• En éclaireur...

    En éclaireur...
    .
    Du sentier, les rives fleuries masquent le ruisseau qu’on entend glauque sur les cailloux. La tête d’une paire de foulques dépasse des graminées. Plus haut s’arquent les branches fournies d’arbres que je ne reconnais pas.


    Il y a si longtemps que j’en remonte le cours vers sa source et désormais nous sommes loin de la mer, de ses rythmes et de son insistance moussante ! Le mutisme du paysage est seulement de loin en loin troublé par l’étincelle d’un cri d’oiseau.


    Le filet couleur de mercure s’amenuise en approchant des contreforts blanchis par des plaques de poudreuse persistante, que ponctuent cent choucas exaspérés par le sommeil des échos. En entendant leurs criailles, on a l’impression que le cirque des sommets se creuse d’une impossible profondeur.


    Entré dans le domaine de l’immaculé, sifflé par les marmottes dérangées, j‘interroge mon incertitude comme si la réponse pouvait venir. J’aurai probablement atteint le col où glisse la fourrure impalpable des brumes, lorsque je serai assez près de l’azur pour me croire au ciel.

    .

     

     

    « Vasija de barro »

    .

    C’est juste une jarre de terre

    au goulot étroit Quelques bribes

    du vent de mer s’y sont réfugiées

    Elles n’en veulent plus sortir…

    .

    On dirait le langage d’un poème

    réussi en qui l’esprit a de même

    trouvé refuge contre les âpres

    trahisons idéologiques de ce temps

    .

    Car si dehors la planète est avariée

    (Tous les humains concourent

    gaiement au désastre en approche)

    .

    dedans un précieux éclat d’Éden

    tel un diamant au doigt d’une fée

    scintille en silence dans l’Obscur

     

     

     

     

     

    Commencements

    .

    Quelle gracieuse invention de la vie

    les premiers pas un peu titubants

    de la prime enfance ! Ce bambin

    à la marche incertaine qui n’hésite pas

    à s’aventurer parmi les surprises

    encore crues de son univers…

    Ici : la route avec l’insolite

    ligne blanche au-milieu – Que va-t-il

    se passer si l’on pose le pied dessus

    pour la franchir ? Rien ! Hardi !

    On continue ! – Joues roses l’enfant

    flottant et vif comme un feu follet

    au point qu’on le dirait né flamme

    ne doute plus de son équilibre

    Son petit visage laisse entrevoir

    le modeste triomphe du vainqueur

    sentant que c’est signe d’approbation

    si chaque herbe s’agite quand il

    s’avance en longeant le talus

    parce qu’il est l’enfance qui s’élance

    cette gracieuse invention de la vie…

     

     

     

     

     

    Lundi 28 oct. 2019 (7 h)

    .

    Par les lacunes de feuilles couleur de soufre

    qui commencent à se détacher au vent

    le grand bouleau affiche son tronc blanc

    Il fait bleu comme un lendemain de pluie

    Un oiseau caché jette périodiquement

    sa roulade suivie d’un trille de cristal liquide

    .

    Du balcon nous rêvons aux trajectoires

    de vapeurs rectilignes des avions en vol

    vers les pays du sud où l’air est tiède

    et non frisquet comme l’impose par ici

    l’automne aux derniers jours d’octobre

    qui font à la Muse l’oeil mélancolique

    .

    Car elle m’en veut de se sentir piégée

    dans cet endroit dépourvu d’Andalousie

    dépourvu de chaleur dépourvu d’aventure

    pareil à quelque cellule quasi-monastique

    où rien n’a lieu que le poème qui n’est nul

    lieu mais juste un instant d’ineffable Amour

     


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  • 6.

    Alchimie

    .

    Point de logis étroit dans la glaise humide

    Non : qu’on disperse au vent mes cendres

    au-dessus de la mer – combien j’aimerais cela !

    Ce serait comme la boucle de cheveux

    de la mariée en souvenir des vieilles coutumes

    .

    Le feu m’aura changé, dispersant, du feu

    que je serai, les atomes éternels à travers

    l’éther aux jours joyeux et nuits étoilées

    Avec un rien de chance peut-être intégrerai-je

    une comète dans un avenir infiniment lointain

    .

