• Hypercubique épiphanie

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    L’important est de tenter d’écrire, non point de quoi être apprécié mais, tranchant comme éclat de silex vert, le poème que tu voudrais avoir eu la chance de lire.

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    On appelle mirage une réalité que l’on sait réduite à la pellicule de l’apparence, et réalité une image qui donne l’illusion d’une épaisseur à plusieurs dimensions.

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    L’on mesure la véracité du réel à notre impuissance face aux obstacles qu’il semble nous proposer. Pas besoin d’être pyrrhonien pour comprendre qu’en nous est la loi.

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    En dépit de sa cohérence générale, critère de « réalité » qu’on oppose à la plasticité du rêve, le « réel » sous la loupe se révèle lézardé de mille fissures de mystère.

     

     


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    Ballade d'été -  Skogsrået
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    Toi, Moniris, tu préfères t’en aller en compagnie de la nymphe des bois. Les elfes sont vos compagnons, et les faunes aux lèvres barbouillées du bleu des mûres vous guettent entre les tiges épineuses des ronciers.
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    Le soleil au printemps éclate au-dessus des frondaisons comme le long appel cuivré d’une trompe de chasse. Ah Moniris, quelle émotion pour toi que ces longs harmoniques veloutés… Tu en oublies la terre et ses morts.
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    Les voix qui chuchotent ou multiplient leurs cris de cristal ataviques, les crissements d’invisibles vivants dans les fourrés, les arbres auxquels les ramiers tentent d’apprendre à voler, voilà ce que la fraîcheur de l’air t’apporte.
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    Tu ne crains pas les fantômes de la brume qui se rassemblent aux clairières, ou marchent sur l’eau des étangs comme des Christs. Le frisson de l’eau où la rainette plonge est pour toi un clin d’oeil de la Nature.

    Ah, quel silence, Moniris, lorsque le front appuyé contre le tronc du plus vieux, du plus immense pin, tu communies au parfum résineux, à la lenteur ascendante de sa méditation, indifférente à la giration des siècles et des astres.
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    La force occulte, intime, qui envahit ton corps, pareille à celle qu’inspire en tous temps l’Éros adolescent, dynamise la circulation de la vie dans l’arbre de ton sang, un bonheur toujours neuf inspire au soleil ses plus purs rayons.
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    Ô Moniris, je ne plains pas ta solitude habitée. J’applaudis à tes pérégrinations songeuses. Ne t’inquiète point ! Ton silence est habité, les mots que tes lèvres esquissent orneront l’écorce des choses comme un tendre aveu…

     

     

     

     

     

    Situation d'un créateur
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    Ramifier ses pensées jusqu’au plus fin
    que dénoncera l’hiver lorsque toutes les feuilles
    seront tombée sur le sentier rarement parcouru
    ou bien emportées au fil du ruisseau
    avec les reflets périmés
    voilà ce qui lui était promis
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    Fragile brindille sèche et cassante
    à l’extrême du vent sa mort
    y file un cocon de chenille arpenteuse
    Une procession de croissants de lune velus
    rampe à travers l’inconscience de ses heures 
    en mesurant les nuits au compas de leurs cornes
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    Lui comme enveloppé dans la tunique du Centaure
    sent un étrange acide le ronger lentement
    malgré l’azur si serein qui sature son coeur
    Son esprit lui pèse comme l’argile cuite
    d’un épuisant masque de comédie
    Seul son regard d’enfant ne renonce jamais

     

     

     

     

     

     

     

    Confinement royal

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    Un jour où tu n’as pas envie

    de parler de l’ailleurs

    De ces innombrables endroits

    de la planète que l’on ne pourra

    jamais connaître tous

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    Ô merveilles banales

    le petit tram jaune de Rio

    les grottes de la Terre-de-Feu

    la terrasse Lixue des monts Huang-Chan

    la mosquée d’or de Gohar Chad

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    Or mon royaume c’est i c i

    Dans ma prison si bien adoucie

    par la présence de l’Aimée

    Celle dont les lèvres changent

    chaque phrase en flopée d’étoiles

     

     

     

     

     

     

     

    Suoer’mec...

