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Par Xavier.Bordes le 20 Octobre 2013 à 19:00
21. Les galets de Roda
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Aucun effort à faire pour accéder à la lumière
Jusqu'à ton corps elle traverse même le manteau
velouté des vagues et cueille dans les profondeurs
cet azur foncé qui pacifie l'âme et qui de vert pur
enchante l'iris de tes yeux où s'attardaient naguère
encor les nuances que leur imposait une cité grise
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Que crissent les galets nus sous tes pieds brunis
Que s'approchent les limpidités pour aiguiser
tour à tour sur tes orteils leurs dagues d'argent
Peut-être un petit phoque-moine viendra-t-il aussi
dans les parages croquer un fuseau brillant puis
te saluer d'un aboiement avant de replonger
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Tu sortiras de l'eau vêtue de girandoles de cristal
Assis je te verrai venir haute éblouissante flexible
anadyomène Je te tendrai la serviette-éponge
Tu souriras en séchant tes cheveux salés le souffle
un peu court comme après un moment d'intense
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jouissance et je serai le vampire de ton bonheur.
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22. À Perama
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Koryfo, Koryfo ! Le coryphée dont le costume d'or
sur la vaste scène bleue lance des éclairs
guide quelques ballerines blanches vers la rive
où elles jettent leur tutu de mousseline avant de disparaître
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Nonchalante la foule assiste au spectacle du jour
tout au long de la mince plage offerte au levant
Sur la colline deux grands immeubles clairs semblent
des navires de croisière échoués parmi pins et cyprès
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La colline abrupte croule de verdure jusqu'au bord de l'eau
dont une poignée de poissons goûte la transparence
À travers l'émeraude des fonds chaque pierre est à sa place
Ici dit l'Amoureuse l'univers n'a pas besoin qu'on l'améliore
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23. Hirondelle du vieux-port
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Hirondelle au ras des eaux qui remontes en chandelle
tandis qu'encore plus haut de puissants avions décollent
dans la vertigineuse lumière vers des pays de grisaille
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Hirondelle avec tes soeurs tu ressembles à nos amours
excités au soleil levant, nerveux quand vient le couchant !
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Hirondelles sont-ce vos rires ces cris de cristal pareils
aux rires de ma belle lorsqu'elle secoue sa chevelure
dans la brise le soir assise devant un café frappé
ou un ouzo à telle table en fer sous la vaste tonnelle
du Poseidonio
Comme en écho j'entends contre la jetée
un fort clapotis de vagues : au large illuminé un paquebot
dépassant lentement Vidos laisse un sillon phosphorescent
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Même à la nuit tombée on entend discuter en grec
ou chanter au Black Kat de l'autre côté de la place
qu'éclairent d'un seul coup des lignes de lampadaires
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Il me semble que nos soirées à Kerkyra mon cher Amour
laisseront le même sillage brillant dans nos souvenirs
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Nous croisons des amis que nous saluons avec mélancolie
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24. Asprokavos beach
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Derrière la rangée de drapeaux rouge-vif flottant
au-dessus du ponton pour dinghys de plongeurs
un cumulus aux joues rose vapote nonchalamment
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La brise réjouie dans les peupliers feuillole Un ferry
glisse blanc sur le bleu foncé du large Pâle bouquet
de violettes une autre île attend tapie au ras de l'eau
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Le paysage du cap est un tableau réfléchi par un ange
lequel a tes yeux verts et tes longs cheveux pareils
au mystère qui emplit tout l'espace libéré par la lumière
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De marcher près de toi l'invisible s'adoucit et moi
j'écoute clapoter les vagues commentant notre présence
dans un langage si clair qu'il n'a nul besoin d'être traduit
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Elle content l'aventure millénaire d'Ulysse et Nausicaa
la belle aux bras blancs que rythment les stiches d'Homère
Ces innombrables oreilles rondes sont des galets attentifs
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ici ou là découverts par le sable que l'élan de l'eau carmine
Sa fraîcheur attire tes pieds nus pour en prendre un moulage
Il y a si longtemps que par ici n'a plus passé de divinité !
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25. Kerkyra pour toujours
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C'est une île mosaïque de vagues venues d'orient ou d'occident
Dans la vieille ville on se laisse surprendre par une tiède
averse d'orage et pas moyen à cet instant de trouver un parapluie
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Partout du grec, du vénitien, des restes de ruines normandes
des arcades parisiennes, des façades couleur d'Italie
On sent que les gens s'y sont depuis toujours frottés à l'étranger
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Y aborderons-nous demain encore par vent portant la proue
devancée par mille goélands mouettes aigrettes d'argent
frôlant les crêtes neigeuses des vagues où s'approfondissent
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en ondoyant les bleus les plus purs, les plus musicaux de la terre
Aborderons-nous au vieux port sous l'oeil neutre des pêcheurs
que seul intéresse de ramener grâce à l'invisible un éclair vivant
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qui brille et se tortille jusqu'à ce que l'angle se réduise au point
de le cueillir dans leur main comme dans leurs mains les amants
cueillent leur fringant amour en promenade au long de la jetée
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Demain encore y retrouverons-nous l'antre feuillu de verdeurs
du dieu marin avec ses chaises de fer pour y boire en secret
des Mythos où s'attarde une lueur du soleil couchant de Corcyre
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Songeons-y mon cœur comme si notre jeunesse était éternelle
Elle réside là-bas même si nous n'en avons pas su trouver
la fontaine Nous saurons au dernier jour y désaltérer nos songes.
