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Par Xavier.Bordes le 5 Novembre 2014 à 18:25
Soir d'octobre
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Les yeux du chat noir sur le mur rivalisent avec la lune
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C'est la tombée du jour L'heure des rendez-vous
Des recoins ombreux où les lèvres cherchent les lèvres
Délices des liaisons fugitives illégales
Salives mêlées autour du fruit défendu
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Ce n'est pas cette ivresse que je cherche
Plutôt le soleil couchant plongé dans les vagues
quand il éclate en millions d'étoiles
qui se reflètent au transept du firmament nocturne
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Me visite l'image incandescente de la Fée
Je la vois danser sur des musiques de tam-tams
Taille étroite serrée d'une ceinture d'or avec au dos
un gros nœud pareil à celui d'un obi de kimono
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On dirait qu'il pleut du sommeil dans les arbres
Légère brise au jardin La mélancolie signe le tableau
de ce soir d'automne où conscient de l'éphémère des choses
en frissonnant Beauté je te serre dans mes bras
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tandis que sur le mur les prunelles d'un chat noir
phosphorent de rivaliser avec la lune.
Haute solitude
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Les grenouilles font des bulles de musique avec le savon de la lune
comme disait Léon-Paul Fargue un prince des poètes
aujourd'hui presque oublié Et le temps des grenouilles
acharnées à des choeurs nocturnes dans les étangs du château
de Maugny où Proust à vingt ans se plaignait d'avoir peine à dormir
est bel et bien perdu depuis l'époque de ma naissance
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Pourquoi me reviennent ces relations bizarres
Il y a comme un vent d'automne sur le lac gris
La petite morte aux tresses blondes n'a pas vieilli
dont le corps par la houle est porté sur la rive déserte
Les grands arbres s'enferment dans leurs pensées
Ils ruminent qu'ici naguère exista un été
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Comme est profond ce mur que dissolvent mes rêves
Un puits creusé durant soixante dix ans
Je me vois minuscule comme le reflet d'une étoile
au fond de ce for intérieur qui est moi-même
parmi les longs échos des voix étouffées telles
qu'on les entend derrière les haies de buis des cimetières
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Cet automne sent le grenier et la vieille valise
Et les amours fossilisées Mais pas la moindre grenouille
Sur le pavé luisant de fine pluie
Hélas Juste la vie « qui fait souffrir
pour un rien Pour le plaisir... »
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Par Xavier.Bordes le 31 Mai 2014 à 19:47
31 mai 2014
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On entend célébrer les souvenirs terribles d'une guerre, musée du « Débarquement », cimetières à perte de vue - signes blancs sur pelouses dignes d'un golf -, commentaires graves et hypocrites des politiciens et des militaires. Honneurs dédiés aux rares anciens combattants, perclus de vieillesse lorsqu'ils n'ont pas disparu. « Ouistreham et Rivabella, un kilomètre huit cents de plages, les canons ennemis se sont tus, le Casino a été repris ». (Voix chevrotante du témoin de 91 ans…)
Les relations de ce genre sont si difficiles à entendre ! L'écume des commentaires commémoratifs ne déguise pas l'horreur des visions que les mots projettent dans notre imagination, tremblements, sifflements des obus, ronronnement odieux des bombardiers. « Feux d'artifice en plein jour », dit une femme qui avait sept ans à l'époque. Et de relater le mois passé sous la voûte d'une ancienne mine, refuge où ne pénétrait qu'assourdi le fracas continu des explosions, « l'ouragan de fer et de feu. »
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Un temps que je n'ai pas connu, la fin étant survenue dans l'année de ma naissance, mais dont les moments héroïques étaient ressassés par les oncles, les grand-oncles, les pères, les grands-pères, leurs amis, autour d'un pastis, ma jeunesse durant. À Sommervieu, la plus ancienne moitié du château, où avait logé l'état-major ennemi, témoignait des combats. La paroi de l'escalier en spirale de la tour était constellée par les cicatrices qu'avaient laissées les balles. L'endroit était devenu inhabitable et restait en l'état…
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Enfants curieux, aux vacances nous en explorions les recoins, dont la plupart des meubles avaient été évacués par l'état-major allié qui avait remplacé l'ennemi vaincu. Au dernier étage, une armoire à-demi démantibulée avait livré, de son unique tiroir central, un cahier écrit à l'encre violette, d'une belle calligraphie, assez haute et noble, peut-être féminine. Il n'avait été utilisé qu'au trois quarts puis abandonné. Pas de nom. On ne connaîtrait jamais son propriétaire. Il contenait des poèmes imités de Lamartine.
Regards en arrière
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Insolite, pour qui ne déchiffre aucun paysage, que cette façon de fixer les moissons quadrangulaires de l’Août avec les yeux du céréalier à l’aube, attendant debout, les bras croisés, que le premier soleil y vienne glaner son propre incendie…
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La bouteille n’est pas à la mer, mais fraîchit sous les roseaux, dans l’eau du bord. Elle contient, en lieu de messages, quelques centilitres d’une ivresse couleur pelure d’oignon. Ne jetez pas la pierre au faucheur que sa longue journée altère, à force de lumière aiguisée parmi les tiges aux frissons de crotales.