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    J’ai croisé deux jeunes femmes dans la rue qui bavardaient à bonne distance à cause du Coronavirus. Elles étaient masquées, et contraintes de parler assez fort. Au vol j’ai saisi quelques bribes : « ...Oui ! Mais elle, tu comprends, c’est pas pareil, elle a un super’mec !... »

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    En continuant à déambuler, j’ai médité l’implicite de cette phrase. Il y avait à comprendre quelque chose, quelque chose de différent, de plus intéressant, de plus efficace, à cause du « super’mec » apparemment. J’en déduis qu’il y a les « mecs » et les « super’mecs ».

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    Ce qui me trouble, c’est que je n’ai jamais entendu de jeunes hommes dire de leurs copains qu’ils ont une « super’nana », comme dit la chanson. Se pourrait-il que toutes les femmes soient « super » par nature, et que depuis toujours cette évidence soit entérinée ?

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    Sous un autre angle, ce qui m’intrigue davantage, c’est ce que ces dames entendaient par leur expression flatteuse :

    dans leur esprit, quel est le faisceau des vertus qui composent la personnalité du « super’mec » ? (Je suppose qu’une docilité empressée serait la première?)

     

     

     

     

    Impromptu portuaire

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    La vision d’un port laqué d’eau céruléenne, un genre de Pirée, me vient à l’improviste. Aucune pensée, aucun motif ne l’a convoquée. De longues lames de lumière fauchent les

    ondulations mouvantes. Une architecture deltaèdrique de filins et de mâts s’y emberlificote à l’envers. En haut le monde quasi-fixe. En bas sous les coques, le même monde, dansant une sarabande permanente.

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    On pourrait rapprocher cela de la relation entre mes écrits et mes pensées. Une sorte de ligne d’un réel mensonger les divise, avec d’une part les rêves dont s’effiloche et se recoud avec désinvolture la pureté nuageuse. De l’autre, sur le papier qui se veut miroir de cette pureté, l’encre qui fixe des mots, les immobilise en séchant, sur mon bureau noir.

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    Contre la syntaxe stabilisatrice des glyphes, lettres, mots ou phrases, la pensée se débat comme une belle diablesse. Exactement de la même façon que les ondes nonchalantes, révoltées contre la raison et ses triangles isocèles, fripent en leur sein la géométrie rigide, haubans, drisses, mâtures alignées, des bateaux privés de croisières

     

     

     

     

     

    Après lecture d’un poème de Frédéric Tison

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    Nombreux sont les poètes à la jeune écriture. Il y circule un oxygène qui a la fraîcheur de l’altitude, lorsque la dénonce l’heure d’or qui devance l’élévation du disque incandescent au-dessus de la mer.

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    Rien de sec dans leurs écrits, ils sont en pleine croissance de leur maturité hédoniste. Ils ont le coeur, disent-ils, traversé d’oiseaux. Seuls dans la splendeur, ils déploient les mots avec l’innocence irisée du paon.

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    Rien à voir avec les écrits pessimistes et racornis de ceux qui ont été traversés par les trois quarts de leur existence. Pour eux l’automne même est passé, les dernières festivités de couleurs diaprées, les derniers espoirs, sont consumés.

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    Dans l’avenir des recueils de leurs cadets, par procuration les anciens tentent de ranimer magiquement l’éclat des meilleures années. S’amorce dans le ciel crayeux d’hiver la trajectoire des nouveaux Icares.

