Sainte Parascève où murmure jour et nuit 

    comme un ruisseau doucement plaintif et pur 

    dans le silence mystérieux des oliviers sauvages

    l’influx inhumain d’un présent qui n’a pas de fin

     

     

     

     

     

     

    Galets polis

    .

    Quoique dans la promiscuité

    de milliers de ses pareils

    chacun des galets de la plage

    emprisonne en son coeur noir

    des éons de solitude

    .

    Le plus étrange est que toutes

    ces solitudes qui macèrent en des coeurs

    de pierre n’en font qu’une

    mystique immense inaccessible

    Non moins inexplicable

    .

    que la mélodie d’un chant venu

    du fond de l’âme immémoriale

    d’un peuple humilié quand elle suscite

    en toute personne qui l’écoute

    alors qu’on sombre dans le crépuscule

    .

    un élan d’ineffable nostalgie…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Transe et mutation

    .

    Les champignons distillent dans leur sein

    la subtile senteur du terreau détrempé 

    On la reconnaît comme une promesse

    On songe à la clémente nuit minérale 

    À son attirante douceur qui recueille…

    .

    Pour ma part cependant je lui préfère 

    l’emportement du vent survolant la mer

    grand trousseur de jupons d’écume

    C'est à lui le voyageur le doux le violent

    l'impénitent bavard enjôleur de forêts  

     

    que le plus volontiers je confierais ma future

    fumée selon les mots d'un poète ascète 

    Ainsi m'envolerai-je avec les mouettes 

    de la lumière et me disperserai-je urbi

    et orbi - changé en pollen de soleil levant 

    .

     

     

     

    .

    Asakusa Tatori

    .

    Le petit chat blanc accroupi

    sur le rebord de la fenêtre

    contemple pensif le bourg 

    surmonté du volcan sacré

    Un long vol d’oies sauvages 

    zigzague vers les rougeurs

    de l’horizon Est-ce crépuscule 

    du soir ou du matin Mystère !

    Le Fuji-san et le chat songeur

    veillent tous deux au bord

    de l’éternel présent et n’ont

    manifestement pas la moindre

    intention d’émigrer autre part.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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    PORTRAIT D’AÏEUL

    .

    Il était du même bois que ces astrophysiciens

    Qui voudraient trouver comment détecter la matière noire

    Qui manque aux feux d’artifice des galaxies.

    Son front depuis l’enfance était ridé par un effort

    Inutile de l’intellect et l’absorption d’un fatras d’informations

    Qu’il s’était efforcé de classer mentalement durant toute une vie.

    .

    Ah ! Les beautés fugaces du savoir, les chiffres, les formules,

    Les Intégrales et les Corps de Galois… Jordan, Cauchy et Gauss…

    Tout cet espoir de comprendre, enfoui dans les connections

    De l’esprit qui voudrait s’égaler au cosmos impensable…

    Puis la musique des sphères, Newton, le fa dièse

    De la Terre et le silence des espaces infinis…

    .

    À présent, dans le bureau couvert de feuilles et de livres

    Avec la maquette du navire aux voiles poussiéreuses,

    Le joueur de flûte accroupi sur son genou d’ébène,

    L’Astragalizonte dorée, avec sa main droite en suspens

    Et les osselets invisibles, et la boule d’agate, souvenir

    D’un voyage lointain, et le coupe-papier d’ivoire du Kabbaliste,

    .

    À présent, il méditait sur le silence, la mauvaise-volonté

    Du langage à révéler ce qu’attendent les âmes,

    Sur les songes de la sève qui lentement monte dans les pins,

    La pluie ce doux acide universel et tellement limpide,

    Sur la candeur des enfants qui font leurs premiers pas

    Dans la neige d’hiver. Et sur la pierre qu’un Nom ennoblit.

     

     

     

     

     

     

    .

    Enigme du coeur et coeur de l’énigme

    .

    Que savez-vous de l’amour ? Demande-t-on.

    Il est vrai que l’on n’en sait pas grand’chose :

    Il se tient là au-milieu du désert de nos vies

    tel un sphinx ou une pyramide à quatre faces,

    mélange de mystère insoluble et de vérités…

    .