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Mais aussi, quelle joie, quelle grâce vive, lorsqu’une présence légère, en espadrille soulevant d’une démarche balancée la poussière du chemin, consent d’approcher. Fraîcheur nue des bras agiles, lèvres à peine plissées pour un baiser boudeur comme un bouton de rose, corps en forme de sablier.
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Et quels instants incomparables si par miracle elle veut bien, à l’abri des épis ondoyants, se donner tout entière, seins laiteux aux prunelles fixes, ventre élastique où l’univers a tracé son ombilic, longues jambes entre lesquelles l’infini frise au fond de la perspective, comme s’il en pouvait surgir, avec d’ineffables délices, un mystère nouveau.
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Bizarre avenir
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Très loin s'étirent les longs nuages, perspective offerte au ciel rose du soir ; les hirondelles en formation joyeuse évoluent dans l'odeur de lilas de l'air qui envahit tout de sa présence, et fait danser une mèche qu'on dira « rebelle » sur la tête d'une vieille femme, occupée derrière des grilles élégantes à jardiner devant sa maison. Et c'est comme la mémoire d'une vie antérieure, rapporté dans la cale d'un sloop qui aurait touché à des terres ultramarines. Amenons le triangle de haute blancheur, puis le foc, qui s'affale sur le pont au ras des reflets sinueux, verts, argentés et noir, de l'eau du port. Ô visiteuse, pour toi voici un collier caraïbe, avec perles de leyre, topaze, et au centre son étoile pâle en forme de fleur. Depuis longtemps les pirates que j'ai fréquentés jadis ont disparu. Tricornes, foulards, balafres, odeur de pemmican fumé, sabres d'abordage trempés dans le Tage, tout cela n'est plus que pour les vitrines de souvenirs, auxquelles parfois mon inconscient, transparent à toutes sortes d'images intemporelles, ressemble. Moi, plus sédentaire qu'un corps-mort autour duquel s'enrouleront les bouts des coques nomades, je me nourris de fuites, de soleils inouïs, de fleur de sel scintillant d'espérances désespérées sous la caresse du crépuscule. Le temps est passé, il m'a dépassé ainsi que les nuages. Désormais je vis d'une fiction de futur qu'azure l'éternité fraternelle de phrases dont le sens ne touche que les visiteurs rapides.
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Navigation aédique
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Celui qui apporte à sa flûte l'âme bleue du vent ne sait pas de quelles ondes, ou de quels tourbillons, il se fait l'instrument ! Du roseau qui ne connaissait que chuintements courbés et froissements de feuilles sèches, quelques gestes minutieux ont tiré la possibilité, osé-je dire ébouriffante, d'une voix. Même si le tube est encore vert, avec cette odeur fraîche d'aisselle de femme en amour, le timbre de contralto paraît sonner depuis le fond des siècles…
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Le premier son est sirène d'un navire en instance de quitter le port. Qu'arrivent les derniers retardataires, en hâte ainsi que des fausses notes ! Puis vienne la maîtrise de la trajectoire, l'émouvant appareillage toutes ancres remontées jusqu'à la pupille noire de l'écubier. Sur toute la longueur de la ligne de flottaison, des hublots ronds déclinent tour à tour la gamme d'éclats du soleil levant. L'ondoiement d'un infini nébuleux s'ouvre face à l'étrave musicienne !
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Mes flûtes, neuves ou plus anciennes, je les ai toutes à l'occasion plongées dans la Méditerranée, que le sel et la mélodie recelés au cœur des vagues les pénètrent, les apprivoisent à la magie des périples, au rêve des landes exotiques, des peuples aux fêtes jonchées de complaintes bariolées, dans leurs accoutrements étranges et superbes. À l'instar des poèmes et du logos, elles sont des vaisseaux qui contiennent tout ce que je sens.
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Ineffaçable est pour moi le souvenir qui alliait le grand orgue du Nautilus, à la navigation étrange et libre de Nemo ! Après tout, les tubes de roseaux, les syrinx en particulier, sont les ancêtres de ces forêts de hauts tubes argentés qu'on fait retentir depuis la dunette des églises, et qui roulent leur tonnerre au-milieu des volutes de l'encens et du plain-chant qui déploie ses inflexions de punctums, virgas, torculi, en saturant d'échos mystiques la voûte pareille à une carène ancrée dans l'éternité.
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Coeur d'artichaut
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Le jeu des feuilles au vent, sans toi - le vieux ! -, ainsi que brouillons qui feuillolent au fond de souvenirs incertains, mêlés de rêves. Après l'automne, qu'en restera-t-il ? Un squelette en résilles de dentelles ultrafines ? Un humus de couches moisissantes dont les couleurs d'or et de sang auront viré au brun fangeux ? L'une ou l'autre mordorée, précieusement conservée entre les pages d'un cahier-journal d'écolière ?
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Les pages de temps en temps ouvertes sont ailes d'hirondelle pour la charmante et joyeuse petite âme, éprise de rubans et de cœur dessinés au crayon-feutre. On l'imagine, profil perdu, la tête un peu inclinée sous les boucles qui se défont, la pommette éclairée par la blancheur du papier. Un joli soleil indiscret par dessus son épaule lit le poème des confidences écrites autour du poème préféré.