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    Parcourir des yeux ces arcs-en ciel qui d’un élan neuf enjambent le monde et ses perpectives, c’est anticiper, par l’imagination, le porche imminent que suivra la liturgie du « Venite ad ultimum vale »...*

     

     

     

     

    __________

    *Venez adresser le dernier adieu... »

     

    22 05 2020

     

     

     

     

    « Beauté mon beau souci »
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    Je ne sais qui a dit que le Beau
    pour le crapaud c’est sa crapaude
    (Le peintre Jean Trousselle citait
    volontiers cet aphorisme jadis...)
    .
    Depuis j’ai beaucoup exploré
    la question Chaque artiste pourtant_
    trace sans doute sa propre
    trouée pour débroussailler
    la sente qui le mènera rêve-t-il
    jusqu’au Château de la Belle
    au bois dormant - jonchant
    son chemin d’œuvres analogues
    aux branches et lianes que d’estoc
    et de taille sabrent à la machette
    les explorateurs ou les guides
    qui veulent traverser la jungle
    .
    Les plus clairvoyants savent bien
    pourtant qu’il n’existe qu’une Belle 
    que l’on trouve par un rare miracle
    ou ne trouve jamais. Amer constat
    dont chacun s’accorde au fond
    à convenir qu’il est incontestable...


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    Le Soleil

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    Tel ce bagnard d’autrefois

    condamné à casser des cailloux en sachant

    que son labeur ne profiterait à personne

    .

    dans ce monde instable qui tue en premier

    les cigales et les papillons aux ailes de vitrail

    où chacun négocie avec sa mort comme il peut

    .

    lui jouait avec les mots de la tribu

    et s’adonnait à des poèmes en vers lents

    qui champaient comme des poussignons

    .

    Il brassait les syllabes pour se sentir

    un instant libre de la langue-mère 

    et de ses concrétions cristallines

    .

    Il s’emparait des choses par la pensée

    en déclinait les facettes qu’il avait

    taillées dans la lumière  

    .

    S’avançant sur le tapis sanglant

    de sa nuit vers son destin comme un roi

    qu’on va bientôt couronner de silence

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    entre deux haies de fantômes inutiles

     

     

     

     


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    L’Irréversible

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    Tellement atterré de la façon

    dont tournent les événements et le monde

    il aiguillait vers les mots les visions qu’il portait

    en lui d’une époque en voie d’extinction

    Le mot abeille le mot lavande le mot olivier 

    Cigale thym romarin mimosa tilleul

    tuiles romaines tourterelles ocre rose 

    petite tortues vertes pins parasols 

    ports avec leurs pointus alignés côte à côte

    vieux pêcheurs aux visages ravinés

    jeunes filles alertes revenant des vignes

    en dansant des chevilles Fanny Mireïo Chantaloun

    leur bras frais retenant un couffin sur l’épaule

    Il ferait beau Devant l’entrée du mazet

    de pierres sèches sous un chêne-vert la table

    de bois tachée d’anneaux de vin où l’aïoli

    attend les travailleurs qui posent leurs hottes 

    d‘osier une fois vidées dans la benne au raisin noir

    D’un pas terreux ils approchent entre les pampres 

    Les grives saoules s’envolent, se reposent après

    leur passage en piaillant Et voici qu’odorants

    d’une sueur de soleil les saisonniers s’attablent

    font pivoter la virole de leur Opinel et coupent dans le pain  

    trinquent de leurs fortes mains en plaisantant avé l’assent

    La grand’tante les sert Ils mastiquent tranquilles

    Alentour le monde n’est que lumière paix et sécurité

    Oui – une époque en voie d’extinction qui jonche

    ma mémoire de clichés nostalgiques comme des adieux

    vu que - pour nous vivants - le Temps est sans retour...

     

    .

     

     

     

     

    L’horrible travailleur

    .

    Il s’appliquait obstinément

    .

    (comme une flamme haute 

    flagellerait le vent pour en exténuer

    tout l’oxygène)

    .

    à user l’inspiration dictatrice

    .

    N’était-elle pas lancinante

    d’un augment de douleur et de mélancolie

    ainsi que le chant des flûtes...

    .

    Haleine embuée de mémoire

    .

    Elle gonflait la voile du coeur

    avec ses recensements du monde

    de ses beautés, de ses amours déçues

    .

    L’invisible venu de loin sur les nuages

    .

    Souffle pulsant la vie

    vers un périple dont seuls les mots

    pouvaient connaître le retour

    .

    Mistral devant soi poussant l’infini

     

    .

      

     

     

     

     

    Embrocation verbale

    .