    Quand au coeur inconnaissable des Autres

    d’une beauté aussi vivante qu’hermétique

    il est plus impénétrable qu’un pharaon d’or

    muré dans son triple sarcophage de silence

    constellé de hiéroglyphes de corail et lapis ;

    .

    Même la langue maternelles ne sait presque

    rien de ce souverain secret : il règne, ainsi

    que sur une forêt le vent qui ne se laisse voir

    que par ses effets mélodieux ou sauvages,

    puisque son alchimie versatile amalgame

    .

    en nous les hormones du paradis et de l’enfer.

     

     

     

    .

    Un Ancien eût dit « mè hybris »

    .

    Appuyé contre l’amitié d’un grand pin

    dont le fût a résisté aux tourments du vent

    malgré l’air frisquet de janvier, je songe

    en guettant les faits et gestes des oiseaux

    ou autres animaux secrets des buissons…

    .

    Hier sur le carrelage ocre de la terrasse

    apercevant une minuscule araignée j’ai

    d’un pas de côté réussi à la laisser en vie

    Je me dis que je deviens de plus en plus

    jaïniste au fil des années Probablement

    .

    finirai-je « végane » quoiqu’il me semble

    insuffisant de ne manger que des plantes

    vu que ce sont également des êtres vivants

    si j’en juge par le foisonnement de pensées

    que le tronc me communique dès l’instant

    .

    où contre son écorce j’appose mon front

    et que dire des idées apaisantes qu’offre

    la verte sérénité d’une laitue aux feuilles

    humides comme d’un poème qui vient de

    s’écrire et dont l’encre est encore fraîche

    .

    Que faire alors pour ne pas mourir de faim ?

     

     

     

    .

     

     

    Relisant le « Portrait d’un étranger »...

    .

    Ma sympathie va tout droit vers les petits écureuils

    que l’on entend s’affairer en grignotant parmi l’énorme

    touffe des deux pins abattus par la tempête de décembre

    .

    Comme eux je vais chercher dans les ramifications

    plus ou moins desséchées d’une vie abattue

    de petits trésors odorants écailleux et nutritifs

    .

    Souvent je les enfouis pour l’hiver dans les profondeurs

    électroniques de l’internet où - comme les écureuils

    leurs caches – en général je les oublie Quand par accident

    .

    j’en retrouve quelques anciens avec une indéniable

    surprise – voici que je relis comme d’un étranger

    ces poèmes curieux de quelqu’un que je ne suis plus

     

     

     

     

    Nuits de lunes insomniaques

    .

    Lassant, vraiment lassant

    d'en arriver si vite à l'obscure insomnie...

    Une rue de Pompeï dallée de cendres

    pétrifiées et de battements de coeur

    La courte incursion du soleil hiémal

    finit à cinq heures par un disque pourpre

    empalé sur les cornes des arbres

    Mille flèches pour un seul coeur !

    Alors on sait que nous circonviendra

    sous peu l’absence de lumière - escortée

    de l'humeur noire que baratte l'esprit

    en proie au chaos jusqu'à lui faire prendre

    faute de lanterne, ses phosphènes pour

    des étoiles…

    .                      La pleine lune passe un bras

    à travers les barreaux de la croisée pour,

    semble-t-il astiquer la poignée nickelée

    du frigo : à moins qu'étant Incapable

    elle-aussi de s'endormir elle ne soit en quête

    de quelques gorgées de lait, histoire

    De justifier la pâleur de son teint...

    .                                                          La lune

    des crabes aux yeux exorbités par le

    spectacle infiniment remuant de la mer

    La lune des hulottes dont la tête se visse

    et se dévisse sans cesse au moindre

    furtif chuchotis parmi les feuilles mortes

    La lune qui fait briller indistinctement

    l’échines des dauphins et le dos des écumes

    durant leur migration vers le ponant…

    .

    La lune qui ravive dans l'air nocturne

    les senteurs natales d'iode et de menthe

    dont s'accompagnaient nos premières baignades

    aux temps où quoi qu'il arrive nous portions nuit

    et jour en nous la joie d'un éblouissant soleil

     

     

     

     

     

    Minute sans réponse 

     

    .