    Qu’importe après tout l’éternité a le temps

     

     

    7.

    Sérénité lasse

    .

    Il ne me chagrine pas qu’à l’avenir (proche)

    mes chansons sans musique soient oubliées

    Celles qui viendront, si les humains

    ne suicident pas leur Humanité, sauront

    mieux que nous aimer leur monde celui-là

    qu’aujourd’hui précisément je n’aime plus

    Celui-là que l’on m’a subrepticement changé

    par l’oeuvre du Grand Sablier conjuguée

    avec celles des bipèdes sans lois ni vergogne

    (j’en suis, hélas !) qui ne réussissent guère

    en fin de compte qu’à empirer les choses

    quand bien même leurs intentions sont pures

    Il ne me chagrine pas qu’à l’avenir (proche)

    mes chansons sans musique soient oubliées

    Elles n’ont plus aucun rapport avec les temps

    reculés mais heureux que mon enfance a connus.

     

     

     8.

    Amithaba

    .

    Ceux qui par l’esprit façonnent leur Minotaure

    Ceux qui luttent avec lui au corps à corps

    pour trouver une issue au labyrinthe entaché

    de sang et de mort : les uns comme les autres

    ignorent le plus souvent que déboucher

    à l’air libre ne fait que reculer leur liberté

    car justement c’est l’invisible leur prison

    .

    Qu’elle soit mitraillée de lumière céleste

    ne saurait faire oublier la solitude ilienne

    dont chaque être humain est le centre

    En se tenant sur son bord à la blancheur

    sableuse tandis que les heures glissent

    sur leurs ailes d’albatros, le Contemplateur

    mélancolique observe l’écume des choses

     

     

     9.

    Migration

    .

    Existe-t-il splendeur plus vive que le flux ?

    Chevalier en armure de cristal, heaume

    empanaché d’un bouquet d’églantines,

    jambières de lames en acier bleui,

    voici galoper du fond de l’horizon

    (crinière d’écume et piaffes du ressac

    sur la grève pierreuse) mon point-du-jour…

     

    Illimité, il arme les yeux verts de la menthe

    et les yeux clairs de l’Amante ; oliviers,

    cyprès et mimosas au passage de son infini

    frissonnent d’un épais nuage de secondes

    qui tourbillonnent comme un vol nuptial

    de fourmis rouges : un jour, elles auront

    dévoré ma vie - n’en laissant que les os !

     

    (Antibes 2011)

     


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  • 1.

    Deshérence joyeuse

    .

    Que devenir lorsque l’on n’a plus rien,

    sans avoir encore perdu la vie ?

    Lorsqu’on n’a plus envie d’être lu

    et qu’on sent qu’en nous lisant chacun s’ennuie ?

    .

    Combien j’aimais les fleurs de mes arbres au printemps

    leurs parfums roses et leur fraîcheur de vent

    Personne ne veut plus les féconder Tous mes beaux

    insectes vibrants et transparents sont décédés

    .

    Je ne veux plus revenir où le langage m’offrait un refuge

    Où m’abritaient des arbres qui chantaient des psaumes

    pour les oiseaux que le ciel seul savait retenir

    Rien de ce monde ne me touche plus Je suis de pierre

     

     

    2.

    Le vase et la flûte

    .

    Savoir enfin librement évoquer la mort

    ce soulagement après la maladie de vivre

    Ce creux néant musicien qui gagne tôt ou tard

    et fait lugubre entendre le Manchay-Puitoo

    La flauta sublime de una voz entraña

    que llena el corazón de amarga pena…

    .

    Mais qu’importe ce n’était que la voix du vent

    La voix des airs de mer dans une conque

    Tout au fond de l’infini qui bat comme un coeur

    et qui pourtant n’a pas de coeur L’infini

    hors du temps Hors de toute pensée et même,

    je crois bien, hors d’être, au sens où nous l’entendons…

     

     

    3.

    La buse désabusée

    .