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Par Xavier.Bordes le 1 Septembre 2013 à 11:07
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Au seuil de l'Inconnaissable
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Il y a dans la nuit une noire lumière
Qui l'aperçoit n'est pas loin de l'Issue
Ce qu'elle éclaire est froid comme le vent du Nord
Mais ce ne sont plus ces ombres floues que décrivait
Platon sur les parois de la Caverne
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Est-il seulement certain qu'il existe pour nous
une Vérité et non pas cent millions de vérités
toutes logiques toutes différentes toutes inconciliables
Se pourrait-il que sans nous l'Univers
n'ai pas besoin d'unité mais que nous humains
la recherchions comme nous recherchons celle
de notre Moi avec l'ardeur que nous mettons à édifier
la solitude du dieu à l'image antique du soleil
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Il y a dans la nuit une noire lumière
Qui l'aperçoit n'est pas loin de l'Issue
Ce qu'elle éclaire est froid comme le vent du Nord
Et ceux qu'elle éblouit sont au seuil de la --
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On se demande bien
ce que la poésie devient
depuis les temps anciens
Ses vers ne riment plus à rien
Paraît que la Muse est «moderne»
Moi je dirais que l'on nous berne
et que son auréole est terne
comme
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Rites du jour levant
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Qu'il est apaisant de rester assis compact et granitique sur le seuil à goûter l'air qui fleure la fraîcheur végétale de l'aurore
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Alors que du chêne au prunier de l'amandier à l'olivier les cris d'oiseaux les plus différents se répondent serins verdiers pies piverts bouvreuils loriots mésanges fauvettes sittelles
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En un concert familier dont le cristal se marie au timbre des cloches lointaines et parfois des rauques corbeaux croassant au-dessus des villages nappés d'ombre
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Le ramier hèle en brassant de l'aile à travers le miel transparent des cieux La colombe prête aux heures sont timbre roucoulant d'éternité Nulle cigale encore
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Ni moustique ne viennent perturber en zinzinant l'impalpable sérénité de la frissonnante brise qu'accueillent gaiement les feuillages Tout se tait pour une
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Minute sacrée
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Quand l'horloge du soleil de son aiguille de cuivre touche le premier Six à la plus haute pointe du plus haut pin
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Puis la création reprend son cours fourmillant de merveilles et de mirages un peu comme une rivière au dégel dont la limpidité soudain grouille de vies excitées
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En même temps que le cèdre hiératique au bord de la terrasse revêt lentement sa chasuble chamarrée d'or pour l'office du jour
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Et qu'au-delà du bananier aux larges feuilles lumineuses devant la fenêtre les petits encensoirs blancs du jasmin se balancent en embaumant l'atmosphère jusqu'à l'horizon.
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Ténèbres insomniaques
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Ces nuits où le sommeil ne parvient pas à conjurer les images atroces d'une vie les démons grimaçants de nos erreurs anciennes du temps où nous étions encore loin d'avoir atteint la cime d'où se laisse contempler la splendeur immanente des choses
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Que reste-t-il à l'exilé tandis que tout dans la demeure fait silence que doucement respirent ceux qu'on aime dans les chambres pleines d'un air obscur comme si le noir pouvait aveugler quiconque sur les phosphènes qui hantent ses cauchemars
Que reste-t-il au voyageur qui a depuis longtemps perdu en route le goût des voyages et dont la nef a depuis bien longtemps sombré insensiblement prise au piège dans quelque mer des Sargasses au-milieu des épaves et déchets de civilisations perdues
Que reste-t-il sinon le songe fait de vent d'une vie où tout eût été autre avec cette joie étrange des anges qui violonent ainsi que des cigales ou coassent en choeur ou plongent par moment dans le bleu comme les grenouilles de l'Éden dans l'éternel étang
Que reste-t-il hormis les songes creux d'une parole immatériels creusets où recueillir et fondre le peu d'heures qui pavent encore le chemin d'une existence jusqu'à la dernière aurore et le dernier crépuscule dont on aperçoit déjà le sang se figer à la limite du regard
Là où parmi les mots éparpillés comme des fleurs sur les pentes que désormais l'on ne pourra plus jamais gravir se tient le dernier col à franchir au-delà duquel il n'existe plus ni vallées d'ombre violette ni cordillères aux neiges dorées
Ni songes ni sommeils ni rien de ce qui a pu composer naguère encore notre conscience du monde mais seulement la Dispersion des cendres astrales au sein d'un espace qui sans nous perdure et pour une inexplicable raison ne nous reconnaît plus.
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HOMO MYSTICVS
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Par les deux bouts la nuit brûlait ses étoiles
au point qu'un feu rose finit par envahir le ciel entier
Les arbres en profitaient pour verdir davantage
et les anges pour triller et glapir derrière les rares nuages
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Au-delà de la mer et des millénaires j'imaginais
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ceux qu'au désert on nomme en langue de nomades
les hommes du matin Ceux dont on retrouvait les pointes
de flèches en silex fines et triangulaires et les dessins
dans les anfractuosités ombreuses des falaises
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Que pouvaient-ils en ce temps-là comprendre du mystère
de l'univers au sein duquel ils survivaient à peine
assaillis de tous côtés par des dangers imprévisibles
plantes toxiques animaux surpuissants séismes
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et n'ayant qu'un inoffensif cerveau pour y faire face
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Déjà par les deux bouts la nuit brûlait ses étoiles
derrière-elle pour ne pas être tentée de rebrousser
chemin - au point qu'un feu rose a fini par envahir
l'intelligence des humains et que rêvant des habitants
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de l'Outre-Ciel les pauvres primates velus se sont mis
à bâtir ces monuments cyclopéens qui - quoique ayant
capté le rose de milliers d'aurores - emprisonnaient
le Vide !