    Comment se fait-il que tu sois

    Seul à ressentir

    Le prix terrible de ce qui

    A chaque instant s'efface ?

     

     

    Songe aux abois

     

    .

     

    Assourdissante en tes oreilles, la Nuit

    froisse incessamment son silence,

    le disperse sous les meubles, dans

    les encoignures : on dirait une mouche

    qui des ailes vrombit au ras d’une vitre,

    emplissant de sa rage telle pièce déjà

    pleine de solitude que seuls quelques

    souvenirs spectraux n’ont pas désertée,

    eux-mêmes cramponnés à leurs propres

    fantômes…

    .                      Et ceux là transgressent

    sans effort la membrane qui passé minuit

    tient le réel hors du cocon soyeux du rêve:

    Ils lâchent à travers son espace mental

    une meute de cauchemars comme en forêt

    des chiens excités poursuivent à l’odeur

    la sauvage beauté d’un chevreuil

    .                                                         au point

    que le dormeur ne connaît plus de repos

    et se réveille en sueur avec la sensation

    d’avoir expérimenté les affres de l’agonie…

     

     

     

     

    .

    Brouillons délaissés

    .

    Pourtant les cyprès toujours

    dépassent de la rangée des oliviers

    Toujours la villa des beaux étés reçoit


    en pleine face la blancheur de l’aube

    .

    Elle a les volets clos comme les paupières

    d’une baigneuse sur la plage qui se fait

    bronzer, son corps entier offert aux nuages

    .

    Toujours les pylônes électriques tendus

    de fils qui longent le tracé du chemin creux

    Au coin de la maison, le cèdre qui grandit

    insensiblement et dont les branches tâtent

    l’espace alentour en quête de compagnons

    .

    Et toujours cette chose impalpable que j’appelle

    « mon âme » et qui ressemble à un vieux

    pot de grès sombre plein d’un bouquet chiffonné

    de roses en papier d’argent ternies par l’oxydation

     

    .

     

     

     

     

    Accès de lucidité

    .

    Une enfance qu’on devine au fond

    des vieilles aurores à travers nos larmes

    Un papillon qui ne reconnaîtrait plus

    les couleurs distinctives des fleurs

    .

    daltonien - mettons - ou privé de ces

    antennes pelucheuses grâce auxquelles

    les vibrations de la lumière et du vent

    le renseignaient

    .                           voletterait désormais

    au hasard d'un méconnaissable paysage

    réduit à rien qu'un camaïeu de cendres

    blêmes et de jeux de brumes indistinctes

    .

    Telle est la misère au sein de quoi tu te

    débats, même pas comme un beau diable

    (ce qui faute de mieux t’eût offert une

    raisonnable compensation à ton infortune)

    .

    De sorte que tu te demandes si vraiment

    c'était la peine de quitter ta chrysalide

    pour venir te mêler à la foule des humains

    et paré d’ailes ocellées ainsi que le geai

    de la fable y venir jouer les poètes

    .                                                       alors

    que tout bien pesé tu n'as en ce domaine

    aucun talent et que dans le siècle qui se

    profile il n'y a plus de place pour la poésie


    .


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    Promenade après la pluie

    .

    Tandis qu’au loin la Belle entretient espoir et courage

    en des lieux immaculés sur lesquels veille la mer,

    ici l’aube cueille sa lumière aux feuilles des lauriers

    comme le soleil d’été moissonne son éclat sur les blés…

    C’est la terre de chez moi – que protège, maternelle,

    l’ombre svelte des pins obscurs en lesquels règnent

    le roitelet qui se balance la tête à l’envers, l’écureuil

    intrépide qui d’arbre en arbre fuse à travers le vide,

    vif rouquin ébouriffé dont des volées de tourterelles

    s’effarouchent, vite réfugiées sur l’arête de tuileaux

    d’une villa voisine. Je suis parti en promenade le long

    du chemin. Il déclinait ses oliviers jusqu’au carrefour.

    Les survivances des pluies le trouaient d’illusoires

    traînées de ciel cru ; lavée, la loupe de cristal de l’air

    détaillait jusqu’aux moindres aspérités du paysage…

    Je rêve d’y voir aussi clair dans l’avenir qui nous attend.

