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Par Xavier.Bordes le 1 Décembre 2013 à 20:12
L’art des mots
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De vent et de gorge, la chanson soutenue par les cordes métalliques…
Puis le roseau reprend les strophes en langue inconnue avec cette
voix fibreuse qu’on sent qui peine sous le tremblement de l’émotion ;
et les échos se renvoient …ayno, …ascaran, ..yno , …scaran… Il sont
la voix de la montagne coiffée de cônes blancs où croise le condor…
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Le poncho de laine dense pèse à tes coudes tandis que tes mains
énumèrent les orifices alternatifs de la kéna rauque et embuée,
ou subitement aiguë, agile, comme un cri d’oiseau d’Amazonie.
Tournez, cholitas aux petits chapeaux ronds et multiples jupons
multicolores ! Là-haut veillent les pierres de Sacsahuaman…
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Une autre époque, tout cela, routes de boue et ravins de vertige,
avec au fond, tout en bas, le rio tumultueux du temps qui passe.
Les amis aux faces de bronze, impassibles, qui s’avancent encore
depuis le point de rencontre des perspectives, petits et râblés,
ne sont qu’une fiction que pour toi ressuscite l’art des mots.
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Par Xavier.Bordes le 30 Novembre 2013 à 18:18
«Llanto del Indio »
. à mon ami Facio Santillan
Les épaules balancées en marchant, ses semelles suscitaient un nuage dans la poussière du chemin ocre-rouge qui traversait la plaine, parsemée de candélabres verts tendus vers le ciel. Il avait l'exaltation d'un desperado de western.
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Ce n'était que la vision d'autres temps ressurgie à la faveur d'une faille du présent, un glissement inapproprié d'une minute précoce par-dessus la précédente. Au loin s'étaient aussitôt déployées les sierras enneigées sur la gauche tandis qu'il avançait vers le nord.
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Quelques cubes de pisé, isolés, laissaient luire entre les touffes d'alfa leurs toits de tôles, dont le bref auvent ombrait un rectangle noir, vertical, qui était une porte. Un oiseau trillait sur un mât au long duquel, suspendues à diverses hauteurs, séchaient diverses bottes de plantes inconnues.
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De minuscules silhouettes tenues à distance par l'air tremblant et bleu, courbées sur des parcelles semées s'affairaient ; on devinait leurs bras lever en cadence un outil invisible. Plus loin encore brillait une guenille blanche qui était sans doute un lac de sel.
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Il continua un moment de jouer de la kéna en marchant, pour que le paysage demeure, avec les trilles du pirincho qui se faisait dorer au soleil tout en surveillant les intrus éventuels. Un chien hurla, qui surprit la flûte et lui coupa le sifflet. C'était seulement un grincement de freins.
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Immédiatement reprirent leur place les devantures de la rue, l'automobiliste hurleur qui morigéna par sa fenêtre le piéton imprudent, les trottoirs gris pâles qu'avait récemment assombris une averse, les motos insolentes, la fontaine Wallace verdâtre. La cinquième heure s'imposa, terne et muette.
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Par Xavier.Bordes le 20 Octobre 2013 à 19:04
26. Mer Ionienne
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Nous fûmes là-bas à Corfou
inconnus et timides pris dans la lumière
et la gloire du paysage
Un charme violent et doux à la fois
comme le regard vert de la beauté aux longs cheveux
ou la pluie d'orage passagère
dans l'île où nous étions passagers
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Il y eut des eaux gris-argent et des nuages de lavis chinois
des brises qui soufflaient aux drapeaux orangés
en emportant les cris des hirondelles en foufelle
Tant de discrète beauté parfois éclatait dans une crique
sous forme d'arbres, d'herbe grasse et de panaches de verdure
qui tentaient sans succès de circonvenir la mer
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La mer simple belle et limpide et pure
du bas de la falaise au monastère jusqu'à l'horizon
la mer capricieuse où l'on parvient toujours où que l'on aille
debout telle une enceinte d'azur aux fenêtres miroitantes
La mer avec les blancs crachats du vieux Poséïdon
et les bateaux étagés comme immeubles parmi les buissons
des pentes parfumées paquebots clairs voiliers dansants
qui cinglent en tous sens
La mer qui est la même mer que celle de chez moi
mais dont la clarté profonde appelle des mots d'amitié
aux sonorités immémoriales...
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27. Fleur de Palaiokastritsa
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La petite fleur amère près du monastère
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a reproduit le bleu sauvage de la mer
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au-dessus de l'à-pic où les eaux en contrebas
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claquent contre les rocs et secouent les coques des barques
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Un instant j'ai rêvé d'être moi-aussi pour longtemps
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accroché au rebord vertigineux de la falaise
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libre de contempler un infini qui me ressemble
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avec pour veiller sur moi par tous les temps l'icône
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dorée de la Théotokos qui tient sur les genoux son fils
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seigneur de la rumeur et de la violence incessante des vagues
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Un instant j'ai rêvé Dans le jardin des palmes
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les oiseaux venaient boire aux étages vert-olive
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de la fontaine dont une blonde en robe blanche
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pensive faisait lentement le tour
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À l'entrée du monastère un moine barbu
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en fermant la porte annonce d'une voix de fausset
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que «Το επισκεπτήριο τελείωσε για σήμερα..»
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- les visites sont terminées pour aujourd'hui -
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Je vivrais selon le rite musical des campanes
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qui périodiquement s'agitent dans les ajours du clocher
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pour remettre à l'heure le balancier du ressac
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dont le rythme a tendance à dériver
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Et peut-être qu'à la longue à force de lumière
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et de chaux-vive sur les murs d'une blancheur immaculée
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je finirais par croire à l'improbable existence d'un dieu.
.28. Fontaine Kardaki
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Tous ces bateaux qui s'en vont vers l'horizon
ou vers les montagnes ocres de la rive d'en face !
Tous ont des airs d'appareiller gaiement
comme s'ils n'avaient aucune intention de revenir
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Peut-être - comme moi, hélas - n'ont-ils pas goûté l'eau
de Kardaki dont « le froid robinet envoûte l'étranger »
au point qu'il serait empêché de retourner dans sa patrie...
Ah si j'avais su trouver où dans la mousse coule cette source
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Parmi les reliefs des vieux murs et les blocs ruinés d'Apollon
au bout de l'étroit escalier qui descend jusqu'au bord du rivage
paré de végétaux anarchiques et d'arbres à l'air décharné
comme avec empressement, avec bonheur j'y aurais bu !
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29. Souvenir pensif de l'Agios Stephanos
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Sur le port forcit une brise salée tandis que sur la mer
penchent les voiles de lin comme une lessive suspendue
à l'horizon Un peu de ciel nous parvient avec sur notre
front l'impalpable main de lumière à l'odeur céruléenne
.
Va ou revient sur les écumes incessantes le petit bateau
bleu au rouf blanc Je devine la silhouette massive de son
vieux pilote barbu J'imagine sa trogne bienveillante et digne
de Poséïdon et ses bras qui font girer la multiple poignée
.
d'une barre vernie qui luit par le hublot comme un soleil
De vagues chevaux clairs l'escortent de crinières marines
Il guide sa proue vers l'anneau d'une darse calme et sûre
ainsi que je voudrais guider la barque de mes poèmesÿ
.
Qu'est-ce donc qu'un grand poète au fond sinon
quelqu'un d'ordinaire et sans grande intelligence
qui réussit avec des mots à déminer durablement
le désespoir enfoui au cœur de tous les hommes
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