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Aucune stèle ne sait lire
Aucune stèle ne sait lire
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Souvent j’ai pitié
quand je passe au milieu de splendides
parterres de fleurs
à l’idée qu’aucune d’entre elles
ne connaît ni sa senteur ni sa beauté
pas davantage que les cigales ou les oiseaux
n‘ont conscience de leur qualité musicale
ni le ruisseau plein de reflets
n'accède au charme de ses images
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En forêt j’admire les hautes futaies
ignorantes de leur intimidante grandeur
Je me demande comment on peut
faire le métier de bûcheron surtout
à la façon des trafiquants de bois d’Amazonie
qui abattent à la scie électrique des géants
millénaires dont ils n’utiliseront que la moitié
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Et me vient la pensée
en lisant une anthologie de poètes
que sans-doute la plupart d’entre-eux
(pas obligatoirement les plus mauvais)
ne comprend pas pourquoi l’on a élu tel
d’entre leurs poèmes
plutôt que tel autre qui ne leur semble
en vérité ni plus ni moins abouti...
Inoxydable présence
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Tout ce qui nous parvient de l’univers
n’est que fragments que ravaude la mémoire
ainsi que l’onde d’une source les reflets
disloqués de la lumière entre les branches
Quelques pierres ressuscitent un château
Trois mesures de violon une symphonie
Une écale de nacre la rumeur des flots
Et ce parfum de pin sylvestre et de jasmin
autour de moi suscite cet instant d‘effroi
exquis où soudain glace et feu Aïlenn fut...
Antinomie
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Soleil de juillet
et comme un bloc d’anthracite
mon vieux coeur obscur
Absence à jamais
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Le long du rivage, la lune crépusculaire monte et descend ses gammes sur les touches d'ivoire de son piano aqueux...
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Grand couvercle laqué de nuit, la mer est grêlée d'étoiles en extinction, flammèches retombant du feu d'artifice cosmique.
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Vivace, irraisonnée, bourdonne autour de ton crâne une guêpe d'ombre, haine qui emprisonne tes songes comme un étau.
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Elle ne se pose jamais, les ténèbres étant trop vastes pour y déceler un but, mais empoisonne les airs de sa rage impuissante.
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Le monde n'était pas pour moi, qui n'étais pas fait pour ce monde où, coque de noix en pleine tempête, l'on est jeté sans sextant.
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Pourquoi ne suis-je pas du bois de ceux qui croient aux fictions reposantes des dieux et autres idées fantaisistes et consolantes ?
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Que cela doit être doux, cette sorte d'illucidité qui ferait de ta mort parmi cierges et psaumes un berceau d'éternelle félicité !
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Mais combien plus doux encore sera, dans l’opaque passé dont on ne revient pas, de s'éclater en une dispersion de particules !
Plein vent
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à Henri de Régnier
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Les chauves-souris
Grand arbre du crépuscule
Sont tes feuilles mortes
Cadence rompue
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Terribles sont les douleurs des hommes !
Et les poèmes qui parlent d’eux ressemblent
à ces chansons aux paroles résolument
optimistes et consolantes
que dément sans le savoir une mélodie
désespérée
. Une mélodie dont les notes
toujours de la dominante redescendent
vers la tonique et renoncent
tandis que la voix se fait rauque et sur deux
accords de guitare se brise - nous apprenant
que la vie est une théorie de fins sans fin...
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Un grillon dans la nuit d’Opio
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Moins seul de répondre au clignement
incessant des étoiles
noir dans le noir il s’obstinait à son
monotone et sibilant SOS en morse
le grillon pareil
à un géant paquebot noir
comme si l’on était encore au temps
du radiotélégraphe lorsque l’oncle Guy
me traduisait jusqu’à minuit
les messages venus de tous les océans
qu’on écoutait sur la TSF à lampes de mon père
et dans ma tête je voyais tous ces navires
balancés sur des ondes monstrueuses
dans un brouillard opaque
que seulement une succession de tuuut-tut
tut-tut-tuuut-tut-tuuut-tuuut-tut-tut-tut
reliait au reste de la planète où des gens
comme nous les écoutaient bien en sécurité
donner de leurs nouvelles à des familles
qui ne savaient jamais si le marinier absent
reviendrait combler le vide qu’il avait
laissé dans la maison et dans les coeurs
Oh petit grillon – mon grand paquebot noir !
Présence d’Aïlenn
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C’était toi, c’est toujours toi, proche présence...
Colonne d’un temple à côté de l’autre colonne ;
toi, d’un marbre rose auquel le grand jour seul
rend justice, alors que je ne suis qu’obsidienne
et nuit. Toi fleur d’or issue des mers du Nord
avec ce long regard silencieux où l’on se perd…
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J’aime tes façons de bourrasque et tes bises
délivrant jusqu’à moi des bouffées d’échos
et de soudaines reliques de rumeurs : mots
inattendus qui font rêver, phrases savamment
inachevées qui attendent tout de mon écoute.