     

     

     

    .

     

     

    Crépuscule de décembre 2019

    .

    Dans l’éclairage de ce pâle soleil

    couchant d’hiver ton ombre est celle d’un géant

    alors que tu n’es qu’un homme ordinaire

    Une forêt de perspectives zèbre de bleu sombre

    les vastités imparcourue des neiges

    L’odeur prochaine du froid nocturne embue

    ton souffle et cependant tu voudrais te persuader

    que tu respires le parfum d’un champ de lis

    qu’à force d’écume et d’iode tente d’imiter

    la mer où miroite doucement le sel rouge des Origines

    C’est que l’amour est au sein de l’amour

    comme un noyau de lumière dans l’aurore :

    de même que dans l’intimité d’une iconostase le jour

    tombe des vitraux pour élire les faces pures des Saints

    de même le sourire énigmatique de son masque d’or

    illumine en nous les visages dont nous sommes épris...

     

    .

    « Ponchito de colores »

    .

    Grâce à un air obstiné de mandoline péruvien

    sur lequel s’appuyaient quelques notes d’un roseau rauque

    j’ai pu me façonner une issue et je suis sorti hors du temps

    La pluie dehors a continué à sangloter mais je doute que ce soit

    mon absence qu’elle pleurait Quel humain existe suffisamment

    pour que les éléments s’aperçoivent de sa disparition ?

    J’ai marché par les chemins de mon Eldorado personnel

    Vallées vertes et profondes, montagnes hautes enneigées

    Animaux qui semblaient sortis d’un bestiaire fabuleux

    Chameauléons et camélimadaires, aracimiens, aigles chauves

    dont l’envergure en rythme étreignait puis relâchait l’azur

    au-dessus des canopées de sylves moutonnant à l’infini

    Là-bas vivent des peuples bariolés aux jolis enfants enjoués

    Je me promène parmi eux comme si j’étais davantage

    qu’un fantôme intemporel qu’ils ne peuvent soupçonner

    La pluie a cessé laissant une géographie de flaques brillantes

    Mandoline et flûtes se sont tues - alors je me suis résigné

    et j’ai renfilé mon vieux poncho tissé d’heures de solitude...

     

    .

     

     

     

     

     

    Journée de pluie battante à Opio

    .

    Bruyamment la pluie

    étrille les toits La télévision

    a prévu un “épisode méditerranéen”

    Il n'est que six heures comme l'affirment

    luisantes dans le noir quelques diodes

    d'appareils électroniques

    C'est encore la nuit ici alors qu'il faut

    imaginer le fourmillant plein jour

    sur d'autres continents avec d’innombrables

    activités humaines certaines admirables

    ou simplement touchantes humbles justes

    nécessaires -- mais d'autres ignobles

    fourbes féroces cruelles sanglantes outrées

    indignes de l'éthique entre frères humains

    Tout un tissu planétaire d’actions entremêlées

    inextricablement au point que souvent

    du mal s'engendre un bien et inversement

    selon aucune règle sinon l'effet du hasard

    Tandis qu’ici la maison dort au milieu des arbres

    comme une île de silence au-milieu

    du bruissement ininterrompu de la drache

    (obsédante comme l’image d’une aube d’été

    dont la blondeur auréole telle fille du Nord

    que de nobles devoirs retiennent loin de moi)

     

     

     

     

    .

    Persistance de la Beauté

    .

    Quelque deuil qui t’ait frappé

    (Un rocher tombant de la falaise

    écrasant les écumes et les nacres

    vaguement surréelles de tes pensées)

    autour de toi ce qui existe n’a pas renoncé

    à sa splendeur Les calanques chantournées

    exhibent leurs abstractions de corail

    Les pins acrobates à flanc de roche

    se contorsionnent pour enseigner à nos regards

    de verts étages de vertige On voit refleurir

    sous la gelée des buisson de roses de Noël

    qui rassurent les poètes quant à leur folie

    Du lointain nostalgique qui tremblait

    au fond du regard limpide des amantes

    une lueur de joie se rapproche, grandit

    et s’incurve en un sourire blanc et pourpre

    pareil à telle aube inéluctable sur les eaux

    dont nulle nuit désespérée n’a pu venir à bout

    même en truffant la noire quiétude

    en laquelle se sont réfugiés nos coeurs endormis

    d’une silencieuse mitraille d’étoiles

     

     

    .