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Après-midi légendaire
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Vent d'un nuage influent comme l'ange du bizarre
sur la tonalité du paysage (à l'instant encore
écrasé de splendeur solaire aux ombres menuisées)
jette un vaste coup d'aile assombrissant
dont s'exceptent les fleurs pourpres du laurier
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Tout s'anime d'un balancement léger
La stéréophonie des cigales ajuste l'illusion
d'un invisible amphithéâtre somnambule
Un petit olivier au premier rang est le seul spectateur
Alentour chênes superbes et cent arbres divers
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Somnolent assis dans l'herbe contre un tronc
La Fontaine en costume d'époque songe à quelque fable
où l'experte en pizzicati et l'écureuil débattent de la primauté
de la musique ou du silence Mais le mirage s'efface avant
que j'aie pu deviner vers quoi tendait leur préférence
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Exclamations de grâce
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Quel bonheur pour les anges et les oiseaux que les
Profondeurs architectoniques d'un immense pin d'Alep
Quand l'effleurent les premières caresses ambrées
De l'aurore et que le regard d'un citadin fait le plein
De ses verdeurs veloutées prospectées par les écureuils
Qui s'y faufilent vifs comme les ombres d'une vie
Secrète à laquelle nous humains ne sommes pas conviés
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Chaque tronc s'éclaire à l'instar d'une colonne rose
L'éther après la nuit redécouvre la multiplicité des feuillages
Qui vaut bien le souvenir des étoiles hautaines
Au milieu duquel un vague nuage s'effiloche comme à regret
Tandis qu'une cigale hésitante cherche à retrouver
L'exact tempo de l'ostinato que jouait son archet
Si allègrement la veille au sein de l'orchestre entier à Midi
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Quelle beauté la fraîcheur nette du matin pour le pèlerin
Assis à sa table sur la terrasse face au paysage lorsqu'il
Se met en route pour un poème à l'itinéraire aussi raide
Et sinueux qu'un sentier enlaçant une haute montagne
Aussi labyrinthique et riche d'une profusion de possibles
Que les ramifications intérieures d'un pin compliqué
En quête de la meilleure manière d'embrasser l'infini
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Dont circule partout l'invisible oxygène libérateur !
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Conseils pour renaître
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Méfie-toi de n'écrire point de trop brillantes choses
Certain phares éclairent mais d'autres éblouissent
Et ceux qui te liront ont peut-être les yeux de l'esprit
Fragiles et se sentiront douloureusement piégés
Dans une trop forte lumière ainsi que les pauvres
Petits crapauds que la nuit les automobilistes
Écrasent sous leurs roues sans même en avoir conscience...
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Songe d'autre part que tu n'as rien à offrir que du vent
Qu'un vague souffle qui parcourt des vers mais qui
Ne ressemble que de très loin à quelque chose de vivant
Comme cette aube rose sur les frondaisons occupées
À se déployer avec des ondoiements ailés à travers
L'éther azuré ou encore cet autre clarté douce
Que certains jadis ont appelée le Saint-Esprit
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Nul d'entre tes mots n'a le timbre cristallin de l'oiseau
Du jasmin minuscule avec son capuchon discret
Et son joli ventre blanc lorsqu'il se pend la tête en bas
À quelque tige dont les airs de mer balancent les fleurs
Juste à côté de l'olivier mouvant aux fins rameaux gris-bleu
Lui-aussi envahi d'un essaim d'oiselets ravissants
Excités comme des bambins qui auraient découvert
Un arbre de Noël pleins de bonbons et de sucettes glacées
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Éternité ! Les heures à voix de colombe traversent la fraîcheur
Au fond inutile de t'acharner à vouloir à force de mots
Élucider la troublante énigme de la Nature
Elle t'offre cette sorte d'inexplicable évidence qui
Dans le moindre cri de mésange ou de roitelet
Parmi les feuillages dorés du matin sonne clair
Comme la Vérité partout éparpillée et stupéfiante
Ainsi qu'en atteste le premier cri d'un bébé face au monde.
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Purification
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Ce flip-flap-flap de feuillets flip-flap-flap tournés
par le vent ne vient pas des pages du Grand
Livre de la Nature
Ce sont trois tourterelles
amoureuses qui dans le pin
à deux pas du gîte où l'écureuil élève ses petits
font au vu de tous des choses que la morale réprouve
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Ébats de plumes flip-flap-flap flip-flap-flap
que vient troubler avec indignation
la gent rouquine à queue empanachée
si bien que les oiseaux impudiques
s'envolent forniquer ailleurs
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Quelle illumination que celle des amples branches
aiguillées d'aube vert tendre
soucieuse dans le bleu de rivaliser
avec le soleil au début du ciel pur
d'où surgit une escadrille de martinets
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Signal évident que relaie le pivert
Voici l'une puis l'autre pies réveillées
Mille passereaux subitement trouvent
à gazouiller en mille langues diverses
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Tandis que les anges qu'on ne voit pas
entrent et sortent là-haut par les portes de la sacristie
du paradis les bras chargés de surplis de lin aubes
chasubles immaculées ciboires dorés et autres
instruments de culte en prévision des matines
de la stratosphère avant qu'argentés ne scintillent
en grondant les fuseaux d'aluminium des humains
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et que deux oiseaux minuscules ne s'enivrent
dans les volutes fleuries du jasmin
sans se soucier de ce qu'à proximité
j'écris grâce à eux les premiers vers d'une fable lustrale...