    À force de mauvaises nouvelles

    venues des quatre coins 

    de la machine ronde qui n’a pas de coins

    l’on se retourne et faisant le gros dos

    l’on s’acharne à écrire des poèmes 

    .

    Des poèmes sur les choses émouvantes

    et qui font plaisir

    Les souvenirs heureux qui ont précédé

    l’avalanche des drames

    au temps où les plus beaux pins n’avaient pas

    encore été abattus ou déracinés

    Où les écureuils dans les branches

    avec la complicité de l’air touffu dans leur queue

    s’entraînaient à bondir à contre-vertige

    Où les petits enfants de la famille

    assis sur un escalier jouaient avec leur chaton

    Où ceux que nous aimions menaient vivement 

    joyeusement leurs activités quotidienne

    .

    Où l’on avait le sentiment

    (dont on repoussait la conscience qu’il était éphémère)

    le sentiment exaltant que rien ne manquait

    et que le soleil 

    .                          coeur palpitant 

    clé de la voûte azurée du monde

    illuminait tendrement justice et bonheur

    en nous 

    .               comme en tout lieu de notre Terre bleue

     

     

     

     

     

    Fleur d’arnica

    .

    Il n‘avait qu’un an 

    le joli petit Ezra quand Nona

    lui avait tendu d’un beau jaune

    une fleur d’arnica 

    le jour de son anniversaire

    .

    Il a pris la fleur dans sa main

    de bambin légèrement potelée

    l’a contemplée longtemps

    C’était la première fois qu’il tenait

    une fleur

    .

    Elle absorbat toute son attention

    Captait passionnément son regard

    comme quand un astronome

    découvre avec une étoile nouvelle

    le silence des espaces infinis...

     

     

     

     

     

     

    Les ans inaltérables

    .

    La configuration du marc de café

    au fond de la tasse

    .

    Hors du temps s’y dessinait occulte

    ton nébuleux avenir

    .

    Idéogramme de poudre embuant 

    de hasard noir la pleine lune en porcelaine

    .

    Depuis longtemps nulle gitane

    n’était plus là pour le traduire

    .

    Alors tu es resté obtus et perplexe 

    face à cette illusion de vérité

     

     

     

     

    .

    Pensée démographique

    .

    La plupart de ces êtres humains

    que tu vois à la faveur des publicités,

    des videos, des films documentaires

    .

    comme les gens en chair et en os

    que tu croises dans tel ou tel lieu 

    bien réel et bien terrestre

    .

    sois conscient qu’ils ont vécu 

    à l’heure qu’il est passablement

    moins longtemps que toi

    (Il se peut - avec davantage

     de plénitude !)

     

     

     

     

     

    À Celle qui cajole son labrador.

    .

    Sereine 

    son petit poing fermé comme la rose des rosées

    qui s’évapore en parfumant l’air 

    j’imagine Noélie endormie

    Ses rêves orbitent autour de son front pur

    ainsi que des papillons

    .

    Fillette jolie 

    quel sera ton destin 

    Que deviennent les fleurs flexibles sur leurs tiges

    quand le vent avec ses ongles froids

    les visite

    pour les effeuiller pétale à pétale

    .

    Ton petit poing fermé 

    mignonne endormie

    ne cède pas au vent 

    si cruel qu’il soit envers les roses 

    car ta paume

    tient serrées ensemble les lignes

    .

    et le puissante semence d’or d’un avenir 

    dont je serai l’exclu

                      

     

     

     

     

     

     

    Paradoxes

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    Analogue à une lenteur, un adagio dans les cordes graves, la musique de ta vie accélère celle du monde. Intrigante expérience ; l’aube d’une journée, à l’époque du jardin d’enfant sur le plateau de Crête, te paraissait illuminer un futur d’une durée interminable. Tu n’envisageais pas la venue du soir lorsque, dans le bleu du matin, tu passais le portail de fer-forgé, que le sentier de graviers s’incurvait jusqu’à la statue, couronnée d’étoiles, d’une Vierge de Lourdes sulpicienne, si haute sur son piédestal harnaché de roses pompon ; contournait enfin l’aile gauche du bâtiment où se trouvait ta classe. 