    Parlerai-je encore de mes rêves

    quand les choses qui composaient

    mon monde autour de moi s’effondrent

    Quand les êtres les plus admirables

    s’éteignent ainsi que des chandelles

    qu’un coup de vent par l’embrasure mouche…

    .

    Ce qui est perdu dans les replis du sable

    par les ondes désertiques du passé – on le sait ! -

    ne revient j a m a i s quels que soient les artifices

    auxquels se livre la mémoire aux jeux pervers

    Ne me demandez pas davantage que d’aimer

    l’illumination ténébreuse de la Nuit-sans-retour

     

    .

     

    4.

    Sans foi ni lieu

    .

    Ce serait comme un psaume l’après-midi

    sous la rose diaprée du vitrail ensoleillé

    Un dies irae sans Deus mais avec favilla

    Un peu de lait répandu sur les cendres

    .

    Une flambée par la lucarne du four

    et whouff on peut faire demi-tour

    Désormais il ne se passera plus rien

    Après une longue et douloureuse résistance

    .

    La douzième sonnera puis la treizième

    Une poignée de pigeons survolera les ormes

    Qu’on me disperse au vent a demandé

    gravement celui qui ne veut pas de lieu

     

    .

    3 juillet 2010

     

     

    5.

    Du feu au feu

    .

    Il n’est rien qu’on puisse dire ou faire

    pour calmer les sanglots longs des violons

    de l’automne le soufre monte dans les feuilles

    Il les teint lentement de l’or indicible du diable

    qui tourne à l’écarlate puis au feu sous la stèle

    un jour ou l’autre habitée d’un silence d’ossuaire

     

     

    .

     


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  • Le temps d’un éclair

    .

    Avant de partir tu t’es penché

    pour entendre la dernière fleur

    Deux pétales veloutés t’ont caressé la joue

    Ils t’ont murmuré près du lobe de l’oreille

    un peu de ce silence qui poudre d’or

    l’abdomen sombre des abeilles

    .

    Tu as regardé la terrasse et l’enfant rouge

    qui agitait le bras comme pour essuyer

    les nuages qui givraient la vitre du ciel

    La réalité devant toi était aussi déprimante

    que le béton éclairé d’un garage souterrain

    où des fantômes « dilent » de la coke en douce

    .

    La pluie s’est mise à flageller murs et trottoirs

    Toute la ville a été transmutée en acier luisante

    Une odeur d’humidité mêlée d’urine et de gazole

    a envahi le courant d’air glacial de la rue

    Un vacarme de moteur périodique a vibré

    aux reflets des vitrines et vrillé nos tympans

     

     

     

     

     

    .

    L’astre du vertige

    .

    Que léguer puisque le gouffre s’ouvre

    et que rien n’améliore les choses

    au point que dans les noirs tréfonds

    l’on ne devine rien que des astres morts

    .

    Le chirurgien tranche avec un espoir

    brillant comme son scalpel

    .

    Le paysan s’échine sur ses machines

    socs luisants, herses à crocs, râteaux…

    .

    L’enfant embrouille joyeusement sur un mur

    ses ellipses et ses hyperboles de couleurs

    .

    Une veuve tourne au coin du carrefour

    trois poireaux hirsutes excèdent son sac

    .

    Au fond de l’abîme, oui, étrange soleil

    cette main qui déploie en éventail

    les cartes de son jeu de mélancolie

    feignant que tout n’est pas perdu

     

     

     

    .

    Une poignée tout au plus

    .

    Oh que nous sommes peu nombreux, sur la plate-forme inégale du Mont Analogue, à respirer l’éther raréfié de l’altitude, là où l’éternité a glacé sur son miroir le givre de nos sentiments, à peine leur buée était-elle sortie de notre bouche…

    .

    Peut-on croire que si rares sont ceux que leur vie, sans tuer en eux l’enfant qu’ils ont été, n’a pas empêchés d’atteindre l’âge d’homme ? Ceux que leur nature intime a conservés dans l’aptitude à se façonner un monde humble et habitable ?

    .