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L’heure de la pie
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L'aube par la lucarne ouverte et rose
Le souvenir du feu irisé en Bavière
tandis qu’on entend dans l’air silencieux
la pie au caquetis obstinément réprobateur
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Souvenirs lointains Dans le noir de la chambre
d’à côté sommeille la soeur sans reproches
L’air frais entre - odorante caresse verte
sur le front nuageux de l’enfant coupable
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Rien n’assure qu’en mourant l’âme du vieillard
ne doive emporter ses bonheurs et ses fautes
tel un vagabond ses maigres biens dans la besace
qu’il a jetée par dessus son épaule avant l’exil.
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Temple de Zeus
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Ce silence au cœur des tronçons
de colonnes du temple de Zeus éparses
dans l'herbe olympique se prolonge
au fond des âmes qui n'ont pas rompu
avec la succession des siècles
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Ce qui avait ici son site méritait
que le promeneur s'arrêtat avec respect
devant ce silence de pierre qui a survécu
au passage forcené des peuples et du temps
Quelque énigme puissante comme un sphinx
devant nos yeux nous parle encore de l'Homme
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Le printemps des arbres de Judée et des oliviers
en épanouit la gloire et les corbeaux de la lumière
au fronton des styles en commentent l'antique grandeur.
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Moucheron
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Il voit de l'autre côté de la vitre
l'air immense et bleu la végétation grasse
les arbres qui se mêlent aux rares nuages
Il entend le joli moteur des cigales
qui anime la déclinaison des heures
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«Le pays des merveilles» comme dirait
une petite muse primesautière
qui ne connaît pas toujours bien
le sens de ses pensées
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Mais la vitre résiste ainsi que l'éternité
Son vol s'y déplace s'y cogne s'y brise
cherche à contourner la transparente perfection
avec un murmure tantôt doux tantôt rageur
S'il pouvait seulement intégrer en lui
la limpidité parfaite
il pourrait enfin passer à travers ce dont
il aurait obtenu la nature
et s'en libérer
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votre commentaire -
Par Xavier.Bordes le 1 Septembre 2013 à 10:36
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Déjà septembre
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Tourne la roue à aubes des mois et des années
L'ombre et le froid percent déjà sous le masque d'or du matin
L'écureuil roux du petit-jour se défile et faufile
dans l'inextricable contre-jour des chênes où je le suis
d'un regard attendri Lui faisant inlassablement provision
de coques noix amandes avelines en prévision de l'hiver
exactement comme je fais provision de poèmes
en vue de l'immense et glaciale Nuit à venir.
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Le jour et la nuit
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Nuit étrangère et trop douce et brûlante d'étoiles pures
Pareille à une beauté jeune encore insensible aux perfides
murmures de l'amour Nuit à jamais inaccessible et vierge
dont le secret est de n'avoir de centre nulle-part
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Ton calme et ton silence me poussent à songer à diverses contrées
où des grappes d'humains s'efforcent de survivre
ignorants miséreux affamés repoussés parmi les immondices
d'entre lesquels parfois le vent extirpe un vieux magazine froissé
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dont une volée de gamins loqueteux examine avidement
les clichés d'objets étranges gens et lieux à la somptuosité banale
comme une inaccessible profusion de dieux ou d'astres scintillant
à la face d'une obscurité paisible et fraîche - ici - à l'opposé
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du jour – là-bas - brûlant aux épaules des enfants trieurs d'ordures...
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Visions d'Hypnos
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Rêves en pente avec restanques broutées par chevaux et girafes
Un sanglier s'ébroue et grogne au fond du parc
Un blaireau couine dans la nuit Le bois abrite des renards
La lune scie de longue planches de nuages Une sciure d'argent
en tombe à la surface de la mer et se dépose au creux des vagues
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Ne va pas imaginer que ton insomnie est passagère Elle squatte
ton sommeil lui-même avec ses refrains tristes comme l'avenir
Elle tisse ta cervelle qui tourne et tourne une folle soupe d'idées
La nourrit d'un brouet chaotique d'où ici et là comme des étocs
émergent des fragments acérés de réalité, des souvenirs disparates
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Ils sifflent près de ton oreille obsédants insaisissables moustiques
Ils vivent de ton sang et de ton souci de trouver un peu de logique
à l'univers où la poussière de ton âme semblerait tombée de la lune
si ne l'avait depuis longtemps éteinte un innommable chagrin
Un genre de vaisseau venu du fond des siècles hanter les parages
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de ton sommeil à la façon du Hollandais Volant ou d'un de ces pirates
borgnes et grimaçants avec au ceinturon un sabre rouillé par le sang
prêts à bondir à l'abordage de ton lit d'enfant parti à la dérive sous
le terrible ciel sans étoiles qui s'étend à l'infini sitôt tes yeux fermés.
Triste mistral
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Écoute le vent froid des nuits à la porte qui pleure
tel un noir Anubis aux oreilles pointues et museau de chacal
Sa compagne est la Lune au cadran figé toujours sur la
même heure et son attente est ne jamais manquer l'Instant Fatal
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Adieu juin juillet août Adieu le joli mai encore vert d'espérances
au fond du souvenir émaillé d'oiseaux bleus et de jardins fleuris
Déjà l'amour s'enfuit chaque saule au ruisseau déplore son absence
Tu n'es plus cet enfant qui s'amuse et qui rit
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Écoute le vent froid à la porte qui pleure
C'est qu'un soir oublié la sentence fut « Liberté »
Depuis quand vient le noir il rôde autour de ta demeure
comme un mendiant qui déforme les mots entre ses dents gâtées
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Oh ! Jeunesse...