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À l'évidence, l'auteur ne connaîtra jamais quel sort attendait les humeurs écrites par lui, dans ces successions de chocs, de bouleversements, de bonheurs, de misères, que l'on appelle couramment « la vie ». Il ne saura pas combien était délicat le regard qui effleurait ses vers et s'en ravissait comme en découvrant au jardin une minuscule grenouille, d'un jade à reflets dorés comme un magot chinois, au fond d'une fleur d'arum au cône plein de rosée lustrale.
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Or nous ne songerons plus à ces joies à venir, à cette future jeunesse aux longs cils et chevelure brillante de santé, qui se dérouleront sans nous. Il est venu le temps des anciens aèdes, du cœur serré et ridé à l'instar d'une tête réduite, par l'invisible Jivaro qu'est le Temps, à presque rien tel un camus breton dépouillé de toutes ses bractées, dont ne reste que le rayonnement superflu d'un foin argenté.
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Indigeste !
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C'est la gorge étranglée que, par ce jour d'enterrement, bise noire en plein mai et lourdes tentures de nuages, tu voudrais reprendre le fil de ton discours mélancolique.
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Mais que reprendre à la réalité cassée, pour en recomposer la mosaïque d'un poème ? D'autres quittent la poésie pour disserter sur le contemporain avec profondeur et richesse de pensée. Ils ont l'insigne chance d'être capables de participer à leur monde, d'entrer dans leur fleuve et d'y nager en faisant abstraction du Salto del Angel vers lequel les entraîne l'irrésistible courant...
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Moi – le sommeil ivre sur la grève, fleurant le cannabis ou la marie ? Pour tout dire, cela même aujourd'hui n'a plus à mes yeux le charme qu'avait l'éternité au temps de l'adolescent Rimbaud. Les océans immenses m'ont suffisamment bercé. Il serait indécent de plaindre les périples incandescents de jadis.
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C'est à terre pourtant que me secoue une sorte de mal de mer. D'autour de moi ne me parviennent que des news repoussantes, dont les moindres ne sont pas les enfants torturés, les peuples massacrés, les femmes détruites ! J'ouvre la fenêtre de la télévision : massacres, horreurs, hypocrisies, mensonges, avidité, tricherie. Acteurs de cinéma idiots. Politiciens aux airs d'acteurs. Animateurs vomitifs.
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C'est la gorge étranglée que, par ce jour d'enterrement, bise noire en plein mai et lourdes tentures de nuages, tu voudrais reprendre le fil de ton discours mélancolique. Hélas, le temps n'est plus à la mélancolie mais à l'éructation !
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Errant par les allées
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Merveilleux, quels merveilleux résultats depuis les millions d'années qu'ont évolué les dinosaures, qu'ils en soient arrivés aux flûtis délicieux des oiseaux de mon jardin ! À partir de monstrueux léviathans couinant avec des do-sol de bugles énormes, le temps a fait des êtres légers, ailés, déroulant de fluides arpèges auprès desquels fifres ou violons font pâle figure.
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Au bord de l'allée, je rêve en palpant l'écorce d'un arbre, venu d'un lointain pays sibérien mourir ici après quelques années. Du pied je heurte le bord en ciment d'une plate-bande. Je pense à vous, à vos épaules lisses ainsi que galets polis par la mer, à vos yeux tristes qui ne lisent plus ce que j'écris. Changeante chevelure, moirée et longue comme vague qui pend du récif à l'instant éternel de retomber après avoir giclé à contre-ciel.
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Si distant désormais, si solitaire, si nocturne parfois, le langage qui me traverse avant d'avoir touché personne d'autre, se dissipe. Une brume d'un autre siècle, où s'agitent des choses douces, peut-être des branches de pins, des sangliers qui fouissent, des chevreuils qui guettent une minute de silence qu'ils n'ont pas entendu venir, voilà ce qui compose le spectre de ma présence falote, incapable d'aimanter quiconque excepté la lune.
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Même le sentiment qu'on décline ici, pour soi seul sans doute, est désuet. Mes paumes l'entretiennent comme un feu clair, le tendent vers le vide. Or le précipice qu'il éclaire n'a pas de fond, ses parois éclatent et les débris s'en dispersent. Plus de jeu, plus de rapt. Les beaux seins nus de jadis se sont éteint, la source sous la mousse s'est tue. Ne reste qu'un nuage impalpable et informe qui phosphore au cœur de sa propre nuit.
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Gorgo
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Rasant les façades à cause d'une bruine hésitante, j’ai croisé de près - un pas de côté - une mort au visage d’ange, encore bien vivante, avec les troublants yeux verts qui dans notre enfance rimaient avec “zyeux de vipère”. Abondante chevelure sombre et frisée par l’humidité, front et pommettes bombés sous lesquels on devinait le crâne.
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La beauté de ce regard là, venin doré, m’a frappé au coeur depuis longtemps. Mon regard à moi, tel ces rayons X des récentes publicités pour matelas, me la montrait spectrale, dénudée de toute chair, squelette ambulant parmi ceux de tous les passants. Terribles sont les promesses de ces iris couleur de prairies, de vagues, de printemps édénique !
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À la terrasse abritée d'un bistrot, médusés, des gens regardaient ses hautes jambes balancer sa croupe. D'une main, étroite et longue, elle étreignait le manche recourbé d'un parapluie bleu-pastel. Ses phalanges minces et fragiles émouvaient. L'autre poing, menu, serrait l'anse d'un sac de plastique peu rempli, frappé des armoiries d'un supermarché.