    Ceux que n’ont pas séduits l’agitation, l’argent, les objets coûteux, les voyages superflus, le pouvoir d’esclavagiser les autres, l’accaparement de tout ce dont le désir insatiable les environne : ceux qui n’ont pas eu besoin de renoncer la Bêtise.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    .

    Automne riche d’ardent avenir

    .

    Je repense à la Lointaine et à tous ces jours de deuil. D’un jour à l’autre jour, un Étant ne fut plus, foudroyé par l’énigme majeure. Des images surnagent à la surface de la mémoire, telles ces efflorescences de nuées sur un étang.

    À peine traversées parfois du vif coup d’aile d’un tourtereau qui passe.

    .

    Il y a désormais les fumées, chacune solitaire, de l’automne ; les bois sentent le roussi. Leur couleur s’en ressent. Les amoureux n’y vont plus, les lauriers sont coupés. Le cerf dix cors au milieu de la clairière, au dessus des herbes s’égosille, la tête rejetée ; du haut des branches l’écureuil attentif attend l’arrivée gracile.

    .

    Ce n’est pas une biche qui survient mais un rival encore un peu novice, vite éconduit et qui n’insiste pas. La harde femelle pourtant n’est pas loin. Du museau le fier porteur de ramures hume et devine quelles douces aux humides yeux égyptiens sont bien disposées. Il y aura beaucoup de jolis faons cette année...

     

     

     

    .

    Fils fictif du vent

    .

    Où est-il passé ? - Qui ? - Celui qui ouvrait ses bras comme des ailes et se croyait l’enfant du vent parmi la pluie tourbillonnante des feuilles au teint de pêche…

    .

    À la pointe de l’invisible mât qui soutient l’étoilé chapiteau de la nuit, frémit le diadème couleur de cire qui fait songer aux bulbes croissantés des mosquées.

    .

    Une musique de violons mêlés de flûtes environne le cortège des sapins pénitents, dont les capirotes désignent chacun l’astre qui fomentera leur ambre futur.

    .

    En suspens partout au-dessus du paysage plane le secret de l’or d’hiver. Les jacquets aux potrons fourrés se cachent pour dormir. Des oiseaux s’éloignent vers l’océan.

    .

    Les gens des villes rêvent d’émigrer vers un pays printanier, aux parfums de vanille, d’ylang-ylang, de tubéreuse, où dureraient indéfiment leur jeunesse et leurs amours.

     

    .

     

    .

    Dix minutes en automne

    .

    Avec leurs pages blanches

    enroulées autour de leurs troncs les bouleaux

    font rêver l’automne d’écrire

    tous ces poèmes inspirés par la brise

    qui fronce leurs reflets dans la sérénité

    de la rivière où par deux nagent les cygnes

    .

    Les feuilles tirent au ciel

    leurs langues roses, quelques unes

    déjà rouges comme si elles avaient

    communié à l’aurore

    Au faîte d’une maison lasse et vieille

    avant l’heure la nuit défraîchie

    referme ses ailes de chauve-souris

    sur l’horizon en train de migrer vers le Sud

    .

    Un promeneur par le sentier tordu

    approche de la ferme abandonnée

    Volets clos de bois gris-argent

    Dans la poussière de foin de la grange

    par le regard de ses phares ternes

    inerte une auto guette le néant

    .

    Cet automne-là était du présent

    il y a cinquante ans en arrière

    Soudain m’oubliant tout à fait moi-même

    m’y voici un instant par le souvenir

    les jambes lasses et les genoux pénibles

    Pourquoi c e t i n s t a n t avec son odeur de champignons

    moisis et d’orties flagellées par les averses

    p l u t ô t q u’ u n a u t r e Nul n’en saura jamais rien

     

     

     

     


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  • .

    Heures incertaines

    .

    Reflets huileux des lampes

    dans les vitres noires

    La pièce vide avec quatre orchidées

    sur la table ronde t’observe

    .

    S’il se trouve que les murs pensent

    ils sont assombris de solitude

    Tu croirais les entendre meugler

    de l’autre côté du silence

    .

    En quête d’un introuvable centre

    une mouche noire tourne

    dont le murmure obsédant comme

    un souvenir perturbe tes pensées

     

     

     

     

    Au clair de la lune

    .