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Si peu sommes-nous demeurés tandis que les rayons
aveugles de la nuit faisaient dans nos rangs des ravages
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Les pierres même avaient pitié Elles sur qui les âges
glissent avec lenteur sans qu'elle en ressentent d'émotion
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L'amour n'y changeait rien Les jours nous griffaient au visage
comme on rature le dessin qu'un enfant a tracé avec application
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Oh combien le miroir de la mer alors nous semblait désirable
Jamais n'y demeurait longtemps la marque d'une ride ou d'un sillon
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Tempêtes ou bateaux tranchants pour le flot tout est effaçable
De même qu'au ciel un nuage ou le passage d'un avion
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Si peu sommes-nous demeurés nous que la pluie acide accable
et ruine à l'instar des beaux ormes d'autrefois Quand nous y attendions
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la belle qui devait venir combler notre cœur misérable
de ce tendre souci que nous prenions alors pour une solution
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Licences poétiques
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Lentement on s'achemine Les rimes paraissent
superflues tel un fanal qui dans la nuit d'une côte ignorée
continuerait de cligner pour personne fidèle à sa
mission immémoriale autant qu'à présent inutile
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Une étrave d'air froid traverse le moutonnement triste
des oliviers prêts à partir – qui ne s'en vont jamais
Sans doute n'ont-ils pas même en fleur l'audace échevelée
des lames écumantes filles des noces du feu avec l'horizon
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Les oliviers sont comme les humains tantôt bavards et tantôt
taciturnes tantôt sombres tantôt argent Ainsi la mer frissonne
et s'assombrit ou miroite et s'illumine selon l'heure et son humeur
Tantôt enjouée tantôt hiératique Mais toujours secrète et noble
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Dans son amère profondeur à l'instar des pays dont les rivages
la contiennent Ici point de mauvaise foi pour ternir les ruines
d'Atlantides rêvées Point de faux-semblants ni de réel refusé
La lumière a blanchi jusqu'aux plus noirs mensonges
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Seuls les amants ont droit de se raconter des histoires.
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Strophes mystiques
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Pour moi le vent n'est pas une langue étrangère
Il parle des lointains De la douceur des soirs
De son élan sans fin à chercher la lumière
Tournant autour du globe et de son désespoir
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Il est comme orphelin d'anciens dieux disparus
Il en a conservé le visage invisible
La naïve fraîcheur S'il a longtemps couru
Il livre d'un seul trait son message indicible
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Et veut qu'on le traduise en un langage humain
Son souffle me comprend m'offre son oxygène
Léger comme une plume il me guide la main
Les oliviers le captent ainsi que des antennes
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Peut-être grâce à lui survivrai-je à demain...
Migrateur
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De ses fameux doigts de roses l’aurore mouche les cyprès des cimetières et, les autres, ainsi que des chandelles – mais les allume au lieu de les éteindre.
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Cloche de six heures. Vent froid rebroussant l’olivier. Les jasmins ont perdu leur parfum. Si le laurier s’obstine à sa floraison pourpre, c’est pour complaire aux derniers passereaux de l’été, et les retenir encore quelques jours.
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Mais eux, d’un sûr instinct, savent que de l’autre côté de la mer, des crêtes fleuries les attendent, avec des vallées où la profusion des lauriers forme une coulée de verdeurs écarlates, sous laquelle miroite une eau vive sans nuages.
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Pour l’exilé, ces images font partie d’une histoire très ancienne, à peu de détails près rêvée ; sous la tente au désert, dans les gourbis d’argile rouge, dans les patios des maisons blanchies de la casbah, venait l’heure du thé ambré dans les théières d’étain poli… Des jarres immobiles dans leur coin nous écoutaient parler avec les mains, les mots avaient un goût prononcé de menthe sucrée…
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Sur les terrasses où pendaient les tapis multicolores, dans les ruelles qui se défendaient du mieux qu’elles pouvaient en étendant leurs tentures d’ombre fraîche, sur toute chose, le regard du soleil était plus appuyé qu’aujourd’hui. Même la plaine en hiver, jusqu’aux montagnes enneigées, voyait ses brumes ennoblies, frangées de ramages dorés d’où émergeaient des explosions de palmes.
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Pays de collines striées, d’enfants rieurs aux prunelles brillantes en grains de café, de jeunes filles berbères aux larges joues rouges, encapuchonnées dans leurs houppelandes rayées en poil de chèvre. Pays d’hommes en chemin, émaciés et souriants. L’air de l’altitude là-bas est si pur qu’il allège le vol des oiseaux de passage, et le coeur du voyageur qui n’y reviendra plus.
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Minuit à neuf ans
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D'un éden inconnu, l'air m'apporte d'invisibles fleurs. Moment analogue à cette heure rassurante de la nuit, avancée déjà, où dans l'obscurité un nouveau silence fait circuler le message que notre mère est rentrée.
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S'endormir alors n'est plus un souci. La veilleuse rose peut s'être éteinte à notre insu, l'angoisse du noir a disparu, vampire aux ailes de feutres, et membraneuses, dissipée dans les profondeurs de la nuit : elle est allée rejoindre tous les démons de Jérôme Bosch au cul-de-basse-fosse des enfers enfantins.
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Reste la lune qui cligne par l'interstice des volets, avec le rayon argenté de sa sérénité coutumière ; la confrontation de la brise et des bambous, qui se traduit périodiquement par un bruit de brouillons froissés...
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Et si la journée prochaine est au beau, le murmure indistinct de la sœur qui parle en rêve, fans la chambre d'à-côté, ordonnant l'agencement des choses au cours de péripéties impalpables, auxquelles nul n'a accès, mais qui le matin au petit déjeuner la font encore secrètement sourire,
Même si les détails en majorité ont commencé à lui échapper dans un flou brumeux qui laisse son regard fixé sur un intérieur lointain qu'elle sera toujours seule à connaître...