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Enfin, la mort s'est engouffrée, comme on dit, en même temps qu'une rafale de vent dans la bouche de métro qui s'ouvre à l'angle du croisement tout proche. J'en garde l'image imprimée au fer rouge sur l'écran de ma mémoire. Elle hante mes jours et mes nuits du voisinage de sa constante splendeur et du parfum d'ambre gris qui anticipe sa présence.
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Déracinés
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Venu, reparti, l'éclair a tout obscurci
au retour du grondement dans l'âme solitaire
Luminosité bizarre aux teintes cyanosées
Les tiges de l'averse flagellent les rues tristes
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Nous n'avons point parlé ni toi ni moi
La mémoire encore accaparée par des heures joyeuses
qui de trous d'air en balancements d'ailes gris aluminium
ont pris fin (Fin des jeux de soleil aux rideaux brodés de roses)
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Ceux que nous laissions là-bas, au sein de l'Ailleurs
davantage chargé d'avenir que l'ici – comme nos cœurs
s'y sont vite attachés, et comme désormais nos cœurs
s'en préoccupent au point de voir notre présent décoloré !
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Clevedon
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Dentelle d'acier riveté, en arches de poutrelles sur l'estran à marée basse, le ponton s'avance loin vers le large. Longs éclairs d'eaux parallèles, les miroirs des flaques entre les ripple-marks des hauts-fonds sombres, mis à nu, zèbrent le regard du promeneur qui suit le chemin côtier. Quelques nuées capricieuses boursouflent les cieux.
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Tout est clair et net. De jeunes enfants cheveux blonds au vent, glissent sur leur skates en sinuant entre les obstacles dont je suis. À la limite du regard, où tremble une mer argentée, on devine une autre terre mince et floue comme un filet de fumée. En surimpression, d'immenses trois-mâts transparents dans les deux sens empruntent l'estuaire.
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D'ici ont appareillé marchands, pirates et négriers ! Aujourd'hui si calme, le paysage maritime, les maisons concentrées sur leurs pierres taillées, les gloriettes des jardins aussi bien que les kiosques des places, laissent une impression de pacifique mystère. Intense pourtant, ainsi que tout ce qui diffuse autour de soi une inexplicable présence.
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C'est un chaud soleil qui accueille les flâneurs du dimanche au pub, où sur des tables octogonales les attendent de grands verres embuées, Guiness ambrée, Jollydale Cider, Monin Mint Syrup. Sous les frondaisons proches, luxuriantes, redondantes, magnifiques, des oiseaux excités énumèrent les cent mille noms du dieu.
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Par Xavier.Bordes le 23 Mai 2014 à 14:59
Camera oscura
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Sur la colline qui domine l’impressionnant pont suspendu, cette ancienne chapelle, au coeur d’un vaste gazon d’un vert intense, dresse sa tour. Au-delà de l'enceinte des haies le regard porte jusqu’à l’estuaire dont la rive opposée tire au loin son mince trait bleu, d’épaisseur inégale.
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On entre côté sud, grimpant par un escalier en spirale dont les paliers s’éclairent d’une fenêtre blanche qui laisse entrevoir outre l’abîme, de riches maisons nichées au creux d'une végétation luxuriante. Elle sont à peine en retrait de l’à-pic vertigineux au fond duquel miroite le fleuve.
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Le ciel s’illumine parfois d’un nuage, qui s’enflamme ainsi qu’un brouillon jeté dans la cheminée gris sombre. Une éclaircie découpe du bleu pâle, le soleil paraît, disparaît, reparaît, au gré de légères averses. Il faudra que sa lumière donne, lorsque nous serons arrivés à la rotonde d’en-haut.
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C’est un chemin de ronde avec fenêtres aux anciennes fermetures de cuivre de style victorien, sur tout le pourtour : d’où l’on a vue sur la ville, les prés, les campagnes, jusqu’aux cercles les plus éloignés. Un petit chien blanc, dans l’herbe d’en-bas, joue avec une femme en jupe sombre.
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Au-milieu de la tour, la chambre obscure. On y pénètre par une petite porte en bois qui se referme d'elle-même. Lentement l’oeil s’habitue dans l’obscurité, et finit par discerner au centre une surface plâtreuse, concave, d’un diamètre d’environ deux mètres, peut-être davantage. On lève les yeux. Un peu de jour perce le toit conique.
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Au bas du toit un rail circulaire soutient les roulettes de quelques simples entretoises qui supportent une lentille par où, à présent, l’on comprend que pénètre le jour. La merveille, c’est que lorsque ce jour irradie, dans la cuvette blanche se projette l’entier paysage, que l’on fait varier grâce à une manivelle qui déplace au long du rail l’orientation d’un prisme.
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Quelle iridescente beauté que de voir dans la pénombre, projetées sous notre nez, toutes les formes de la réalité environnante, comme recueillie dans une large bassine. Le détail est d’une précision inouïe : voici gambader le chien blanc, sa maîtresse se retourne au bord du chemin, vers ces deux promeneurs compassés aux allures typiquement britanniques.