     

     

    .

     

    Misérable stratégie
    .
    Dents d’ivoire mes pensées fleurs carnivores
    s’ouvrent la nuit et dévorent la substance la plus douce
    de mes songes : ceux où jeune – moineau peut-être
    ou cacatoès selon le surnom dont il me revient
    que m’affublait un défunt oncle –
    j’apporte mille dénouements magiques
    à des scénarios que le sadisme assumé du cauchemar
    s’efforçait de transformer en impasses
    J’ai désormais bien conscience de n’être plus
    un perdreau de l’année (comme ils disent)
    Il s’ensuit qu’aujourd’hui ne me reste qu’une seule
    issue : le réveil qui me rend à ce monde
    – à peine moins féroce moins piégeur
    moins truffé de subterfuges –
    que l’on appelle sommairement Réalité

     


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  •  

    Humble souverain

    .

    Sol ! Ah lumineuse origine du seul

    écoute le vent qui n’a pas d’amis

    Le cuir des labours se refuse aux corbeaux

    Les fumées prient le ciel pour qu’il pardonne

    à l’automne d’avoir roussi puis terni les feuilles

    .

    J’observe les petits enfants aux capuchons fourrés

    Leurs visages fragiles sourient si facilement !

    Ils ignorent que le monde bien souvent sépare

    et que pour lui nulle beauté n’est innocentes

    .

    Pluies et parapluies mouillures du bitume

    Odeur d’hydrocarbures ou de feuilles souillées

    Senteurs de poussière et de pierres délavées

    D’une poussette qui arrive un bambin

    fait bonjour de la main et tu lui réponds

    .

    Lui ne sait pas encore - en sa petite royauté

    naissante - ce qu’est la solitude du soleil

     

    .

     

     

    Avec un visiteur venu de loin

    .

    Nous avons amicalement parlé d'avenir

    (Comme s'il nous restait un avenir)

    .

    Le lierre de paroles irréelles unissait nos vieux troncs

    Accablés par l'expérience inconnue de la vieillesse

    .

    Résolus à feindre que tout était encore possible

    Voici que nous évoquions un retour

    (Improbable) à l'île d'émeraude dont le souvenir

    Tout odorant de son atmosphère d’iode et de jasmins

    Malgré les années est isolé dans notre mémoire comme au sein

    D'une mer sans limites

    .                                                                                              Là-bas

    Attendant un équipage qui ne reviendra jamais

    Rouille toujours dans un bassin de radoub

    Parmi d'autres coques à l'abandon la poupe

    À demi-pleine de ciel du Saoïrse

    .

    Quand même nous ayons amicalement parlé d'avenir

    Et de parcourir à nouveau les jolies venelles pavées

    Malgré l'orage qui rincera nos costumes de soirée

    Tandis que le crépuscule tombe sur les fleurs d'acanthe

    Des frontons et autres vestiges d'un merveilleux passé

    .

    Nous nous dîmes au revoir soupçonnant

    Que nos projets n'étaient qu'un plaisant

    Et nostalgique éventail d'illusions

     

     

     

     

    La chose

    .

    La chose qui ne revient de nulle-part

    c’est justement celle-là que tu attends

    Que dire ? On ne se refait pas, hélas…

    Ni l’on ne refait le trajet des ans perdus !

    Il me semble parfois pourtant que je vais

    retrouver le ciel bleu de Sainte-Maxime

    en janvier, avec le sable et les vieux

    pêcheurs mal rasés au visage raviné

    sur leurs barques à la peinture écaillée…

    Mais le port à présent est blanc de yachts

    serrés côte-à-côte qui s’ennuient onze

    mois sur douze et n’ont pour visiteurs

    que les mécaniciens et gens d’entretien

    On les voit assis à même le pont mâcher

    des sandwichs pendant la pose de midi

    Dans leurs yeux l’exil a lessivé les rêves

    Il parlent des langues rugueuses de l’Est

    qu’il est trop tard pour tenter d’apprendre

    Ils sont la preuve qu’un monde a depuis

    longtemps entrepris d’en effacer un autre

    .