    Le temps et le chagrin en toi

    Dégradent tes capacités de scribe

    Érodent ton aptitude à docilement

    Librement précisément épouser

    Ce qui t’est dicté par le mystère

    Quiconque à l'occasion te lirait

    S'en rendrait compte aussitôt

    Et il te conseillerait de cesser

    Un aussi vain exercice puisque

    L’ange ne veut plus te prêter sa plume

    Que la lumière en toi vacille et que d'ici

    Peu tu afficheras la pâleur de cire

    propre à la chandelle de l’ami Pierrot !

     

     

     

    WDS J08165 + 0911A

    .

    Petite étoile pâlichonne

    Tremblotante mésange des frondaisons

    Noires du firmament

    À qui porterais-tu message

    Personne là-haut pour décoder

    Le morse clignotant du SOS

    Que tu lances dans toutes les dimensions

    Du vide intergalactique

    Pas davantage d’âmes que pour déchiffrer

    L'humide nuage du poème

    Poli et repoli par la salive

    Acide citron et soleil de celui

    Auquel sa naissance par un cordon

    occulte t'avait reliée

     

    .

     

    Ablutions...

     

    .

     

    Dans le miroir cette vieille tortue

    Muette qui me renvoie mon regard

    Et symétrise tous mes gestes c'est

    Le moi de l'autre monde celui qui

    Ne recèle rien qu’apparences et fictions

    Il ne sent pas que l'eau mal essuyée

    De ma douche dégouline dans mon dos

    Ni l'odeur de l'air humide Il ne me

    Ressemble que parce qu'il se tait

    Parce qu'il sait qu'il doit se résigner

    À une longue absence - ainsi qu'au

    Sourire d'une vieille vie manquerait

    Irrémédiablement une incisive !

     

     

     

     

    .

     

    Microfleurette

    .

    Cette petite fleur de tussilage avait poussé

    entre deux dalles de la terrasse mais hélas

    je n’avais pas fait très attention à cet infime

    message prémonitoire Elle rayonne pourtant

    comme un minuscule soleil des profondeurs

    La tête d’épingle d’un espoir métaphysique

     

     

    .

    Pensées pour la suite

    .

    Ne cherche pas mon coeur en ce monde l'image de l'Enfant disparu. En toi elle survit. Et, distribuée, diverse, en toutes les mémoires aimantes.

    .

    Les êtres qu'on a intensément aimés se sont intégrés à notre être au cours des années. Nous aurions été autres sans eux. Nous sommes ainsi, nous humains.

    .

    Aussi justifiées que soient peines et douleurs, aussi légitimes deuils et chagrins, ce ne sont pas des émotions positives. Il faut barrer l'entrée de notre esprit à ces ersatz de la mort.

    .

    La jument dont le poulain est mort ne reconnaît pas sa dépouille. C'est pour la même raison que je ne cherche plus à revoir dépersonnalisée par l’inertie, la personne naguère aimée vivante et agissante.

    .

    Il n'y a pas de culpabilité dans le fait de survivre à un être cher. Quel qu'ait été son destin, notre implication ou non dans la tragédie, personne n'est assez puissant pour infléchir le sort.

     

     

     

    .

    Dimanche 11 août

    .

    Une aube décolorée et sans vent…

    La nuit n’a pas eu le temps de la farder

    en aurore rouge, bleue et or

    comme si l’habituel mariage exotique

    cette fois ne pouvait pas se faire

    et qu’il n’en reste que les tuniques

    des brumes couleur de lin

    et au-delà les torches fuligineuses

    d’on ne sait quelle funèbre procession

     

    .

     

     

    .

    Rien de plus

    .

    Ce qui est le plus rude à affronter

    dans l’existence pour l’humanité

    c’est incontestablement le « sans-retour »

    .

    L’aube luisante comme dégainée

    au-dessus de nos têtes l’épée

    de l’Irrémédiable

    .

    Et la pulsion brûlante du coeur

    qui déborde de nos regards

    avec le goût de sel de Notre Mer

    .

    .

    « Ce qui n’en finit pas »

    .