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De mains en mains, faisons circuler la manivelle de fer autour de l'image : voici le splendide pont blanc de Clifton, le fleuve qui brille, les toits réguliers et les bosquets aux frondaisons énormes. Bougeons encore entre nous l’univers qui nous cerne au-dehors, racontons les détails qui nous enchantent : telle est la poésie, cette chambre obscure où le regard prismatique du poète, en un espace immaculé, a projeté, recueilli, tout un monde.
Écrit pour toujours
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Moisson de souvenirs emmaillotés d'or et tremblant au moindre souffle de l'esprit ainsi que des épis, je vous observe à l'envers dans l'étang dont les rides des jours troublent peu à peu les images...
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Je laisse flotter la prose sur l'ondoiement des minutes, embarqué sur le langage à force de rêve, à l'instar d'un blanc voilier de papier analogue à ceux qu'on pliait dans une page arrachée à nos cahiers d'école, pour les regarder filer au long du caniveau..
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Un ruissellement de printemps glousse dans mes oreilles, accompagné d'un soleil immatériel qui sèche mes plus tristes pensées. Ce qui fut s'illumine mentalement avec la pureté d'un paysage enneigé.
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Les mots rendent nettes les bruits, visions, parfums, et jusqu'aux sensations, râpeuses comme cuillères de bois sur la langue, des pierres sauvages par nos mains agrippées lors d'ascensions que je croyais oubliées.
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Ce sont soudain de hautes montagnes bleues, hantées de génies en houppelandes vaporeuses, qui se dressent dans un espace intangible, et dont la succession rythmée pâlit en approchant de l'horizon.
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Ce sont de hauts champs à perte de vue tapissés de marguerites sur la pente de l'Atlas, au milieu desquelles une petite file éberluée ne sait plus où donner de la tête, dans la joie de se cueillir un bouquet.
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Ce sont les violons d'un concert de chambre, dans le salon de musique d'une demeure autrichienne austère de façade: aux plafonds armoriés se tordent des guivres ; on dirait qu'elles souffrent comme mon cœur de la violente beauté qui se joue ici.
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Ô, moisson de souvenirs flottant au gré des brises à la manière d'une mèche blonde coupée à la longue chevelure d'une mariée, envolez-vous vers l'infini avec les oiseaux de mer et disparaissez au loin sur les ondes bleues de mon éternité !
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« Lasciate ogne speranza... »
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Combien, oui, combien regrettable ce manque d'insensibilité qui teint les choses d'inoubliable, et le passé bientôt apparaît merveilleux et doré dans la nuit de jadis, avec visages de mères tristes et sourires d'enfants éternels, ainsi qu'une iconostase au fond d'une église grecque !
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Tavelée de chagrins, ton âme, cette bonne poire, que le soleil du temps a glorieusement mûrie, puis abandonnée à sa blettise vieillotte, impuissante et désarmée par la glu de nostalgie qui piège les envols !
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Ceux qui éclairaient ta vie la quittent les uns après les autres, un petit bruit de radicelle qui rompt, ce son de corde qui casse au violon, libérant insensiblement la chute de l'arbre ou l'amenuisement de la mélodie jusqu'au silence...
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Pourtant, j'ai toujours rêvé d'être gai, de protéger entre mes paumes une sorte de petit animal au doux pelage d'insouciance, en me promettant tous les matins de ne plus jamais regarder par-dessus mon épaule l'Eurydice d'autrefois.
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Hélas, cette obscurité bleuâtre en laquelle, parés d'or ainsi que pharaons, se momifient les ans défunts aux si jeunes visages, et si lisses, pour un cœur incapable de se cuirasser ressemble moins à celle des Enfers qu'à l'entrée d'un Paradis définitivement perdu.
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Ruban de Moebius
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Est-ce à force de soupçonner la lune, depuis ton trou sous la poussière de nacre, que tu t'es mis en tête d'inventer une face inconnue à l'univers - lequel cependant, réellement dépourvu de verso paraît-il, jamais n'en offrit qu'une ?
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Pour changer de monde, tu franchis la page, la barrière des langues, la mer, les siècles parfois... Puis enfin arrivé, comme lorsqu'on a franchi le torii d'un temple japonais, - cerisiers en fleur le long de la Sumida ou érables cramoisis jetant leurs empreintes de coqs sur le chemin bleu de l'eau -, de l'autre côté se déploie le même monde.
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Un mystère qu'on suppose avoir éclairci pour eux-mêmes les Bouddhas dont les effigies ont un sourire de Joconde ou d'Anges de Reims. Cependant, autant l'on s'y enfonce, autant l'on se retrouve, retour d'un périple aussi long qu'on voudra, au point de départ.
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Comme si mourir était naître à l'envers, comme si notre fin se posait exactement sur notre naissance, en une boucle de « vie » qui feint que revenir est différent de n'être jamais parti, et que nous étions condamnés à notre inconscient petit cocon de quelques années tressées en fil d'éternité, à la manière du poète qui se change indéfiniment en vers à soi.
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Vaine invocation
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Vents amis qui veniez de tous les coins du ciel - ne m'oubliez pas !
Murs oubliés de l'abbaye dont les voûtes résonnaient de ma flûte - ne m'oubliez pas !
Sentiers de ronces là-bas qui nous écorchiez aux mollets - ne m'oubliez pas !