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    Mémoire, terrible mémoire : cette ligne qu’il fallait suivre sans renverser le verre d’eau plein à ras bord, dans la « salle de gym ». Les chants prenants des filles de quinze ans, les « grandes de première », dans la chapelle au plafond étoilé. À tes yeux de gamin, toutes semblaient admirablement gracieuses et attirantes. L’une ou l’autre remplaçait momentanément la maîtresse. Nous avions alors, nous hauts comme trois pommes, des conversations du plus grand sérieux. Elles ne se moquaient jamais des opinions auquelles nous avaient menés notre brève expérience de la vie. Au fond de mes souvenirs, pâlit doucement le visage de l’une d’elles, mince, grande, brune. Elle s’asseyait sans façons au coin de l’un de nos pupitres. Nous échangions sur mille sujets avec ardeur. Le soleil tombant par les hautes fenêtres, indiscret avare de lui-même, cueillait du soleil sur nos têtes joyeuses. En ce temps-là nous avions l’esprit vif. Le monde alentour peinait à suivre.

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    Aujourd’hui c’est l’inverse. Au pays de l’âge cassant, des impressions ralenties, des gestes mal assurés, le monde extérieur a pris tellement de vitesse, que c’est toi qui t’essouffles à vouloir le suivre après trois quarts de siècle. Sommé de continuer à lire, écrire, guetter le sens des choses, agir en somme : alors que l’énergie dont ta jeunesse maladive t’avait chichement pourvu, s’est encore amenuisée depuis. Ce qui te pousse insensiblement vers une inertie qui faisait dire paradoxalement à Joe Bousquet que l’homme immobile est le plus rapide de tous.

     

     

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    Volet roulant relevé...

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    Il y a encore un matin, ce matin. Orné d’un jet de soleil qui transforme les parois de la chambre en ocre et or. Les corbeaux sont venus du bois de Vincennes assister du haut des pins, si paisibles, et des peupliers blancs, à l’irradiation de l’aube. Ici, pour rivaux ils n’ont que les pies ; les merles ni les passereaux ne sont de taille. Le jardin à distance est encadré d’immeubles, les animaux qui le connaissent sont sûrs de n’être pas dérangés. Les chats qui le traversent, rarement, dans la journée, sont bien fourrés, gros et gras. Ils font peut-être la chattemitte, comme disait le Poète, mais certainement pas la chasse, mythe pour eux périmé ! Leur nonchalant effort est d’aller, du pas élastique et désabusé des aventuriers qui se savent les princes de la rue, sur un coin de terrasse au béton attiédi. Mais ils ne se laissent approcher, caresser à peine, qu’à leur heure. C’est-à-dire lorsque une personne du genre fada des chats leur apporte en offrande un reste de poulet, voire un poulet entier cuisiné pour eux. Quant au reste de la journée, le programme en est simple : se toiletter longuement, soigneusement, assis au-milieu de sa queue, en se léchant le revers d’une patte qu’on se passe derrière les oreilles. Petite langue rose-aurore ! Ensuite, s’affaissant d’un mouvement voluptueux, se préparer à s’assoupir la tête sur les pattes avant, non sans surveiller d’un œil fixe, mais vague, le monde environnant. Jusqu’à ce qu’un soupir éteigne la lueur des prunelles fendues, que rallume en sursaut, comme un bref coup de vent ranime un feu de camp, le froissement d’un battement d’ailes de tourterelle dans les feuillages… « Tu as vu ? Sur le mur il y a mon chat gris et blanc au pelage de nuage.. » Aïlenn dit que c’est « son chat » mais elle ne l’a jamais approché. Comme le soleil, ce chat-là est signe qu’il y a encore un matin ce matin ! À chacun ses dieux.

     

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    Dédié à Georges Cisson (né en mars, fusillé le mois de ma naissance.)