    À sa toujours même place le laurier

    attend la lumière promise

    .

    Quelques moustiques mal-intentionnés

    tournent dans l’air attendant leurs victimes

    .

    Le monde désoeuvré, déserté ce dimanche

    de tout son silence déplore une absence

     

    .

     

     

     

    .

    Odelette à l’astre du jour

    .

    D’innombrables fois succombe le soleil

    dans les âmes qui s’éteignent mais docile

    aux cris des nouveaux-nés il reparaît

    aussitôt avec la fraîcheur des naissances

    .

    Le grand petit soleil innocent là-haut

    qui lui aussi se métamorphosera jusqu’au

    terme des milliards d’années qui lui restent

    quatre ou cinq, disons, s’il est bien à la moitié

    .

    de la durée que le mystère lui a impartie

    En attendant, une nuit de plus s’est couchée

    ce matin enterrant avec elle outre horizon

    ses ténèbres ses lunes rouges et ses chagrins

     

     

     

     

    .

    Au fil de l’heure indivise

    .

    Au-dessus des lauriers et des oliviers il y a

    les cimes capricieuses des chênes Au-dessus

    il y a les forêts bleues des collines et plus haut

    les frondaisons blanches des nuages et l’azur

    Le monde semble s’étager au sein de l’été

    Le vent et les cigales n’osent pas se manifester

    Dans les vases sèchent les orchidées roses

    .

    Ce pourrait être une journée comme une autre

    même si l’on a l’impression que le globe tourne

    au ralenti et qu’en conséquence une gravité

    accrue nous alourdit les gestes et le coeur…

    Dehors la verveine dépenses ses senteurs

    en pure perte Aujourd’hui elle n’inspire pas

    les roitelets, accenteurs mouchets, hoche-queues

    ou autres solistes programmés par la lumière

    .

    Deux garçons la main dans la main passent

    en « frimant » – fiers de leurs jeunes forces

    et beaux comme de jeunes dieux innocents –

    La seule vue de leur marche assurée me réjouit

    Moi aussi j’avais un pas ferme et décidé jadis

    quand ma terre natale était encore un paradis

     

     

     

    Les quatre-sept

    .

    Je ne comprendrai jamais

    Les réactions de mes “frères humains”

    Par exemple ils célèbrent leur anniversaire

    Autrement dit d'avoir avancé d'une année

    Vers leur mort Comme si c'était une joie

    D'être délesté d'un an de leur vie tous les

    Douze mois… il est vrai que pour certains

    C’en est vraisemblablement une vu qu'à mon avis

    Le nombre des gens qui ont la belle vie

    Sur cette terre ne représente qu'une minorité

    Tandis que la majorité ne connaît au coeur

    de l'enfer qu'elle habite que de rares moment

    heureux...

     

     

     

     

     

    Aiguaïlenn

    .

    Tu ne sais pas que j'avais scellés

    dans les Nombres

    la beauté de mon amour

    et les splendeurs de ce monde

    .

    Que les nombres sont ce qui ne s'use pas

    Ce que rien n’érode... Ce sur quoi

    Le temps n'a pas davantage de prise

    que sur le vent, seigneur des moissons

    .

    Je t'ai regardée Tu avais des yeux si clairs

    qu'en eux se reflétait le printemps

    que j'aurais voulu être Ma nuit en toi

    s'est déchirée en millions de coquelicots

    .

    Et de marguerites emperlées de rosées

    Tu t'es changée en cascade de soleil

    J'ai appris que rien de la réalité ne brillait

    Sans ta présence et ton consentement

    .

    Le sablier du temps à pris la forme de toi.

     

     

    .

    Leçon de vol

    .

    Depuis que j’ai pris le temps

    par sa taille de guêpe

    en le regardant lucidement

    s’écouler en poussière

    .

    j’ai compris ce que le cristal

    des choses recelait de lumière

    précieuse et de purs souvenirs

    irisés comme des automnes

    .

    dont le vent soulève les feuilles

    Je n’ai pas cherché l’introuvable

    J’ai seulement écrit sa douceur

    et sa cruauté de voleur archiptère

     

     

     

     

    .