Chevrettes mi-sauvages qui broutiez entre les ruines hiératiques - ne m'oubliez pas !
Chansons des chênes verts qui empruntiez le gazouillis des verdiers - ne m'oubliez pas !
Gitans cachés dans les buissons qui nous lanciez des pierres - ne m'oubliez pas !
Lys martagons du bord de l'Argens penchés sur les lueurs ridées de l'eau - ne m'oubliez pas !
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Petite lune d'août vers qui montaient les chuchotis implorants des bambous - ne m'oublie pas !
Mer paisible des mauves soirs de bonheur, sable tiède, épaule amie - ne m'oublie pas !
Ville illuminée au miroir de la baie que nous traversions à la voile - ne m'oublie pas !
Calanque rouge embaumée par l'odeur résineuse des pins, baisers secrets - ne m'oublie pas !
Blanc dériveur qui piaffais dans le petit port comme un poney, en m'attendant - ne m'oublie pas !
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Petites pierres des dents et miel de salive des premières amoureuses - ne m'oubliez pas !
Folies des brusques envols de colombes parmi les chaumes de midi - ne m'oubliez pas !
Dalles usées auprès de celle où dorment mes parents, jours de pluie ou d'azur - ne m'oubliez pas !
Ormes du mail dans l'air qui embaumait lavandes et pêchers en fleur près de Maillane,
lorsqu'on descendait de l'auto des vacances - ne m'oubliez pas !
Oliviers des champs que nous traversions mon père et moi dans nos dernières promenades - ne m'oubliez pas !
Soleils, soleils généreux sur les toits de mes jeunes années et les Maures au loin - ne m'oubliez pas !
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Par Xavier.Bordes le 4 Mai 2014 à 11:19
Poésie
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Faire semblant de réparer l’irréparable
de rendre à ce qui est détruit un peu de dignité et de rêve
comme un printemps tend son ciel bleu sur des ruines
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C’est la tâche que je t’ai confiée ô poésie
poésie mienne et poésie de tous à la façon du vent
Une simple poignée de mots balsamiques pour rincer
nos blessures dans ta source fraîche et camphrée
Apprentissage
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Lève le doigt comme enfant en classe
mais aujourd'hui mouillé pour prendre le vent
S'il est fort c'est qu'il vient du nord
.
Qu'il soit sur l'espace mouvant la douleur qui t'oriente
Là-bas est l'horizon dont le bleu s'avance et se retire
ou parfois crache blanc à tes pieds tel un chaton en colère
Ici le Ferme que rien n'ébranle et qui t'attend
Trop vieux
.
La pulsion du sang comme au jardin
la limpidité fluide qui désaltère les plantes
Elle penchent vers l'eau mille langues sèches
.
Il fait beau Sur la tonnelle de vigne vierge
le soir descend rougir de paroles assez crues
que gazouillent les rossignols amoureux
Malheureusement je ne les comprends plus
L'étrangère
.
Si faible et lancinante musique
qui sembles venue sur la transparence du vent
d'un autre continent où tout serait cristal
.
tu m'évoques une sorte d'éternel remolino
dans la spirale duquel défilent les visages de tous ceux
qui fantômes aimés se bousculent en mon cœur noir
Je n'en dirai pas plus Je suis désespéré
Piéride
.
Léger virevoltant de fleur en fleur sur les lauriers
un premier papillon égaré dans l'avenir
cherche son âme
.
Malheureux intrus qu'un souffle
couche comme un voilier parmi le vert
des vagues mais qui se relève toujours
et hante le clair de lune
Jettatura
.
Tant de journées à guetter ta main
comme si devait dans ta paume à l'improviste
une étoile apparaître
.
Mais seule s'ouvre nue
au-dessus de la tête aimée
la malchance à cinq doigts qui joue
de son invisible harpe maudite.
Avenue Jean Bart
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On s'isole dans cette foule qui ne comprend rien à nos secrets
Pierre glauque qui s'enkyste au fond du monde du silence
.
Parfums mélancoliques d'une île perdue au milieu des embruns
À chacun ses joies ses tsunamis explosant aux jetées du cœur
.
Ses regrets tirant de longues ombres mélancoliques à travers
les lueurs dorées du passé dont les soleils basculent dans la nuit
.
Froide comme un brin de menthe nos mains froissent une vague
mourante pour qu'il s'en dégage l'odeur et le goût de l'enfance
.
Qui peut-on encore embrasser derrière l'oreille en respirant
cette intime senteur de fougères pareille à une balade en forêt
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Quel bras nous serreraient en nous soulevant de terre comme
à l'époque où nos parents étaient des géants bienveillants
.
Blancs voiliers et blanches barques laminent sous eux les étoiles
de la rade comme on se roule dans un champ de marguerites
«De quoi je me mêle... »
.
Jusqu'au bord les vagues fraîches poussent les reflets des nuées
dont elles déchargent la mousse chantilly sur la pente de galets
.
Plus loin dans le sable lavé je trouve une jolie cuillère en argent
Il en faudra détacher les concrétions ici ou là soudées au manche
.
Par exemple ce minuscule coquillage vide aux grains agglutinés
et qui avait dans le cuilleron élu domicile mais ne contient plus
.
qu'une mer lilliputienne en sa spire infinie d'ondes lointaines
comme on devine en la lentille du télescope une laiteuse galaxie
.