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    Un réflexe d’enfance me revient chaque fois que j’assiste à un couchant aux morves sanglantes : l’impression qu’il y a juste au-delà de l’horizon... la Guerre !

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    Une Guerre dont autour de moi me parlait toute la famille, lorsqu’en vacances d’été nous allions voir mes grands-parents aux Arcs. Les armes emballées de papier huilé dans la fosse au fond du jardin. Le pilote américain et le médecin juif qu’on cachait au grenier, au risque d’être trahis par les domestiques, ce qui ne fut pas.

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    Les réfugiés en danger que mes grands-oncles, par une filière de cargos en partance pour l’Amérique, exfiltraient. Les jeunes amis tués au coin de la rue, quand débuta le  débarquement en Provence. Le récit collectif de la façon dont les avions anglais avaient bombardé avec précision le viaduc d’Anthéor…

    .

    Mais aussi l’effroi de mon futur père et de mon jeune oncle, pris en forêt par trois soldats allemands surarmés qui se repliaient et qui les ont relâchés en échange de leurs montres.Tout cela narré sous le tilleul de la cour, en phrases sèches, épiques et douloureuses dans la tiédeur du crépuscule tombant de juillet… la Guerre !

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    Chaque fois que j’assiste à un couchant aux morves sanglantes, en un éclair tout cela ressurgit du liséré lumineux, écarlate, qui s’attarde sur les collines de l’ouest.

     

     

     

    (Les Arcs sur A. - 18/7/1998)

     

     

     

     

     

     

    Pas d’Ezra ce dimanche !

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    Un reste de pluie ouvre dans le bitume du trottoir des yeux invraisemblables, amandes dont se sert le soleil esseulé pour cligner, comme s’il voulait séduire les rares passants de ce dimanche.

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    Petit Ezra aujourd’hui est fiévreux. En ces temps d’épidémie galopante, nous ne le verrons pas car à juste titre, ses parents sont prudents. En pensant à lui nos coeurs de grands-parents sourient.

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    Enfin, manière de parler… D’ailleurs, à bien y songer, toute phrase est « manière de parler ». Commerce entre nous d’images sonores qui nous sauvent : sur l’âpre réalité la poésie ruisselle à notre insu…

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    L’on n’en est pas plus conscient qu’en randonnée, lorsqu’on voit, au flanc d’une montagne,  ruisseler de partout les cours d’eau, descendants de la clarté des neiges, dont ils sont les rejetons métamorphosés.

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    Leur musique concurrence le babil cristallin des oiseaux, avec ce dégoisement qui paraît glouglouter du col d’une invisible bouteille et qui récite un message tellement limpide qu’il en paraît crypté !

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    Ainsi rêve le scribe, que l’espace blanc qui l’attend se change en un ruissellement fluide, véhiculant images et lumières, dont l’odyssée à travers forêts, déserts, guérets, cités... atteigne la mer !

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    D’une vie océane

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    Imaginaires, ces cendres de feuillets à demi-consumés qu’emporte le vent, ce sont les milliers de pages que tu n’as pas été en mesure de rédiger ; de vestes de laine dont tu n’as pas usé les coudes ; de regards qui n’ont pas transpercé les heures obstruant l’avenir…

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    Ô la transparence opaque du Temps ! Les arbres de corail qu’on ne distingue qu’à peine, abysses dont la profondeur nous use. Mais les oliviers aussi, jamais vraiment rassasiés de lumière azurée, dais qui nous dérobe la vue de l’abîme constellé. Pluie sur l’âme obtuse…

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    À la crête des vagues, inlassablement revenantes, tremblent les fantômes déchiquetés, anonymes, de tous les avatars de toi dont les trajets de vie n’ont pas été choisis ; menue monnaie de tes existences virtuelles, monnaie de singe avec quoi tu as payé ta réalité.

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    Reste la lucidité d’écrire, de ravir à celui que tu es devenu les instants où, dans l’espace courbe et noir d’une ultime joie inarrachable, il t’est loisible d’ordonner les mondes et les gravitations, de réconcilier les ruines entre elles, d’offrir aux phrases une aura insolite.