     

     

     

     

     

    .

    Vae noctis

    .

    Le cri des étoiles,

    s’il existe la plupart

    d’entre nous sont sourds !

     



     

    .

    Quintil énigmatique

    .

    À force d’errer parmi la sombre réalité

    elle sème sous ses pas des pâquerettes

    On la croirait enfant mais c’est une apparence

    Sous sa longue chevelure blonde (ou brune ?)

    elle abrite une beauté imperméable au temps

     

     

     

     

    Géminé

    .

    Il ressemble à cet immaculé que les monts bleus

    ont tant de peine à retenir

    et qui se fait volontiers transparent

    pour dévaler vers les communautés des hommes

    .

    Impalpable parfois à l’instar d’un nuage

    il se métamorphose à la façon des songes et des brumes

    Certains le prennent pour un spectre

    l’affublent d’un nom - mais les noms sont mirages

    .

    Avec l’élan du vent il fourrage à travers les ombrages

    jusqu’à l’Origine et voyage parmi les écumes

    aux dix-mille petits doigts de bébés siréniens

    jusqu’à son atoll printanier aux vertes solitudes

     

    .

     

     

    La matière noire de l’effacement
    .
    Noircie la pierre par le feu
    Un jour gris qui n’est pas
    tout à fait débarrassé de la suie
    nocturne Mon coeur constellé
    de spites d’encre ressemble
    à ces panneaux de fer au bord des routes
    sur lesquels ont tiré des chasseurs
    .
    Chaque marque de vieille douleur
    y rouille Le banc où je m’asseyais
    près des géraniums s’est effondré
    depuis que ma grand’mère n’est plus là
    Les hirondelles ne viennent plus
    sous le toit de la maison (d’ailleurs
    également disparue) Quant aux rosiers
    .
    ils ont fané au soleil puis se sont desséchés
    car il n'est personne désormais
    pour les arroser non plus que pour repeindre
    le blanc portail de chêne du jardin
    orné d’une double croix en X
    (J’imagine la bise en ce jour d’hiver
    qui siffle dans la boîte aux lettres vide)

    .

     


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  • Incompréhensible poétique

    .

    Tu te veux poète ? Râcle au fond de toi ce qu’il te reste d’assez pur pour ne connaître dans la poésie que la poésie.

    .

    La poésie qui soutient une cause n’est pas poésie. Qu’elle semble servir une cause ne doit être qu’un point de vue de lecteur.

    .

    Ce qui fait écrire (ou parler) en poèmes n’a rien à voir avec les ambitions qu’on croit déceler en eux.

    .

    Le poème ne démontre pas. S’il est poème, il fait éprouver. Il n’explique pas, il inspire.

    .

    Un poème qui inspire rayonne son sens différemment lors de chaque rencontre, et selon la personne qui l’aborde.

    .

    S’habituer à la zone ouverte, autrement dit chaotique, bizarre, absurde, maladroite, de la parole en poème, c’est s’accoutumer à un sentiment de perte.

    .

    Tout poème véritable est à mon sens un langage métonymiquement entier qui espère son salut de la réalisation de cette virtualité grâce à l’esprit des humains qui le liront.

    .

    Insérer un cheveu dans une robe de mariée, la même démarche que poser une ligne d’encre sur une page.

     

    .

     

    Sursaut de sérénité

    .

    Il m'arrive d'être en prison

    dans ce que faute de mieux

    j’appelle souvent mon âme

    Je la vois comme un étang

    avec sous ses reflets carpes

    et grenouillettes et flottant

    quelques feuilles aplaties

    en forme de coeurs verts

    parées d’un lotus épanoui

    dont les étamines dorées

    sont le trône d’un crapaud

    face au ciel en extase assis

    tel un petit magot ventru

    ou le bûmisparcha mudrâ

    du Bouddha sculpté en jade

    qui attendrait sur l’eau une

    lumineuse risée de sagesse

     

    .