    Vendredi 16 - ou deux fois l’éternité...

    .

    Sur ma rétine l’aube imprime la croisée de fenêtre

    qui demeure croix noire dans mes yeux fermés

    .

    Je ne dirait pas quelles sont mes pensées pareilles

    à des pies en jaquettes qui se dispute à propos

    .

    des détails du prochain cérémonial tandis que

    proche un pic épeiche finit de clouer quelque chose

    .

    Réveil bizarre Cette nuit j’ai réussi à m’enfoncer

    avec ma caravane de rêves très loin au coeur

    .

    des dunes du sommeil et de ses mirages inhabités

    Puis j’ai fait retour aux pesanteurs de ce monde-ci

    .

    Le poids d’un nouveau jour a surpris mes paupières

    En signe de poésie une tourterelle a traversé

    .

    parmi les bois fleuris de soleil l’invisible à tire-d’aile

    en criant que la nuit ne gagnera jamais jamais jamais

    .

     

    Conscient d’être conscient

    .

    Quoique la vie ne soit pas semble-t-il faite

    pour être enveloppée d'encre de Chine

    et de feuilles de papier recyclé

     

    Ta tendance serait d’orner chaque heure

    de ta joie, d’un ruban de crêpe aussi noir

    qu'un reste de tison consumé qu'aurait

     

    en plein désert laissé un nomade inconnu

    au milieu d'un foyer borné de quatre pierres

    sur lesquelles il aurait cuit un gibier de hasard :

     

    De longs vers blancs à l'instar des Anciens

    ou quelque vipère à cornes excisée de son venin

    ensuite parfumée d'huile et d'épices exotiques

     

    pour se ragaillardir en vue d'une sorte d’interminable pèlerinage

    dont il sait n'avoir aucune chance fût-elle infime

    - arrivant à son terme - de connaître la fin

     

     

     

     

    .

    Immarcessible vérité

    .

    Dans un recoin enténébré j’entends

    un ange qui sanglote on croirait un oiseau

    .

    Athéna peut-être ou l’une de ses consœurs

    regards dorés en suspens dans l’espace :

    .

    Des étoiles à travers un feuillage nocturne

    apportant le message de millions d’années

    .

    Ou tout autre clin de lumière non moins

    insensé pour tel pauvre hère solitaire

    .

    La création semble réclamer le droit à voir

    sa beauté restaurée à travers les larmes

    .

    Un psaume de vent invoque la pâle hostie

    à laquelle communient les montagnes violettes

    .

    Dans un recoin enténébré j’entends un ange

    obstiné qui chantonne - on croirait un oiseau...

    .

    Le destin résumé dans le timbre d’une voix

    dont aucune tristesse n’a pu troubler le cristal

     

     

    .

    Météo d’un deuil

    .

    à R. N. in memoriam.

    .

    J’ai fait comme l’azur Pour contenir ses pleurs

    il les a emballés dans un vaste nuage ensoleillé

    .

    Qu’il a glissé doucement vers les antipodes

    par la fente de l’horizon telle une lettre informe

    .

    Les miens je les ai enclos en un vague poème

    que j’envoie aussitôt voyager par l’internet

    .

    pour disséminer le souvenir de qui j’aimais,

    pour fertiliser les strates obscures de tous les coeurs

     

    .

     

     

    .

    Résolution d'accord

    .

    Voici venu l'âge des sommeils incertains

    Aux ténébreux tréfonds de ta solitude

    où se défilent comme feux follets parmi des tombes

    les phosphènes échappés de tes cauchemars

    .

    il n'est de baume guérisseur que de susciter

    les visages émouvants de qui

    ta vie est l’étrange amour Celle

    grâce à qui la lumière nous est venue

    et ceux qui l'ont reçue d'elle

    comme au rameau dénudé le printemps

    suscite des étoiles

    .

    Puis nous irons porter nos regards

    encore évanescents de songes

    sur les empanachements verts des immenses pins

    auxquels l'aube se balance avec tous ses écureuils et ses oiseaux dorés

    en répandant partout le parfum frais des renaissances...