Ainsi mon esprit entre l'infiniment grand et l'infiniment petit
hésite sans vraiment savoir quelle place il occupe dans la Chute
.
Le temps siffle à mes oreilles tant sa vitesse accélère On dirait
que vivre c'est tomber d'une falaise sans parachute un jour de mistral
.
Derrière-moi s'éteint dans les hauteurs le cri traînant de mes poèmes
qu'au fil des jours j'ai jetés comme des grains de sel par-dessus mon épaule
Au Beach-Café
.
Le vent sur les pierres la rumeur insistante des eaux
qui arrondit les angles du gris du blanc du vert du rose
.
La brillante santé des nuages est insolente dans l'azur
au point que les vagues l'empruntent et luisent longuement
.
Aux pins poussent de petite bougies d'un vert-clair d'avril
Cela ressemble à de tardifs remords après un Noël méprisé
.
Tournoient des vols roses de colombes pâles volte-faces
brusques toutes se posent toutes se renvolent et se reposent
.
Les heures du jour exaspérées par la lumière sans pardon
montrent leur malaise en faisant craquer les tôles des toits
.
Sur la terrasse du bistrot fument les cigarettes des cendriers
transparents sur les tables auprès des bières embuées
.
J'écoute des inconnus Au vol me parviennent des bribes
de leurs vies dont en rêvant je me fais tout un roman
Carry-le-Rouet 28/04/2014
D'un monde l'autre
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Demain : ce soir la nuit
puis l'aube sans nous
sur l'Acropole – et les amis restés
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Tandis que l'avion s'élève
et met le cap sur le réel.
Antoine à Carry
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Ciel de ciel et ciel des eaux
Ciel des poissons ciel des oiseaux
.
Là-bas cette géométrie blanche et bleue
c'est Marseille et la Sainte-Victoire
.
Le tronc d'un haut pin malicieux
coupe en deux le paysage ombre et soleil
.
Un petit garçon qui tient à peine debout
pousse un chariot de bois en souriant aux anges
.
Il a toute ma tendresse Il me regarde avec confiance
Il sait sans le savoir d'où vient notre complicité
.
Il me désigne du doigt et prononce un mot
inintelligible mais qui n'a pas besoin d'être traduit
.
Il sait que j'admire dans ses yeux avec quelle ardeur
on voit commencer un amour de la vie que j'ai perdu
Au jardin profond
.
Précieuse est la douceur du vent
lorsqu'elle noue parle de nous-mêmes
.
Tiédeur de chair Caresse d'été lumière
qui efface les puanteurs d'eaux usées
.
Longeant la rive avec une lenteur rythmée
on écoute le crissement régulier des galets
.
C'est la mer qu'on voit cultiver son jardin
et ratisser l'allée au fond de l'abîme limpide
.
Un grand poisson grognon à tête lippue suit
d'un regard nonchalant chacun de ses gestes
.
En un tombant reculé des falaises je sais
un arbre de corail fréquenté des étoiles
.
Parfois entre ses rameaux passe queue scintillante
une sirène que j'apprivoise pour apprendre ses chansons
À l'Origine
.
S'étale en éventail la source sur la pierre
paon à roue diaprée Iris à double corolle d'arc-en-ciel
.
Regarde ici c'est moi au miroir fluctuant de la transparence
Mon jumeau frissonnant et spectral m'attend au fond
.
Tandis que je respire un soleil frais acide comme un citron
et profus comme un mimosa voici l'invasion parfumée de la vie
.
Passe un oiseau déployé aux rémiges translucides qui tranche
entre les deux altitudes du monde l'orbleu et l'indigo
.
Par l'incision se déverse la musique angélique des heures celle
du rebec des chérubins au propitiatoire d'or des tableaux vénitiens
.
Regarde ici c'est moi qui t'aime au miroir fluctuant de la distance
Tantôt ta main dans la mienne tantôt les messages du vent
.
Proche Lointain Là où s'effeuillent les lances vertes de la source
l'espace n'a plus de sens les mots sont muets face au cœur battant
Double présence
.
Que serait donc aimer sans ton aurore
sans le bleu-vert qui d'un regard creuse la profonde
dualité du plancher des nuages transhumants aux cornes en feu
et du plancher des vaches sédentaires aux cornes en lyres
Beaux nuages mes frères informes Belles vaches
aux yeux andalous qui étiez la nuit du Commencement
.
Je suis seul mais je suis aimé
. Duvet immaculé
tu me couves de ta douce et ferme lumière
Tu recueilles en elle tout ce qui m'échappe tout ce qui me fuit
Montagnes ondulations bleues fraîches au fond des plaines
sur lesquelles navigue un genre de goussarole d'orage
ventru et gréé d'éclairs en pattes d'araignées
Tandis qu'au-delà c'est l'infini lui-même qui comme un chat
dont on a piétiné la queue prend la poudre d'escampette
.
Ne reste alors auprès de moi que ton amour dans le silence
Tes mains calmes sur mon front aux fièvres mauvaises
qui ruisselle ainsi que cascatelle au rocher usé par le soleil
Ne reste que la fidélité sans mesure de la mer
qui danse dans ton corps comme en la spire d'une conque !