     

     

     

     

    Pour l’autre A.

    .

    Athéna fille d’une goutte d’eau (dit-on)

    sortit tout armée de la migraine de Zeus

    Voilà bien un mythe digne d’un proème

    armé de pied en stiche de silences d’or

    Moi comment appellerai-je cette Beauté

    fille d’une goutte d’encre et de mon mal

    de tête, de coeur, de vivre et d’exister ?

     

    .

     

    Nuit du ruisseau sans nom

    .

    Ce vieux poème qui tracasse ta conscience

    Son langage couleur de lune qui voudrait

    te rendre lucide Bref - insomniaque tu es

    sorti en pleine nuit d’août alors que tous

    dorment dans leurs maisons acagnardées

    aux immenses pins touffus silhouettés

    sur le fond étoilé du firmament Tu as

    enjambé le grillage Un chat s’est enfui

    à droite sur le chemin des Chauves

    Toi c’est à l’opposé que tu a choisi

    d’avancer vers le carrefour et la route

    en pente qui descend jusqu’au ruisseau

    L’ombre cernait le petit pont de bois

    éclairé par la corne d’argent là-haut

    comme par un projecteur de théâtre

    Appuyé à la rambarde brangeolante

    tu regardais le miroir d’eau paisible

    où des étoiles de chewing-gum blanc

    se contractétiraient inlassablement…

    Un clic de l’eau ou bien un clouc-clouc

    de temps en temps rythmait leur

    lumineuse gymnastique Et parfois

    silencieux et vif sur le ciel violet

    glissait le vol fantasque sitôt disparu

    d’un vespertilion pareil à la pensée

    graves ou funèbre qui sort des obscurs

    recoins de l’esprit pour y retourner

    en jetant comme les poètes des cris

    inaudibles - dans toutes les directions !

     

     

    Opio-2018-19

     

     

     

    Inflexible

    .

    Lorsque tombent les premières

    gouttes de pluie elle voit de petites

    ailes d’anges irisées

    Elle en parle avec cette élégance

    du geste et du port de la tête

    qu’on nomme grâce

    Malgré la voûte des cieux gris-de-zinc

    comme un vieux couvercle

    de lessiveuse, elle enlumine

    des onciales de son imagination

    la page non-écrite encore

    de la journée

    Qu’elle m’accueille ou me repousse

    elle reste l’être au monde

    le plus digne d’amour

     

    .

     

     

     

    Passé présent

    .

    Près du pot de grès

    au fond du jardin

    j’ai vu l’oiseau mort

    Un grain d’éternité

    dans son œil luisait encore

    (C’est la force du souvenir)^

    Je prends son aile raide

    qui se déploie en éventail

    Sous l’olivier où je l’enterre

    dans un vieux plumier en bois

    La terre est noire et rouge-sang

     

     

     

    Lassitude du Scribe

    .

    Tout bien pesé la vie végétative

    arbres légumes chiendent sainfouin

    ce ne doit pas être si mal Poussées

    de sèves ou retraits pour uniques

    soucis métaphysiques Le soleil

    et la pluie pour dieux à l’instar

    des Aztèques Les brises qui vous

    feuillettent (semble-t-il) espérant

    des oracles qui ne seront jamais

    articulés Oh oui La vie végétative

    du scribe auquel le vent n’impose

    nullement d’écrire alors que l’aube

    pose un diamant sur des milliers

    d’oreilles vertes aux nervures fines

    qui n’entendent que la lumière...

     

    .

     

     

    Inaccessible
    .

    Cette espèce de coeur sans coeur

    ce coeur de mots qui est en toi

    comme l’obscur d’un rêve silencieux
    au cours duquel on déchire maint chiffon doré

    Un coeur en lequel s’épaissit l’obsidienne de la nuit

    Autrefois c’était d’un autre qu’on disait

    Il a encore toute sa tête Bientôt sans doute

    c’est dans ton dos qu’on le dira

    en provoquant l’ombre d’un doute

    qui s’allongera ainsi qu’en fin de jour

    nos silhouettes noires sur le sable

    infini d’une plage du Nord

    qui ne parvient pas à rejoindre ses nuages

     


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