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Aïlenn en songe
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Fragile et lointaine sa voix chante et m'enchante au fond de mon puits de ténèbres. Elle est cette clarté ronde, tout là-haut, pareille à une issue qui ne serait accessible qu'aux séraphins et aux oiseaux.
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J'écoute son timbre et son rythme. Ils ressemblent à la respiration et aux battements du cœur de la blonde qu'on aime, lorsqu'on a la tête posée sur sa poitrine, en y cherchant l'endroit le plus doux, le refuge le plus tiède et le plus maternel.
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Une rose endormie sous le voyeurisme indifférent des astres, avec ses perles de rosée, n'est pas plus soyeuse, ni mieux recluse en son propre secret, à poing fermé tel un artichaut indéchiffrable.
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Ce n'est pas tant d'aimer qui est étrange, mais qu'il y ait un monde où existent des êtres que l'on puisse violemment aimer, et que cet amour soit consolation semblable à cette clarté ronde, tout là-haut, pareille à une issue qui ne serait accessible qu'aux séraphins et aux oiseaux.
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Lucidité
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Comme on hale une pirogue d'ambre sur la plage humide, avec un filin de mots j'ai tiré le soleil sur le littoral au long duquel, jusqu'à l'amenuisement violet des lointains, errent mes pensées.
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Soudain il a fait chaud et clair. On pouvait voir les vagues à crinière de neige accourir en meute et stopper net là où l'invisible leur assignait une limite, dans une pétarade hennissante et un nuage d'embruns qui faisait songer aux fantasias du moussem d'El Jadida.
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Les régiments d'oliviers se sont mis à dévaler lentement les pentes. Jardins et vergers ont déployé leurs prairies vertes et leurs ombres tamisées, comme pour un pique-nique.
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Ensuite, une foule de souvenirs a pénétré sur la scène. Les plus anciens d'abord, costumés en premiers communiants, les cheveux lisses et la raie sur le côté, un sourire candide aux lèvres et une fossette en étoile à chaque joue. Derrière venaient les plus âgés, des jeunes gens plutôt séduisants, avec au bras, brune ou blonde, leur petite amie du moment.
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Après sont arrivés des personnages de plus en plus âgés, aux silhouettes fugaces, un peu hautaines, que j'aurais été incapable d'identifier si je les avais croisées dans la rue.
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Clôturait la procession, relativement alerte pour l'âge de ses rides, isolé, un vieil homme replet que semblait suivre à quelque distance un flou nuage de néant. Son visage illuminé par la formidable clarté que j'avais imprudemment convoquée se précisa jusqu'à ce que je me rende à l'évidence.
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C'était l'exact reflet symétrique de celui que j'aperçois dans le miroir en me rasant le matin.
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Réveil
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Paisible nuit bleu sombre ! Une myriade d'yeux clignent par la lucarne : l'univers entier t'observe avec une réprobation muette... C'est un silence qui vous atteint jusqu'à l'os.
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Les silhouettes des cyprès semblent si loin ! Confusément, ils sont les doigts d'une main qui désignent le ciel tandis que la lune entre dans le champ, avec sa bouille de paysanne asiatique au sourire apitoyé.
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À ce que prétendent les astronomes, il existerait d'autres Terres à profusion, là-haut, dans les éthers bleu-noir que même la lumière met un temps inconcevable à parcourir... Une buée de nébuleuses glaciales se condense : l'haleine de l'infini.
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Dans les chambres enténébrées, à côté, à l'étage, des êtres auxquels tu penses avec un élan de tendresse respirent doucement, les paupières closes comme des amandes que le jour ouvrira du même mouvement qui l'amène à fermer les étoiles.
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Bientôt les fleurs de bronze du clocher qui surplombe le village, lové au sommet de la colline comme une vipère blanche sur une borne kilométrique, tinteront jusqu'au littoral de la mer insomniaque.
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Une aube de plus frémira dans les feuillages mordorés du ciel de septembre. Tu te croiras rendu à la vie, au grand soleil lumineux qui de ses rayons pénétrants évapore les fantasmes des cervelles malades et ne laisse autour de nous que juste ce qu'il faut d'ombre pour garder à nos existences un peu de relief.
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Sorti sur la terrasse en proie aux insolences des pies, tu t'oublieras à guetter les écureuils et les premières trajectoires des colombes aux ventres couleur de corail. La certitude d'exister remplacera l'incertitude d'être un genre d'ectoplasme transi de ténèbres.
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Lendemain d'orage
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Si forte la pluie d'orage que même sous la vérandah, la nappe sur la table est restée aussi humide qu'un mouchoir de veuve !
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Des nuages sombres zèbrent encore de ripple-marks la fine lise des rivages du ciel, qui bleuissent à mesure que le jour s'intensifie.
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Mais les jolies anges aux regards étoilés, nues sous leurs tuniques de lin où pointaient, inutiles, leurs petits seins d'adolescentes alors qu'elle s'éventaient d'une aile nonchalante et pure dans la chaleur de l'après-midi,
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Ont déserté les plages de l'azur, serrant la main de leurs angelots potelés, pour se réfugier dans les palmerais ombragées et sereines d'un Paradis hors de notre vue.
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Il ne reste sur le paysage frangé de hauts arbres, ici ou là touchés par le doigt de l'automne qui déjà roussit ou dore des bouquets de feuilles, qu'un ample sentiment de solitude, nuancé de silence et d'abandon,
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Sur l'herbe rase du pré une poignée de pommes de pin rongées par d'invisibles écureuils, au jardin quelque fleurs mouillées que visitent les bourdons, déçus et rageurs de ne sentir frissonner dans l'air qu'une odeur de champignons moisis...