     

     

     

    Au trébuchet de l’âme

    .

    Les panaches fugitifs des écureuils

    Les parfums d’embruns venus de loin,

    des pins tiédis et des verveines

    Le souvenir flottant au-dessus de la dalle nue

    Déjà vers le bleu laiteux de l’automne

    penche ce qui fut un triste et bel été

    Le vent qu'on ne sent qu'à peine

    d'un souffle m'apporte un à un des poèmes

    emportant du même mouvement

    un à un mes rêves et chagrins – un à un !

    D'un côté je m’aggrave et de l'autre, m'allège,

    de sorte que des deux côtés le fléau

    berce ses plateaux d’or autour d'un équilibre

    même s'il faut bien avouer que leur balancement

    lentement perd en amplitude

    comme faiblit le ressac à l'heure

    où la mer à l’approche de la nuit pressent

    la stupéfaction des étoiles émerveillées

    dont l'une ou l'autre endormie

    au miroir qui flaque le fond de la barque

    laisse un moment pensif le pêcheur

    alors qu’il s’apprêtait à regagner le large avant le jour

     

    .

     

     

    Allée de la Lune

    .

    Là-bas sur les cordes improvise Vicente Amigo

    Callejón de la luna – grappes brillantes de l’acier

    et liberté de floraisons aériennes

    qui neigent où le vent emporte leur orient de perles

    .

    Ici parmi les allées douloureuses du réel

    sur les lignes d’un langage évasif comme des vignes

    j’improvise des poèmes afin de m’enivrer

    d’une musique d’oubli mais je n’oublie rien

    .

    Juste le rythme du poème qui m’emporte en ondoyant

    ainsi que rivière assagie après la cascade mélodieuse

    dont l’avance extirpe du silence de sa double rive

    des paysages de vallons et de collines consolantes

    .

    pour le fugace agrément d’un voyageur au masque triste

     

     

    .

    Sous le signe du pecten...

    .

    Une langue de nuées roses

    Fait frissonner les herbes des collines

    J'imagine l'éros errant de la nature

    Et la forêt profonde où la mort

    Sommeille en son manoir inaccessible

    .

    Les humains sur Terre sont si nombreux

    Qu'ils ne respectent plus rien de ce qui vit

    Même pas leurs congénères

    La vie leur paraît tellement proliférante

    Que sa nacre leur échappe

    .

    J'entends cette rare irisation de la réalité

    Dont l'extérieur comme d'un coquillage

    Ne paie pas de mine alors qu'en dedans

    Le tapisse la blanche moire de l'écume

    Engendrée par l'incessant babil de la mer

    .

    Celui-là qui précisément murmure à notre oreille

    Le poème qu’il faudra recueillir avant qu'un autre

    Bientôt ne le remplace prés d'être à son tour

    Oblitéré par le suivant et se perde dans les limbes

    Avec l'énigme et le miracle dont il eût pu nous donner à connaître

     

     

     

     

    .

    À la lueur des mots

    .

    Au fond, de cette vie, la seule figure

    À laquelle on puisse accorder

    La lueur aurorale du songe

    C'est le regard que l'on pose

    Sur ceux qui suscitent notre amour

    .

    Dire les choses du monde

    La jarre où tremble le silence de l'eau

    Le jeune arbre qui luit au soleil

    Ainsi que la croupe d'un poulain

    L'écureuil vif éclair velu

    Qui dévale un tronc à la verticale

    Comme s'il courait sur un sentier

    Le paysage aux lointains paradisiaques

    Sur lesquels a déteint le lavandin du ciel

    Le scarabée dans l'herbe et le hérisson

    Qui guette l'avancée d'une limace rousse

    .

    Dire cela, tout cela et mille autres faits

    Menus ou non, n'est que la résultante

    Du magnétisme qui nous lie à ceux que nous aimons

    Le temps que l'on habite existe à travers eux

    Irradié par la passion de vivre que suscite leur présence en nous

    Qu'un seul d'entre eux nous manque et notre monde

    Nous en sera soudain comme amputé

    .

    Irrémédiablement...

     

    .


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