Tes gestes dans l’air décrivent des chansons.
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Au-dessus de nous, la poésie, ciel changeant
au gré de l’ombre d’un nuage ou des clartés
de l’espace, comme une montagne attentive
toujours prête à récompenser les ascensions
par une vue dégagée sur la mer, sur le monde,
comme sur, chaque fois, une victoire sur soi !
Qu’importent les sceptiques !
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Cette sorte de volatile presque informe
dont la blancheur confirme qu’il s’agit d’un nuage
comme il est seul dans tout ce bleu céruléen !
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À voix basse je m’adresse à lui d’une voix
tremblante pour qu’on ne m’entende pas
lui dire que nous sommes frères On me croirait fou
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Aïlenn me comprendrait sans doute, elle qui me disait
récemment avoir conversé avec un arbre
et je sais bien qu’elle en est parfaitement capable
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Pour ceux que ce genre de choses incite à penser
(selon l’expression de ma mère) que nous serions
« un peu siphonnés », je n’ai aucun remède.
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Après tout ceci n’est qu’un poème de treize vers.
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Biochimie
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Mettant à contribution toute notre personne
avec son physique et son entier passé
se condense certain sentiment synthétique
impérieux qui exige de précipiter sur la page
en grêlons d’encre à la fois obscurs et limpides
pareils à ces pleurs qu’on ne réussit pas à contenir...
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Antibaudelaire
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Certains êtres doués d’une folle énergie
se plaisent à l’imprévisible, à l’aventureux
convaincus qu’ils sont - par science sûre
ou inconsccience - de faire aisément face
quoi qu’il arrive Ah c’est beau cette énergie
baudelairienne qui veut « plonger dans
l‘inconnu pour trouver du nouveau » et
quelle gloire médiatique pour les héros
qui l’ont fait (ou alors on n’en dira rien,
comme c’est souvent le cas parce qu’ils
sont morts !). Marcher sur un fil certes
au-dessus du précipice est époustouflant
et les gens applaudissent. Moi, je préfère
pourtant trouver du nouveau en plongeant
au fond du tenace mystère de l’Un connu !
Confort de survie
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Il rédigeait pour lui-même quelques aphorismes
ainsi qu’on jalonne une parcelle dont on a étudié
la composition chimique et travaillé le terreau
Il n’ignorait pas qu’il n’en avait pas pour autant
balisé tout le périmètre et qu’il restait encore
bon nombre de pieux à planter Sans certitude
mais sans souci qu’il lui reste un laps de temps
suffisant pour achever sa tâche qu’il pressentait
sans fin, il écrivait par l’effet d’une aveugle inertie...
Sagesse, langage et poésie.
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Le sage sait qu’il est directement ou indirectement à quatre-vingt dix-neuf pour cent impliqué dans les déboires de son existence.
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Nombreux sont ceux qui ne tiennent pas du tout à être des sages car ils considèrent que cela les empêche gravement de se sentir vivre.
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Dans le langage poétique, depuis le Surréalisme et le Psychédélisme, les gens considèrent qu’est poème tout reflet délirant du chaos.
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Rares sont ceux (dont je suis) qui ne consentent au poème qu’une logique charnelle, naturelle, terre à terre, une cohérence de l’irréel.
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Si l’irréel entre dans l’énoncé poétique, ce n’est pas logorrhée de drogué, c’est le second oculaire d’une jumelle : qui permet la stéréoscopie.
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Toute figure de style, en particulier métaphore et synecdoque, est une mise en perspective que la seule structuration par le langage autorise.
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Sans images, qui ne sont ni clichés ni photos ni vidéos, le poème est une prose qu’il ne suffit pas de baptiser « poésie » pour ce soit du poème.
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Dans un poème, ce n’est pas l’inconscient en roue libre qui apparaît, mais le monde élaboré par toute une vie, dont un écrit rend compte à l’instant t.
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Ce fragment d’énoncé à la fois logique mais jamais encore conçu, se fonde sur le fait qu’une parcelle de notre « âme » individuelle ouvre un monde.
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L’essence du poème : quand la partie, si miette qu’elle soit, réussit à refléter le Tout comme une goutte de rosée recèle la totalité d’un paysage.
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La beauté n’est pas dans l’oeil du poète ou de l’artiste, mais dans les choses mises en lumière, discernées, sur lesquelles toute l’humanité s’accorde.
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Ce n’est pas la faute de la beauté si quelques uns ne la voient pas, ou si le snobisme les persuade de la reconnaître même là où elle n’est pas.
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