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Seul le cri d'une buse désabusée tourne dans les nuées, auquel répond un coq dans la vallée, et la voix de celle que j'aime dans mon souvenir.
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« Sous pavillon de fortune »
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Voici – la moindre de tes pensées brille comme en songe. L'heure est aux cris d'oiseaux pareils à des matines de bronze et d'argent de l'autre côté de la vallée. L'heure est à l'aurore rousse qui gagne sur le velours vert des pins et l'adret empanaché de chênes et d'oliviers.
Homme du point-du-jour, tu te tiens au bord de l'infini moutonnant, ivre à peine moins qu'un marin au bord du quai, après une X-ième nuit de beuverie, contemplant les splendides navires aux étraves surplombantes, encore endormies, antennes dressées vers les messages des étoiles,
et tirant sur leurs chaînes ainsi que molosses à bout de laisse. Il y a au fond de toi un homme seul et vaste comme l'horizon. Verdeurs de mer. Dauphins étincelants d'huile sacrée. Semences ouraniennes détachées des formes blanches qui, fantomatiques, hantent l'azur.
Si le monde se joue de toi, tes poèmes en revanche ainsi que paquebots brillant de leurs feux de croisière blessent de sillages argentés l'abîme, l'insondable, qui sans cesse cicatrise et se referme, tes poèmes se jouent du monde et il n'est plus qu'eux désormais pour connaître le secret d'encenser et de recenser.
Une constante pleine Lune, indulgente et maternelle, t'accompagne dans tes sinueux périples car tu n'as jamais su, comme les crabes, avancer qu'avec le vent par le travers. Et tu as vu dériver, indéfiniment ascendants au ciel noir, au-dessus du dédale de la mer dont ils naissaient, l'essaim de la Nébuleuse, Al Tarf et Acubens, encore humides des salives exquises de la féminité...
Cependant – ô merveille – il est toujours une sirène à la passion immotivée pour recueillir, avec les coordonnées de quelque îlot paradisiaque dans leur transparence enroulées, ces bouteilles émeraude qu'une à une, non sans lassitude, tu jettes à la fortune des flots.
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votre commentaire -
Par Xavier.Bordes le 13 Août 2013 à 15:31
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Exclamations de grâce
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Quel bonheur pour les anges et les oiseaux que les
Profondeurs architectoniques d'un immense pin d'Alep
Quand l'effleurent les premières caresses ambrées
De l'aurore et que le regard d'un citadin fait le plein
De ses verdeurs veloutées prospectées par les écureuils
Qui s'y faufilent vifs comme les ombres d'une vie
Secrète à laquelle nous humains ne sommes pas conviés
.
Chaque tronc s'éclaire à l'instar d'une colonne rose
L'éther après la nuit redécouvre la multiplicité des feuillages
Qui vaut bien le souvenir des étoiles hautaines
Au milieu duquel un vague nuage s'effiloche comme à regret
Tandis qu'une cigale hésitante cherche à retrouver
L'exact tempo de l'ostinato que jouait son archet
Si allègrement la veille au sein de l'orchestre entier à Midi
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Quelle beauté la fraîcheur nette du matin pour le pèlerin
Assis à sa table sur la terrasse face au paysage lorsqu'il
Se met en route pour un poème à l'itinéraire aussi raide
Et sinueux qu'un sentier enlaçant une haute montagne
Aussi labyrinthique et riche d'une profusion de possibles
Que les ramifications intérieures d'un pin compliqué
En quête de la meilleure manière d'embrasser l'infini
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Dont circule partout l'invisible oxygène libérateur !
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Conseils pour renaître
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Méfie-toi de n'écrire point de trop brillantes choses
Certain phares éclairent mais d'autres éblouissent
Et ceux qui te liront ont peut-être les yeux de l'esprit
Fragiles et se sentiront douloureusement piégés
Dans une trop forte lumière ainsi que les pauvres
Petits crapauds que la nuit les automobilistes
Écrasent sous leurs roues sans même en avoir conscience...
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Songe d'autre part que tu n'as rien à offrir que du vent
Qu'un vague souffle qui parcourt des vers mais qui
Ne ressemble que de très loin à quelque chose de vivant
Comme cette aube rose sur les frondaisons occupées
À se déployer avec des ondoiements ailés à travers
L'éther azuré ou encore cet autre clarté douce
Que certains jadis ont appelée le Saint-Esprit
.
Nul d'entre tes mots n'a le timbre cristallin de l'oiseau
Du jasmin minuscule avec son capuchon discret
Et son joli ventre blanc lorsqu'il se pend la tête en bas
À quelque tige dont les airs de mer balancent les fleurs
Juste à côté de l'olivier mouvant aux fins rameaux gris-bleu
Lui-aussi envahi d'un essaim d'oiselets ravissants
Excités comme des bambins qui auraient découvert
Un arbre de Noël pleins de bonbons et de sucettes glacées
.
Éternité ! Les heures à voix de colombe traversent la fraîcheur
Au fond inutile de t'acharner à vouloir à force de mots
Élucider la troublante énigme de la Nature
Elle t'offre cette sorte d'inexplicable évidence qui
Dans le moindre cri de mésange ou de roitelet
Parmi les feuillages dorés du matin sonne clair
Comme la Vérité partout éparpillée et stupéfiante
Ainsi qu'en atteste le premier cri d'un bébé face au monde.
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Purification
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Ce flip-flap-flap de feuillets flip-flap-flap tournés
par le vent ne vient pas des pages du Grand
Livre de la Nature
Ce sont trois tourterelles
amoureuses qui dans le pin
à deux pas du gîte où l'écureuil élève ses petits
font au vu de tous des choses que la morale réprouve
.