Le pas lent et songeur…
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Le pas lent et songeur entre les facettes du matin
d’où lui reviennent les échos piétinants d’une armée
le condamné s’essaie au nouveau labyrinthe
suivant sur le sol blanc une piste indéchiffrable
.
Par les grilles des domaines qui alternent le chemin
aboient de grands chiens noirs en mordant les barreaux
Loin devant pâlit et s’efface une forme bien-aimée
dont le parfum ambré plane sur les touffes de fleurs-fées.
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C’est l’heure où fait signe l’index du spectre solitaire
dont les bras luisent de longs os à reflets vieil ivoire
Comme il est difficile alors de prendre la vie au sérieux
alors que les enfants s’en vont en troupe vers l’école !
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Fugacité du soir
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Venue de la turquoise parcourue de légères ondulations, une mouette apporte entre ses ailes son corps blanc, fuselé comme une navette à tisser qui se glisserait entre les nappes de chaîne ouvertes des airs.
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Une arapède vissée à son rocher somnole au bercement de la houle. Les posidonies, chevelures violettes, penchent dans un courant, puis dans un autre en sens inverse, inlassablement.
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Les traces que je laisse dans le sable dépassent de beaucoup ma pointure. Elles contournent les rocher mais parfois se laissent surprendre par la mourante vaguelette qui joue, avec la complicité du vent, à les effacer.
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À trois encablures, sur l'étendue argentée, passe un voilier noir et blanc. À bord, une inaccessible princesse emporte son ravissant sourire vers d'autres cieux. Sa main qui fait signe se fond dans le rose horizon du soir.
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Sur mon épaule gauche, je sens revenir se poser fataliste, invisible et léger mais dont les pattes serrent nettement, l'oiseau disert des occasions manquées.
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Par Xavier.Bordes le 29 Avril 2014 à 17:42
Fugacité du soir
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Venue de la turquoise parcourue de légères ondulations, une mouette apporte entre ses ailes son corps blanc, fuselé comme une navette à tisser qui se glisserait entre les nappes de chaîne ouvertes des airs.
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Une arapède vissée à son rocher somnole au bercement de la houle. Les posidonies, chevelures violettes, penchent dans un courant, puis dans un autre en sens inverse, inlassablement.
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Les traces que je laisse dans le sable dépassent de beaucoup ma pointure. Elles contournent les rocher mais parfois se laissent surprendre par la mourante vaguelette qui joue, avec la complicté du vent, à les effacer.
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À trois encablures, sur l'étendue argentée, passe un voilier noir et blanc. À bord, une inaccessible princesse emporte son ravissant sourire vers d'autres cieux. Sa main qui fait signe se fond dans le rose horizon du soir.
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Sur mon épaule gauche, je sens revenir se poser fataliste, invisible et léger mais dont les pattes serrent nettement, l'oiseau disert des occasions manquées.
Portrait d'un poète d'autrefois
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Il était de ceux qui entendaient toujours comme une tragédie, depuis l'époque où son père l'avait chantée pour la première fois, l'univers d'une chanson telle que « V'la l'bon vent, v'la l'joli vent, v'la l'bon vent m'amie m'appelle... », avec l'histoire du méchant fils du roi qui a tué le canard blanc. Facilement on lui eût tiré des larmes en lui fredonnant « à la claire fontaine... », autant de petits airs naïfs mais insupportables de violences plus ou moins dissimulées sous des mélodies guillerettes.
Ainsi la poésie lui avait toujours semblé cacher le mystère d'un abîme effrayant sous ses élégances, ses vers avenants, ses sourires et ses charmes. Devenus poèmes, les mots s'augmentaient d'une force occulte, effrayante et attirante, d'une sorte de ciel feint qui pesait de toute sa lumière extraterrestre sur les désignations, autrement banales, des mots quotidiens. Une sorte de coup de poignard délicieux ouvrait une dimension nouvelle dans la langue...
Par l'estafilade se glissait, se tortillait, s'insinuait l'imagination avec l'acharnement forcené du lézard qui rentre dans telle fissure inaperçue d'une muraille qui semblait interdite à toute pénétration. L'étendue lisse qui enrobait toutes choses du réel reçu, qui faisait un monde sensé et connivent au point que l'idée de le remettre en question n'effleurait même pas l'esprit, telle la latérite du désert sous trop de soleil se fendillait, sous le tégument de la réalité une autre chose, effrayante, luisait vaguement.
De même, dans les marges de son regard, parfois il voyait passer vivement des choses ou des êtres vivants, proprement inconcevables, ainsi que ces formes qu'on aperçoit nettement dans les songes, la nuit, mais qu'on serait bien en peine, malgré leur aspect familier, de définir. De sorte qu'il fusionnait les sens et les visions de son corps avec ce que lui donnait à voir sa langue maternelle, et ne parvenait plus à distinguer les sensations qu'imprimaient en lui les mots, et celles que suscitaient en lui les choses.
Il ondoyait ainsi alternativement du senti au parlé, du déroutant au familier, et volontiers chacun pensait « qu'il parlait pour ne rien dire », ce qui enchantait la plupart des gens de son entourage, qui supportaient mal de l'entendre énoncer tant de choses chargées de mirages et de secrets, se demandaient « où il allait chercher ça », et souvent par une forme de charité le considéraient comme « légèrement fada ».
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