    .

    Si le hasard s’y prête, quelques éclats affaiblis de cette joie rebondiront sur une poignée esprits atypiques, semant dans les sillons de leurs cerveaux d’invisibles graines de langage ; il en rejaillira souvent l’équivalent d’un printemps, avec inattendues floraisons d’écume.

     

     

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    Frottages

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    Ce qui, tel un soleil soudain dévoilé creuse entre les nuages une éclaircie de joie, illuminant le paysage de tes pensées, est d’une lumière éthérique.

    Un projecteur de réalité poétique qui cueille dans son faisceau les reliefs détaillés de l’énigme chaotique environnant tes renaissances.

    Son pinceau quotidien, quasi-métaphysique, décalque les éclats brisés et les reliques du jadis, faisant apparaître des profils familiers.

    Cela rappelle ce temps où le jeu était de placer des pièces de monnaie sous une feuille blanche qu’on frottait soigneusement au crayon…

    Et peu à peu, au fil des traits serrés de sa mine, on voyait, passant et repassant, apparaître magiquement la figure laurée de la République.

    Mon unique regret désormais, est que sur mon papier les figures que dessinent les poèmes soient de plus en plus en plus pâles et inidentifiables.

     

     

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    Talismans

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    Un des mystères de mon existence : Aïlenn éprouve une forte attirance pour les sables des divers désert du monde, et une presque passion pour les pierres de toutes sortes… Ne l’emmenez pas sur une plage, elle passera sa matinée à y choisir des galets !

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    Sables pâles du Sah’ra, sable safran du Namib, sable roux d’Atacama, sable tabac de Gobi et miel foncé du Taklamakan, sable ocre-rouge du Kalahari… Leur finesse ressemble à celle qui filait dans le sablier de trois minutes, pour les œufs à la coque de nos mères.

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    Autant de charnelles nuances de couleurs appréciées d’Ezra, qui n’y peut résister et ne pense qu’à plonger l’index dans chaque bocal de sable, pour en évaluer la douceur et comparer les différents moelleux de ce qu’il a baptisé « des sables mouvants ».

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    C’est qu’Ezra, depuis qu’il tient debout, a toujours eu une passion pour les poudres, surtout les pigments de couleurs fines pour artiste dont certaines étagères de la maison regorgent.

    Sans doute un héritage moral reçu de sa grand’mère, toujours complice !

    .

    Cependant, il se trouve qu’il a secrètement le goût des pierres aussi. Un jour nous nous promenions tous deux sous une pluie quasi-britannique : l’enfant se penche soudain, ramasse et m’offre, mouillée, une pierre noire qu’il a repérée au sol, en m’en vantant les qualités.

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    Rentré à la maison, j’ai mis la précieuse pierre dans une enveloppe, avec une petite note concernant la date ; je l’ai soigneusement rangée. Tellement soigneusement, à la vérité, qu’aujourd’hui, j’aurais peine à dire dans quel tiroir. N’importe : je sais qu’elle est là ! 

     

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    Enfants de mars

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    La vie, flamme imperceptible à l’affût du printemps, se cherche à la faveur des brises dans le plus minuscule brin d’herbe. 

    Il arrive qu’elle y déniche une perle pure, que les premières lueurs du matin étoilent avant de l’absober insensiblement.

    En route vers l’école, les yeux humides à cause de l’air frisquet, garçonnets et fillettes cartable au dos, s’entrexcitent gaiement.

    Ils sont indifférents au miroitement moiré de l’aigail sur les prés, aux vocalises du verdier dans un frêne, au hérisson dans le fossé.

    Après trois quarts de siècle, ils prendront peut-être en considération la Nature autour d’eux plutôt que leurs captivants enfantillages.

    Le bricoleur des mots, méditant sur la petite troupe jacassante qui s’éloigne, se dit que lorsqu’auront passé vingt-cinq lustres, 

    il y a de grandes chances pour que le monde ait gravement changé - et qu’au prochain siècle, il n’y ait plus de printemps à voir.

     

    (20/03/2018)

    ...

     

     


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