Ébats de plumes flip-flap-flap flip-flap-flap
que vient troubler avec indignation
la gent rouquine à queue empanachée
si bien que les oiseaux impudiques
s'envolent forniquer ailleurs
.
Quelle illumination que celle des amples branches
aiguillées d'aube vert tendre
soucieuse dans le bleu de rivaliser
avec le soleil au début du ciel pur
d'où surgit une escadrille de martinets
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Signal évident que relaie le pivert
Voici l'une puis l'autre pies réveillées
Mille passereaux subitement trouvent
à gazouiller en mille langues diverses
.
Tandis que les anges qu'on ne voit pas
entrent et sortent là-haut par les portes de la sacristie
du paradis les bras chargés de surplis de lin aubes
chasubles immaculées ciboires dorés et autres
instruments de culte en prévision des matines
de la stratosphère avant qu'argentés ne scintillent
en grondant les fuseaux d'aluminium des humains
.
et que deux oiseaux minuscules ne s'enivrent
dans les volutes fleuries du jasmin
sans se soucier de ce qu'à proximité
j'écris grâce à eux les premiers vers d'une fable lustrale...
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L’heure de la pie
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L'aube par la lucarne ouverte et rose
Le souvenir du feu irisé en Bavière
tandis qu’on entend dans l’air silencieux
la pie au caquetis obstinément réprobateur
.
Souvenirs lointains Dans le noir de la chambre
d’à côté sommeille la soeur sans reproches
L’air frais entre - odorante caresse verte
sur le front nuageux de l’enfant coupable
.
Rien n’assure qu’en mourant l’âme du vieillard
ne doive emporter ses bonheurs et ses fautes
tel un vagabond ses maigres biens dans la besace
qu’il a jetée par dessus son épaule avant l’exil.
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Temple de Zeus
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Ce silence au cœur des tronçons
de colonnes du temple de Zeus éparses
dans l'herbe olympique se prolonge
au fond des âmes qui n'ont pas rompu
avec la succession des siècles
.
Ce qui avait ici son site méritait
que le promeneur s'arrêtat avec respect
devant ce silence de pierre qui a survécu
au passage forcené des peuples et du temps
Quelque énigme puissante comme un sphinx
devant nos yeux nous parle encore de l'Homme
.
Le printemps des arbres de Judée et des oliviers
en épanouit la gloire et les corbeaux de la lumière
au fronton des styles en commentent l'antique grandeur.
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Moucheron
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Il voit de l'autre côté de la vitre
l'air immense et bleu la végétation grasse
les arbres qui se mêlent aux rares nuages
Il entend le joli moteur des cigales
qui anime la déclinaison des heures
.
«Le pays des merveilles» comme dirait
une petite muse primesautière
qui ne connaît pas toujours bien
le sens de ses pensées
.
Mais la vitre résiste ainsi que l'éternité
Son vol s'y déplace s'y cogne s'y brise
cherche à contourner la transparente perfection
avec un murmure tantôt doux tantôt rageur
S'il pouvait seulement intégrer en lui
la limpidité parfaite
il pourrait enfin passer à travers ce dont
il aurait obtenu la nature
et s'en libérer
.
Vacancier.
Hypnotique, la danse du feu sur les vaguelettes. Cri d'effroi d'une mouette noire qui s'essore vers l'horizon : elle a soudain aperçu l'invisible quotidien, tel un bombardier surgi d'entre les montagnes dans un silence de tonnerre, - et mesuré toute son horreur. Ce n'était pourtant pas le surgissement terrible d'un avion de guerre. Juste la silhouette d'un touriste quasi-nu qui tendait son orteil vers l'eau, docile à le lécher comme une chienne au pelage bleu.
Carpe diem
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Chacun selon son espèce déployant tel ou tel graphisme énigmatique hisse ses verdeurs dans la lumière. Feinte écriture à contre-ciel d'une chaleur d'un bleu laiteux. Là-haut l'énergie, que capte la multiplicité nervurée, profuse et redondante. Chacun porte son monde aérien, habité d'insectes, d'oiseaux, pies et écureuils, loriots et chenilles, tel Atlas... En bas, les racines nourricières qui s'insinuent dans les fibres de la terre, autrement dépourvue d'entrailles. Entre deux, qui joint les extrêmes, debout, ce tronc auquel s'identifient les humains. Comme les bras sont lourds à la saison des fruits ! La plus abondante floraison, la plus accablante récolte : comme pour les poètes, c'est que la mort est proche. Cueillons, cueillons, tant que brillent encore les rotondités lustrées du temps.
Nuit upiane
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Obstinément tout bas chantonnent les cigales du silence
Comme celles du soleil l'accomplissement du jour
Elles louent la perfection obscure de la nuit
Ici est le pays où toutes les heures sont célébration
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Parfois une moustique en tournoyant prend le risque
De réclamer aux humains endormis un peu de leur sang
Ou alors c'est un chat-huant qui d'un hou-hou discret
Manifeste son opinion concernant la triste humanité
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Le reste du temps l'univers trompeur semble en paix
Avec lui-même Dehors parmi les étages de végétation
Cyprès dormant la tête dans les étoiles Chênes nuageux
Oliviers aux feuillages gonflés de rêves prémonitoires
.
Les maisons anuitées sont recluses dans leur sommeil
Les souffles de l'été sont doux que rafraîchissent les ombres
De la pleine lune et la respiration lointaine de la mer
Qui pourrait penser que des gens en ce moment-même
.
Aux antipodes ou ailleurs s'entre massacrent à plaisir ?
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